Radicalisés ?
Je ne sais pas vous, mais voici un ensemble de lectures proprement scandaleuses. De quoi donner du grain à moudre aux adversaires de l’Église catholique. Comme s’il y en avait besoin ces temps-ci. Voici un homme de Dieu, Élie, un prophète qui plus est, qui vient extorquer à une pauvre veuve affamée son dernier morceau de pain et qui pousse la muflerie jusqu’à se faire servir. Et Jésus dans l’Évangile, bien assis dans le temple, ne fait pas mieux, à louer le geste de la pauvre veuve qui a donné tout ce qu’elle avait pour vivre. Faudrait-il donc croire que Dieu est un sadique qui profite ainsi du malheur des pauvres ? Et donc que Don Salluste, campé par l’admirable Louis de Funès dans le film La Folie des Grandeurs avait donc raison ? Je vous rappelle ce qu’il nous disait : « — La gabelle, la taille, l’impôt sur les épices, pour cette année ça fait combien ? — 200 000 ducats Monseigneur. — Mais l’année dernière ça faisait beaucoup plus ! — Oui mais la récolte avait été très bonne. — Cette année la récolte a été très mauvaise alors il faut payer le double ! — Mais, Don Salluste, nos gens sont terriblement pauvres… — C’est normal ! Les pauvres c’est fait pour être très pauvres… et les riches très riches ! ».
Si c’était cela la vérité de l’Évangile, nous ne serions sans doute pas dans une église noircie, à essayer difficilement de boucler le budget paroissial chaque année. C’est sans doute qu’il y a autre chose à tirer de l’attitude de ces deux veuves.
La foi jusqu’au martyr !
La première chose si vous remarquez bien, c’est que l’Évangile fait écho à celui que nous avons entendu il y a un mois. Vous savez, le parfait jeune homme de l’Évangile, qui sort d’HEC et qui bosse dans un cabinet de conseil en finance pour s’acheter une sécurité ? Et ça finissait comment ? « Il s’en alla tout triste ». Ici, point de tristesse dans le don de ces femmes saintes. Mais une véritable confiance. La veuve de l’Évangile, comme celle de Sarepta, n’a rien à faire valoir. Toutes deux n’ont pas de titre ni de gloire, elles n’ont aucune position sociale, elles sont en marge de la société, elles ne peuvent pas prétendre à grand chose. Mais le peu qu’elles ont elles vont le donner. Comme si la primauté du don était plus importante que le fait-même de conserver sa vie. Ou pour le dire encore autrement, comme si une vie qui n’était pas donnée n’était pas une vie vraiment accomplie. Comme si la foi pouvait être première.
Il y a des témoins qui ont vécu cela. Ce sont les martyrs que nous chantions lundi dernier dans la fête de la Toussaint : témoins jusqu’au bout, donnés en entier. Ils ont appliqué à leur manière, à la lettre, la prière des scouts : « apprenez-nous à être généreux, à donner sans compter, à combattre sans soucis des blessures ». Vous me direz que c’est loin. Peut-être, mais avez-vous pensé au Père Jacques Amel, assassiné sauvagement pour sa foi il y a quelques années à côté de Rouen ? Avez-vous pensé à cette femme pakistanaise, Asia Bibi, condamnée à mort pour avoir bu un verre d’eau. Elle aurait pu renier sa foi et on l’aurait laissée tranquille. Elle a enduré deux condamnations à mort et 10 ans de procédure avant d’être enfin graciée.
Saint Jean-Paul II, devant deux millions de jeunes réunis à Rome pour les JMJ de 2000, disait solennellement :
« Chers amis, aujourd’hui encore, croire en Jésus, suivre Jésus sur les pas de Pierre, de Thomas, des premiers Apôtres et témoins, exige de prendre position pour lui, et il n’est pas rare que ce soit comme un nouveau martyre : le martyre de celui qui, aujourd’hui comme hier, est appelé à aller à contre-courant pour suivre le divin Maître, pour suivre « l’Agneau partout où il va ». Il ne vous sera peut-être pas demandé de verser votre sang, mais de garder la fidélité au Christ, oui certainement ! Une fidélité à vivre dans les situations quotidiennes… » Et le pape d’évoquer la chasteté avant le mariage, la justice sociale, le respect de la vie humaine ou encore l’esclavage.
La foi est radicale ou elle n’est pas
Frères et sœurs, le témoignage de ces veuves, comme celui des martyrs de notre époque, nous rappelle une chose : que la foi est radicale ou qu’elle n’est pas. Tu ne peux pas être chrétien à mi-temps.
Asia Bibi n’a pas fait semblant de confesser l’Islam pour avoir la paix. Il y a tant de choses où on peut faire semblant, tant de choses où nous faisons semblant, où nous transigeons, mais ça nous détruit lentement, ça nous laisse croire qu’on pourrait être chrétien « pour de faux », comme disent les enfants.
