Shofar et tremblement

Les lectures de ce 33ème dimanche de l’année liturgique, ont de quoi offrir du grain à moudre aux meilleurs réalisateurs d’Hollywood. Avec un peu d’imagination on voit déjà débarquer les soucoupes volantes et l’invasion des extraterrestres facon « Independance Day » , où encore, en version plus « James bond », le grand méchant qui menace l’humanité tout entière avec un satellite d’une dangerosité incroyable (vous aurez reconnu « Le monde ne suffit pas »). Fin de temps, stupeur et tremblement, mort, bref : l’Apocalypse. « En ces jours-là après une grande détresse, le soleil s’obscurcira et la lune ne donnera plus sa clarté, les étoiles tomberont du ciel et les puissances célestes seront ébranlées ». Charmant.

Si dans le cadre du cinéma de tels scénarii offrent une distraction plaisante pour un dimanche soir, comment ne pas trembler en entendant dans la bouche du Christ ces paroles terribles. Face à elles nous pouvons avoir plusieurs réactions.

Il y a la réaction de l’angoissé chronique : « Vous avez entendu, avec le covid, les attentats, et le dérèglement climatique, moi je vous le dis, Madame, notre monde va pas bien… Et puis surtout c’est la fin des temps, j’en suis sûr… »

Il y a la réaction de l’intellectuel déconnecté de la réalité : « Toutes ces choses-là ne sont que des images, elles sont bonnes pour la littérature et le cinéma, mais ça ne nous concerne pas le moins du monde… Franchement ce serait désuet de s’y attarder davantage. Ces textes-là ne servent qu’à pour faire peur au croyant afin qu’il donne davantage au denier du culte surtout en cette fin d’année… »  

Il y a la réaction du chrétien croyant : « Ces textes de la fin de l’année liturgique me parle de Dieu et du Christ, ils m’annoncent une bonne nouvelle qu’il me faut discerner ».

Le Shofar du rassemblement

Le première bonne nouvelle des lectures d’aujourd’hui est en forme de Trompettes. Non, ce ne sont pas celles de l’orgue de notre église, mais celle du Shofar. Nulle question ici de sécurité routière mais davantage de l’instrument de musique, une sorte de trompette ou de grand cor taillé dans une corne de bélier plus ou moins tarabiscotée.

Ce shofar a dans la vie du peuple hébreu quantité de fonctions, mais son heure de gloire consiste à annoncer la venue du Seigneur et à signaler sa présence au milieu des siens. Aussi, quand Dieu descendit sur le Sinaï, « il y eut, nous dit l’Écriture, des coups de tonnerre, des éclairs et une épaisse nuée […], ainsi qu’un très puissant son de shofar et, dans le camp, tout le peuple trembla » (Ex19, 16). Or le premier effet de la venue du Seigneur est de faire se rassembler le peuple autour de lui. Un peu comme lorsque l’aimant est déposé sur la table, aussitôt toutes les parcelles en vrac de limaille de fer se réorientent vers lui, se rassemblent autour de lui. Voilà pourquoi le shofar qui annonce la venue du Seigneur est aussi l’instrument qui convoque et réunit l’assemblée du peuple. En effet, autant le péché disperse les hommes, autant la foi les rassemble. 

Quand chaque dimanche nous disons  « il reviendra dans la gloire pour juger les vivants et les morts », nous n’affirmons pas autre chose que cela. Chose promise, chose due. Dieu a tenu parole, mais, comme toujours, à sa manière déconcertante. Car ce n’est ni à Jérusalem ni sur quelque montagne que ce soit (Jn 4, 21) que se sont rassemblés les vrais adorateurs du Père. C’est autour du Crucifié, autour de ce Jésus, venu pour « rassembler dans l’unité les enfants de Dieu dispersés » (Jn 11, 52). Celui qui, indéfectiblement, est resté tourné, orienté vers le Père, même aux heures les plus sombres de la Passion, celui-là a neutralisé les forces centrifuges du péché. En sa propre chair, il a réconcilié les hommes avec Dieu et, par voie de conséquence, il a réconcilié les hommes entre eux.

