Les grands travaux du prophète…

Voilà donc des lectures adaptées aux professionnels de l’aménagement du territoire. On se croirait tout droit revenu dans les actualités des années 60 à 80 qui débordaient d’inaugurations en tous genres : autoroutes, nouvelles voies navigables, ponts de tunnels ou encore, dans notre belle ville de Paris, arrivée du RER. Autant de moyens technologiques et techniques pour parvenir à « combler les ravins » et à traverser la France… Écoutez plutôt : « Dieu a décidé que les hautes montagnes et les collines éternelles seraient abaissées, et que les vallées seraient comblées : ainsi la terre sera aplanie ». Voilà de quoi réjouir les cyclistes… et ne pas faire vraiment l’affaire des vendeurs de ski. Pourtant cette prophétie du livre d’Isaïe, reprise en plein désert par notre ami Jean-Baptiste m’inspire trois réflexions en ce dimanche.

Le porteur du message

D’abord, arrêtons-nous sur l’étrange personnage qui la déclame. Nous voici donc en présence d’un quasi Cro-Magnon en train de s’époumoner dans le désert. Le désert dans la Bible c’est le lieu du silence, le lieu où Dieu parle, le lieu où Dieu agit pour le bien de son peuple.

S’il y a là un Cro-Magnon écolo bobo, mangeur de sauterelles, qui parle dans le désert, c’est d’abord pour porter la parole d’un autre. Car Jean-Baptiste est l’archétype de la figure du prophète : le messager de Dieu qui interpelle le peuple pour l’inviter à changer de vie. Pour marquer les esprits, Dieu frappe un grand coup, au point que Jean-Baptiste est appelé dans la liturgie « le plus grand des enfants des hommes ». Finalement, les publicitaires d’aujourd’hui n’ont rien inventé : un message décalé qui interpelle pour inviter à faire quelque chose. Ici nulle question de publicité, mais d’une bonne nouvelle. L’arrivée d’une superstar, non pas un nouveau Johnny Hallyday, mais plutôt celui qui pourra vraiment consoler le peuple d’Israël. Car au moment où surgit Jean-Baptiste l’ambiance n’est pas au beau fixe en Israël. Nulle question alors de Covid, de prix de l’essence ou de démission, mais l’occupation romaine a succédé à l’occupation grecque, le pays est divisé sur fond de crise religieuse et la vertu n’est pas forcément au rendez-vous. 

La parole du prophète

Ensuite, cet original porte une parole : celle de Dieu. Et cette parole de Dieu ne s’adresse pas indifférement, ni anonymement. C’est étonnant de voir la précision avec laquelle l’Évangile nous rapporte le contexte de cette parole : « L’an quinze du règne de l’empereur Tibère, Ponce Pilate étant gouverneur de la Judée… La parole fut adressée à Jean »… Mais cette parole par la grâce de l’Esprit-Saint peut s’actualiser pour nous. « L’an 5 du quinquennat de M. Emmanuel Macron, Mme Valérie Pécresse étant présidente de la région Île-de-France, Mme Hidalgo Maire de Paris, en la 8ème année du Pape François, Henri de la Hougue étant curé de Saint Sulpice… La parole de Dieu me fut adressée ». Car si Jean-Baptiste est prophète à la suite d’Ézéchiel, d’Isaïe ou d’Osée… il n’est pas le seul. Depuis notre baptême ne sommes-nous pas prêtres, prophètes et rois, comme le disait il y a quelques semaines le livre des nombres que nous entendions à la messe : « Si le Seigneur pouvait faire de tout son peuple un peuple de prophètes ! Si le Seigneur pouvait mettre son esprit sur eux ! » ?

Le bulldozer de la grâce 

Enfin, quel est le contenu de cette parole ? Alors ce n’est pas, hélas peut-être, le passage sous les 1€ du litre de sans plomb ou l’arrivée d’une statue magique permettant de guérir en un instant tous les malades du Covid, mais c’est une promesse : celle que « tout être verra le salut de Dieu ». 