Non, je ne peux pas faire semblant d’être chrétien, je ne peux pas être chrétien pour de faux, être chrétien juste pour être vu comme ces riches qui jettent ostensiblement leur obole pour le temple.
Je ne peux pas donner à moitié. Je ne peux pas donner juste pour être vu.
Je ne peux pas me contenter de venir seulement à la messe. Je ne peux pas être un chrétien d’apparence, un chrétien d’apparat. Et ce n’est pas une question de devoir ou d’obligation, ce serait horrible d’envisager la foi de cette manière-là, c’est une question de mesure et de confiance ; un chrétien ne peut pas en garder sous le coude, un chrétien ne donne pas à moitié, sinon c’est un demi-chrétien, car « celui qui n’a pas tout donné n’a rien donné ». Un chrétien, un disciple du Christ, donne tout.
Pourquoi ? Parce que notre maître, Jésus, a tout donné, il a tout donné sur la Croix. C’est ce que rappelle la lecture de la lettre aux Hébreux de tout à l’heure. Après le fouet, il n’a pas dit stop, on arrête là, il a été jusqu’au bout, jusqu’à tout donner, donner sa vie. Et tout à l’heure, quand vous vous avancerez, je ne vous donnerai pas un petit morceau du corps du Christ. Vous ne recevrez pas un millième ou un millionième du corps du Christ : vous recevrez tout le corps, vous recevrez Dieu, Dieu tout entier, car Dieu ne sait pas faire autrement que de se donner tout entier. Il se donne tout entier pour que nous nous donnions tout entiers, pour que nous donnions tout comme ces deux veuves, celle de Sarepta et celle qui fait son obole au temple de Jérusalem, elles qui donnent tout, avec confiance.
Est-ce que toutes les pièces de ta maison sont évangélisées ?
Pour mieux comprendre, prenons un autre détour cinématographique. Faisons pénétrer ici Pierre Brochant dans une scène célèbre du Dîner de cons. Pour échapper au contrôle fiscal, ce riche éditeur parisien va planquer toutes ses œuvres d’arts dans une petite pièce de son appartement. Évidement le contrôleur fiscal va finir par tomber sur la pièce en question et découvrir la supercherie. Mais dans notre vie, avons-nous vraiment toutes les pièces de notre maison intérieure qui sont évangélisées ? Ou bien comme Pierre Brochant, planquons-nous certains trucs à Dieu en lui disant : « Alors, tu peux aller là, et là, mais surtout ne viens pas te mêler de cela ». Cela m’inspire deux réflexions.
La première, c’est une question : quelle image de Dieu avons-nous lorsque nous faisons cela ? De quoi avons-nous peur ? Que Dieu soit un méchant contrôleur fiscal sadique ? Pourtant ne dit-il pas « Je suis venu afin que les brebis aient la vie et qu’elles l’aient en abondance » ?
La seconde, c’est de nous interroger chacun dans notre cœur : dans ma vie, de quoi Dieu ne doit-il surtout pas se mêler pour que je sois « tranquille » ? Ou dit autrement, qu’est-ce que je ne veux pas donner à Dieu ? Mon plan de carrière ? Mon réseau ? Mes relations ? Ma vie affective ? Mes loisirs ? Mes weekends à l’Île de Ré ou à la chasse ? Mon argent ? Mes péchés ? Mon histoire ? En effet dans l’Évangile, Jésus t’invite à tout donner. Sans rien garder. Car quand tu donnes tout, il te reste Dieu. De quoi as-tu peur ? De manquer ? La foi, c’est de compter sur Dieu, non sur mes propres forces ou mes assurances.
Vous me direz peut-être que vous avez déjà tout donné à Dieu ? Alors pourquoi partir comme des voleurs avant même la fin de messe ? Parce que le poulet du dimanche soir ou le journal de 20h ne peuvent pas attendre ? Pourquoi organises-tu la messe « en fonction » de tes loisirs — « on verra bien où j’irai à la messe, en fonction du week-end avec les copains » ? Pourquoi mets-tu de côté 2000 euros par mois sur ton PEL mais n’as-tu pas lâché plus de 50 euros pour le denier de l’Église ou pour les pauvres cette année ? Pourquoi ce qui te préoccupe le plus dans ta semaine, c’est ton week-end de détente et de loisirs ?
Loin des réflexions mercantiles de Don Salluste, les veuves de l’Évangile nous invitent à contempler le Christ qui nous montre le seul chemin possible de toute vie chrétienne : le don, et le don total, le don radical, le don sans retour. Le seul don qui donne la joie que rien, pas même la mort, ne pourra nous ravir. Soyons des radicalisés du Bon Dieu, ne gardons rien pour nous ! Laissons entrer, en ce dimanche, le Christ dans toutes les pièces de notre maison intérieure pour les évangéliser, pour les visiter. N’ayons pas peur du Christ, il n’enlève rien mais il donne tout, ouvrez, ouvrez tout grand les portes au Christ… et vous trouverez la vraie vie !