Ma royauté n’est pas de ce monde !
Quand on parle de roi, on a chacun des images qui nous viennent en tête. Les plus cinéphiles voient Aragorn courageux et preux qui délivre la terre du Milieu à la tête des armées. Les passionnés du grand siècle aperçoivent déjà des perruques poudrées qui déambulent dans les couloirs immenses d’un château splendide et entendent les remarques du genre « ils n’ont plus de pain, qu’ils mangent de la brioche ». Les plus british sont plutôt dans le style chapeau et reine mère, et les plus orientaux palais dorés et puits de pétrole à gogo… Bref puissance, richesse, force, domination, médias… Bon, en tout cas une chose est sûre, c’est que nous sommes assez loin de la vision « Jésus » de la royauté. Car l’Évangile que nous venons d’entendre se situe au cœur du récit de la Passion du Christ. Arrêté, humilié, couronné d’épines, Jésus ressemble extérieurement davantage à Jean Valjean qu’à Louis XIV…
Ma royauté n’est pas de ce monde
Voilà sans doute ce qui désarçonne Pilate : il a en face de lui un homme humilié, arrêté et raillé… qui lui dit qu’il est roi. « Ma royauté n’est pas de ce monde ». Dit autrement, oui je suis roi, mais je ne suis pas roi à la manière du monde. Tu peux toujours chercher un roi de puissance terrestre, de domination, de perruque, de pourpre et de châteaux, tu ne le trouveras pas là. Je suis né dans une crèche, je suis mort sur une croix. Ma royauté est d’une autre nature. Voilà de quoi rassurer Pilate et César, et peut-être nous dire que finalement cette royauté du Christ n’est pas si importante — « la religion est une affaire privée, voilà qui ne changera pas grand-chose dans notre monde » — et qu’à l’époque de la République ce n’est pas vraiment une question, à part pour quelques nostalgiques de la monarchie.
Le royauté du Christ est pourtant réelle. Elle ne s’exerce pas sur des abstractions, sur de purs esprits, mais sur des personnes réelles qui sont engagées dans une familiale, sociale politique. Quand Jésus dit « ma royauté n’est pas de ce monde » il affirme qu’elle ne repose pas sur le choix des hommes mais sur l’initiative du Père. « C’est moi, dit le Seigneur, qui ai sacré mon roi sur Sion, ma sainte montagne » (Ps 2, 6). C’est Dieu qui par l’Incarnation a fait de Jésus son Fils, son Unique, le chef de l’humanité nouvelle et qui lui a donné les nations en héritage.
Sa royauté ne vise pas non plus le bien terrestre des communautés humaines, en tout cas pas directement. Ce serait parfois notre rêve quand nous entendons parler du Christ : que par un coup de baguette magique le monde devienne catholique, que le premier critère des présidentielles soit la doctrine sociale de l’Église, que nos églises soient trop petites pour accueillir l’immensité de la foule des catholiques car tous les citoyens seraient catholiques… Bref, une forme de chrétienté idéale qui n’a jamais vraiment existé. D’ailleurs Jésus, après la multiplication des pains, quand on veut le faire roi, s’enfuit dans la montagne, tout seul (Jn 6, 15). Sa Royauté ne se substitue donc pas aux autorités politiques légitimes. Elle n’entre pas en concurrence avec Hérode ni César, du moins tant qu’Hérode ou César ne se prennent pas pour Dieu.
Enfin, Jésus règne par de tout autres moyens que ceux des puissants de ce monde. « Si mon Royaume était de ce monde, mes gens auraient combattu pour que je ne sois pas livré aux Juifs » (Jn 19, 36). Le royauté de Jésus ne s’exerce ni par des pétro-dollars ni avec des missiles de dernière génération.