C’est cela qu’il nous faut annoncer : une consolation ! Dieu sauve son peuple ! Cette notion de salut semble avoir un peu disparu de notre vocabulaire et pourtant c’est une réalité prégnante. Combien de nos contemporains souffrent de solitude, d’isolement. N’ont pas tellement d’autres pespectives que les quatre planches d’un cercueil. Que le terrible « métro boulot dodo ». Finalement pour beaucoup, Sartre avait raison quand il évoquait la figure d’un Dieu qui aurait lâché les hommes là, jetés dans l’existence… comme condamnés à vivre.

Face à ces angoisses du quotidien, face à ces questions existentielles qui reviennent à l’approche de la mort ou dans les périodes troublées, nous, chrétiens, devons être des prophètes. Mais attention, non pas des prophètes qui annoncent d’abord une morale. C’est terrible cela : l’Évangile n’est pas d’abord une affaire de morale. Être chrétien, c’est d’abord vivre d’un salut en Jésus. Non que la vie morale ne soit pas importante, mais elle en est la suite logique, pas le préalable.

Ainsi donc, ce que nous devons annoncer, c’est la joie du salut qui vient. Noël comme la venue d’un Sauveur pour aujourd’hui. Petit florilège dans les lectures de ce dimanche : « Quelles merveilles fait pour eux le Seigneur ! Quelles merveilles le Seigneur fit pour nous », « Celui qui a commencé en vous un si beau travail le continuera jusqu’à son achèvement », « Qui sème dans les larmes, moissonne dans la joie », « Dieu va déployer ta splendeur partout sous le ciel », « Réjouis-toi, quitte ta robe de tristesse et de misère »… Bref, le Seigneur agit. Il nous le promet. Le Seigneur fait et va continuer à faire son œuvre dans le monde. Bien sûr, vous le savez, il n’agit pas à la manière d’un magicien, mais il nous offre une perspective haute : si tu ouvres ton cœur à la présence du Seigneur qui vient. Même si cela fait longtemps que tu ne l’as pas fait… alors oui, déjà, dans ton cœur j’agirai. « Mets ta joie dans le Seigneur, compte sur lui et tu verras, il agira et t’accordera plus que les désirs de ton cœur. » Nous devons annoncer que face au mystère du péché et du mal, nous sommes appelés à vivre debout. Que face à la perspective de la mort, nous annonçons la vie éternelle. « Debout Jérusalem ! » Chrétien lève-toi ! N’aie pas honte de ta foi ! Annonce-la à temps et à contre temps. Oui, nous chrétiens avons une bonne nouvelle à annoncer. Et si nous le faisons pas, personne ne le fera à notre place.

Concrètement, chers amis, j’ai un exercice à vous proposer cette semaine. Pour annoncer ce salut. Vous le savez, chaque mercredi et chaque vendredi nous célébrons des messes Rorate, à la seule lueur des bougies. À la fin de la messe, je vous propose de vous donner à chacun une petite carte d’invitation pour les messes Rorate : « Venez vivre un moment hors du temps ». Une seule. Votre mission : la donner à quelqu’un qui ne vient pas déjà à ces messes-là. Un ami, un collègue, la boulangère ou l’opticien du coin de la rue. Parce que si vous n’êtes pas la voix qui crie dans le désert spirituel de notre vie, pensez-vous que nos contemporains aient une chance d’entendre la parole de consolation de Dieu ? Le but n’est pas de faire plaisir au Père Raphaël ou d’augmenter des chiffres de la fréquentation paroissiale mais bien de permettre à des personnes de se laisser toucher par le Christ. 

Frères et sœurs, soyons les voix de Dieu, les voix qui annoncent les grands travaux : le Seigneur apporte un salut, il l’offre à tous. Soyons dans la joie et partageons-le. Amen.