La joie de se laisser faire

Il y a des dimanches où les lectures semblent un peu disparates. Ce dimanche au moins le message est clair : le mot joie revient au moins 9 fois dans les deux premières lectures et le cantique, sans compter la prière d’ouverture qui nous invitait déjà à goûter quelque chose de la joie de Noël. De quoi chanter avec Charles Trenet « Y a d’la joie, bonjour bonjour les hirondelles » et avec la Môme de voir « la vie en rose ». 

Pousse des cris de joie !

La première chose que nous pouvons remarquer, c’est que dans les lectures d’aujourd’hui, cette joie est toujours liée à la venue du Seigneur. Par exemple, dans la première lecture, « Pousse des cris de joie, fille de Sion ! Le Seigneur est en toi ». Saint Paul dit aussi dans sa lettre aux Philippiens: « Soyez toujours dans la joie du Seigneur ! » parce qu’il est proche. C’est parce que le Seigneur est là (ou parce qu’il va venir) que le prophète et Saint Paul se réjouissent. Un peu comme nous nous réjouissons de la venue d’un ami. Plus l’affection qui nous unit est grande et plus la joie des retrouvailles est intense. Souvent sur les quais des gares j’ai pu admirer la joie des amoureux qui se retrouvent après une longue attente. Ou l’épouse qui attend son mari sur le quai de la gare et dont le visage s’illumine lorsque le train entre en gare. Ce temps de l’Avent, c’est un temps pour désirer plus ardemment la venue du Sauveur. Le train de la grâce divine entre en gare… et c’est à nous d’être à l’heure sur le quai. 

Mais il y a encore un peu plus que cela : leur joie n’est pas seulement une joie humaine causée par la présence de Dieu, mais leur joie est une joie divine. Dans la première lecture, Sophonie nous dit : « Dieu aura en toi sa joie ». C’est-à-dire que la joie qui est en Dieu, la joie qui est au cœur de la Trinité en déborde jusque dans notre cœur. On éprouve la joie que Dieu « éprouve ».

Le temps de l’Avent c’est aussi le temps où l’on contemple une femme qui porte un enfant. D’une certaine manière c’est à nous de porter, en notre sein, la joie de Dieu. Comme Marie reçoit dans son sein le Verbe, nous recevons de Dieu la joie véritable. Dans le monde dans lequel nous vivons, la joie n’est pas à chercher dans une action des hommes ou dans le fait que les journaux deviennent enthousiastes en un instant mais plutôt une joie à goûter que Dieu donne quand nous éprouvons sa présence en nous. Plus encore, j’irai jusqu’à dire que dans bien des cas, par notre foi et nos actions nous faisons la joie de Dieu ! 

Que devons-nous faire ?

Pourtant, sur ce tableau magnifique, l’Évangile d’aujourd’hui apparaît comme une tâche avec son slogan répétitif : « Que devons-nous faire » ? Comme si la situation ne pouvait pas rester telle qu’elle est. 

Et ce pourrait être notre tentation, en ce temps de l’Avent, que de s’affairer entre les cadeaux et la dinde. Mais la joie que veut communiquer Jean-Baptiste n’est pas la sienne. Elle n’est pas non plus quelque chose qui s’achèterait par une prouesse extraordinaire. Les conseils que prodigue le baptiste semblent bien basiques : ne pas faire de violence, se contenter de son salaire… on a vu mieux comme grand conseil théologique. À la limite ce pourrait être un bon slogan de gouverneur romain de Jérusalem qui veut s’assurer de la tranquillité du peuple, mais pour un prophète c’est un peu court. Surtout dans une époque relativement troublée. L’occupation romaine a succédé à l’occupation grecque, la vie religieuse est troublée avec des factions et des parties adverses, bref, le peuple d’Israël ne voit pas la vie en rose. 

Et si Jean-Baptiste ne donne pas d’axe politique majeur ou ne commandite pas d’action choc, c’est peut-être qu’il n’y a rien à faire d’autre que d’accueillir. La dynamique spirituelle du temps de l’Avent c’est celle de l’accueil de la lumière qui vient. L’expérience de nos messes Rorate à la bougie du mercredi et du vendredi matin peut en cela nous aider. Laisser la lumière du Christ déchirer la nuit de nos vies. Il nous faut pendant ce temps de l’Avent laisser Jésus prendre place au cœur de nos vies. Un peu comme le couple de Marie et de Joseph finalement, tout tendu vers la venue de leur petite merveille. De même, gardons le cœur tendu vers la lumière qui vient. Le cœur attentif, ouvert et pour cela, débarrassons-nous de tout ce qui gêne cette attention intérieure. 

Goûter à la joie de la gratitude 

Pour nous entrainer à accueillir la lumière du Christ qui vient et pour goûter à la joie que Dieu nous donne chaque jour, il nous faut, il me semble, surtout dans le marasme ambiant, travailler plus consciencieusement la question de la gratitude. Nous sommes tellement proches du français moyen râleur campé par Louis de Funès, et souvent nous commençons (moi le premier) par critiquer au lieu de nous laisser émerveiller. En ce temps de l’Avent, j’aimerais vous proposer deux exercices spirituels simples et concrets à la fois. 

D’abord un exercice de don : dire merci. Nous savons si peu dire merci dans nos familles ou nos communautés. Féliciter, encourager, bénir c’est-à-dire dire du bien. Nous savons combien un jeune homme est valorisé lorsque son père, assistant à son match de rugby lui dit à l’issue : « Mon fils, tu m’as impressionné dans telle action, bravo ». Ou encore lorsque, rentrant à la maison après un long trajet, le père de famille se tourne vers son épouse en lui disant : « Merci de t’être occupé des enfants et d’avoir mis le couvert ». Valorisée par le compliment, l’autre personne éprouvera une vraie joie. 

Ensuite, un exercice d’accueil. Vous croisez votre patron à la machine à café et il vous dit droit dans les yeux : « J’apprécie particulièrement chez vous vos dossiers qui sont toujours clairs et bien documentés. Merci ». Revenu dans votre bureau, au lieu de reprendre votre travail immédiatement, arrêtez-vous un instant. Goûtez la joie que vous éprouvez pour ce compliment inattendu. Considérez-le dans la gratuité et la sincérité. Apprenons à accueillir sans arrière-pensée, la gratitude qui vient des autres. La recevant pour nous-mêmes nous goûterons à la joie de la donner, de la transmettre. 

Ainsi donc, chers amis, dans ces jours qui nous séparent de Noël et des vacances pour certains d’entre nous, puissions-nous comprendre que la joie de Dieu n’est pas une exubérance hilare mais un don que Dieu nous fait et qu’il nous faut découvrir au-dedans de nous. Comprenons que nous ne sommes pas appelés à faire des choses extraordinaires pendant cet Avent, mais à garder le cœur ouvert, attentif à la lumière du Christ qui vient. Et enfin, qu’une manière de découvrir la lumière du Christ c’est d’entrer dans la gratitude les uns vis-à-vis des autres. 

Merci de votre foi, merci de votre prière, et merci Seigneur de nous permettre de goûter à la joie qui vient de toi. Amen