En attendant ce jour du Seigneur où le Christ règnera sur toute chose, un petit tour dans l’actualité nous rappelle bien vite à la dure réalité du monde. Attentats, affaires et scandales en tous genres, divorces, maladies, déchristianisation… sont autant d’évènements qui peuvent nous ébranler dès maintenant. Face à cette réalité du monde nous pouvons être tentés d’au moins 2 manières :

La première tentation c’est de croire que c’était mieux avant. Que nous sommes quand même dans une époque où rien ne va plus. C’est la tentation du catastrophisme. Nous rêvons d’un univers harmonieux où tout le monde serait d’accord avec les préceptes de l’Évangile. Comme hélas il n’existe pas autour de nous, nous imaginons que cet idéal a existé par le passé. Mais quand nous regardons l’histoire de l’Église nous sommes bien loin d’un équilibre parfait entre la société et l’Évangile. Allant de la lapidation d’Étienne, jusqu’aux témoignages des martyrs de notre temps, tués à cause de leur fidélité à l’Évangile. « On vous traduira devant les tribunaux, on vous mettra à mort et en faisant cela on croira servir Dieu » (Lc 21, 12). Voici le climat et la situation réels dans lesquels nous sommes appelés à vivre notre fidélité quotidienne à Dieu ! Du coup, dans cette situation nous nous raidissons, nous nous enfermons sur nous-mêmes, nous fermons la porte de notre cœur, convaincus que nous sommes les derniers des Mohicans et qu’autour de nous le monde court à sa perte, qu’il faut donc s’en protéger… C’est la tentation de certains d’entre nous. Dans l’Évangile d’aujourd’hui, le Seigneur pourtant ne commande pas à ses disciples de fuir les tribulations ou de rester enfermés en petits clubs cathos sulpiciens bien-pensants… 

La deuxième tentation, qui nous guette aussi par moments, c’est de nous laisser décourager dès que nos convictions sont ébranlées par une majorité ou une minorité autour de nous. Allons-nous baisser les bras en disant : « Puisque personne n’est d’accord, je ne vais pas changer le monde à moi tout seul, et je préfère me mettre d’accord avec les autres, puisque qu’ils ne veulent pas se mettre d’accord avec moi » ? Pour échapper à cette hostilité ou cette indifférence à l’Évangile, allons-nous peu à peu intérioriser notre foi et nous habituer à vivre une vie comme si le Christ n’était jamais venu ? Je deviens un chrétien « sous-marin ». Voulez-vous devenir de bons citoyens, un bon étudiant lambda, un bon salarié sans histoire, comme les autres, sans problème et sans question, qui se réunissent de temps en temps dans une église pour faire des dévotions qui leur permettent d’exprimer leur foi pourvu que personne ne le sache, pourvu qu’en vous voyant sortir de votre appartement le dimanche matin, vos voisins croient que vous allez faire un tour au Luco ? C’est peut-être ce qui nous plairait parfois, mais ce n’est pas ainsi que l’Évangile porte du fruit.

Entre ces deux tentations, sur une ligne de crête, se situe la vie avec le Seigneur. Il s’agit de comprendre que le Shofar c’est l’appel du Seigneur et que l’Évangile se réalise si nous sommes fidèles à la Parole du Christ, si nous ne vivons pas dans la crainte d’être submergés par l’adversité, ni dans l’idée que l’indifférence ambiante (voire l’hostilité) devienne plus forte que notre foi, ou que quelques groupes fanatiques et fanatisés puissent venir détruire ce que nous avons construit. Voilà la véritable épreuve de la foi. Croyons-nous vraiment que la puissance de l’amour de Dieu, à l’œuvre à travers l’histoire des hommes, sera plus forte et finira par l’emporter ?  

Cette force de la foi, ce n’est pas celle d’un Captain America ou Superman chargé de sauver la terre en danger. Ce n’est pas non plus celle qu’on acquiert à grands coups de renforcement musculaire dans une salle de sport… C’est la force de l’Esprit Saint dans nos vies. Chaque communion, chaque confession, chaque moment de prière nous prépare à vivre la rencontre avec le Christ notre Sauveur… profitons en pleinement. C’est le chemin de notre joie. Amen.