La royauté de l’amour et du don
Alors comment le Christ est-il Roi ? Il est le Roi du black Friday, frères et sœurs bien aimés. Non pas l’évènement commercial venu des États-Unis qui aura lieu vendredi prochain et qui verra la folie consumériste déferler sur notre monde, mais le Vendredi où lorsque le ciel s’est obscurci sur toute la terre il a livré sa vie par amour pour nous. Le Christ est le Roi en sa passion : couronné d’épines, mis à mort et moqué par les hommes. Son Trône est en forme de Croix et son pouvoir en signe d’impuissance. Il n’est pas Roi à la manière de Sauron, mais plutôt à la manière de Frodon prêt à donner sa vie. Il est Roi en accueillant dans son Royaume le bon larron repentant. Il est Roi en donnant Jean à Marie et Marie à Jean. Il est Roi en pardonnant à ceux qui le blasphèment, le moquent et le tuent. Il est Roi qui renouvelle le pardon, les relations fraternelles et la justice. Il est en roi en nous aimant, non par des mots mais par un acte : il est roi en donnant son sang pour moi, pour vous, pour tous les hommes.
C’est de là que vient sa force et sa royauté ! « Le Vatican, combien de divisions ? », ricanait l’autre qui se croyait à l’abri derrière son mur. Mais le mur s’est effondré sans qu’il soit besoin de divisions blindées, car plus fort que la violence des hommes, il y a la force spirituelle de la vérité. Et telle est bien l’arme de Jésus. « Je ne suis né, je ne suis venu en ce monde que pour rendre témoignage à la vérité » (Jn 18, 37)
Construire le royaume aujourd’hui : règne à jamais
Tout cela est bien joli et pieux. Contempler le Christ Roi sur la Croix qui tient tête à Pilate. Mais cela pourrait rester bien extérieur à notre vie. Frères et sœurs bien aimés, en ce dimanche du Christ Roi, il nous faut choisir qui nous voulons servir. Sous la bannière de quel roi voulons-nous nous enrôler ? Le roi du Blackfriday ou de la jouissance ? Le roi de l’ambition ou de la réussite humaine ? Le roi de la division et de la médisance ? Le roi de la paresse et de l’orgueil… Ou bien comme nous l’entendrons tout à l’heure dans la préface, voulons-nous vivre dans un règne de vie et de vérité, règne de grâce et de sainteté, règne de justice d’amour et de paix. Le seul roi véritable pour un chrétien ce n’est pas l’argent, ni même le pouvoir, ni même le militantisme politique ou catholique, ni même le pape… le seul Roi c’est le Christ ! En ce dimanche il faut nous résolument choisir le camp du Christ !
En tout temps et dans toutes les circonstances. Chaque matin au réveil et chaque soir au coucher, reprendre ces paroles : « Voici mon âme, règne à jamais. Voici ma vie, règne à jamais, Voici mon cœur, règne à jamais. Ma liberté, règne à jamais. Gouverne-moi, règne à jamais, conduis mes pas règne à jamais. » Ce ne sont pas que des mots, frères et sœurs bien aimés. C’est une réalité profonde : choisir que le Christ est mon roi c’est soumettre toute ma vie à son pouvoir, toutes mes journées, mon avenir. Nous pourrions reprendre, chaque matin de cette semaine, le chant d’entrée de cette messe comme une prière : « Sur mon travail : règne à jamais, sur mes actions règne à jamais… »
Peut-être cela te fait-il peur. Peut-être as-tu l’impression en faisant cela de perdre ta liberté. Mais n’oublie pas le Christ est roi sur la Croix. Le Christ est roi parce qu’il t’a donné la vie en abondance, le Christ est roi parce qu’il t’a offert son sang. De quoi as-tu peur ? Son royaume est un royaume de lumière, de bonheur et de vie ! Son action est une grâce qui pardonne, guérit, relève et réconforte. Relis l’Évangile et contemple cette royauté. Relis l’Évangile et sois fortifié. Choisis ton camp, celui du Christ. Que chacune de tes journées commence avec le Christ, qu’il règne sur ta vie.
Alors toi aussi, par ta charité, par ton amour, par ton attention aux autres, par ton travail… tu permettras au Christ de régner sur le monde. Si le Christ règne dans ton cœur, alors le règne du Christ pourra grandir dans le monde. Alors la joie éternelle qu’il propose ne sera plus ton petit bonheur privé mais la joie du monde. Oui, Seigneur, voici ma vie : règne à jamais !