Trois regards pour mourir ou vivre
Avez-vous déjà joué à des jeux vidéos ? Dans un certain nombre de jeux modernes, la mort est omniprésente puisque le concept même est de rester le seul survivant. Et pourtant chaque fois qu’un ennemi vous tue, au bout de quelques secondes, vous voilà revenu sur l’écran pour une nouvelle partie, comme un bonus de vie nouvelle. Un peu plus réaliste, dans l’opus 2 du Seigneur des Anneaux, nous assistons à la réanimation de Gandalf qui s’éloigne « de la pensée et du temps »… jusqu’à être renvoyé pour que la tâche soit accomplie. Et il faut avouer que nous aimerions bien que ces histoires de la fiction deviennent réalités dans nos vies. Marthe et Marie auraient bien aimé aussi.
Car la mort est dure. La mort fait mal. La mort est un drame terrible qu’il ne faudrait pas spiritualiser tout de suite. Ne sous-estimons pas le scandale qu’est la mort, car nous ne sommes pas fait pour la mort. La mort est ce qu’aucune prouesse médicale ne pourra jamais enlever, ce socle commun de l’humanité, que l’on vive dans un bidonville de Calcutta ou dans un immense loft à Paris ou New York. Pourtant, dans notre société contemporaine, la mort est devenue un tabou. On la cache. On fait mourir les gens dans un hôpital isolé de leurs proches, les enfants ne viennent plus aux enterrements car on ne cesse de vouloir faire disparaître cette perspective de notre horizon. Nous allons tous mourir. Face à ce drame, j’aimerais dans la foi et avec vous, entrer dans le regard de 3 personnages de l’Évangile d’aujourd’hui…
L’amitié de Jésus
Entrons d’abord dans le regard de Jésus qui nous parle d’amitié. Ici Jésus ne minimalise pas la brutalité de la disparition de son ami, ni la souffrance que cela engendre. Comme le dit bien Paul Claudel : « Dieu n’est pas venu supprimer la souffrance, il n’est même pas venu l’expliquer. Il est venu la remplir de sa présence ». Et je suis frappé par l’affection et l’amitié qui se dégagent de ces pages. Nous ne croyons pas, chers amis, à un Dieu immuable, froid qui du haut de son trône envoie des éclairs pour montrer sa puissance. Nous croyons en un Dieu qui s’est fait homme. En un Dieu qui a vécu l’amitié véritable, avec Lazare, avec Marthe avec Marie et avec tant d’autres. Un Dieu qui se laisse toucher au plus profond de ses entrailles par la mort de son ami. Voilà la vie chrétienne. Tout au long des grandes pages de l’Évangile de Saint Jean, Jésus nous découvre le visage d’un Dieu qu’il s’agit de rencontrer dans l’amitié. C’est l’histoire de la samaritaine, cette femme hérétique, infidèle, exclue, que Jésus vient rencontrer et à qui il offre son amitié. L’amitié, c’est-à-dire la confiance, la bienveillance et l’affection. Dans le regard de Jésus sur Marthe, Marie et Lazare, mais aussi à travers eux sur nous, ou sur vous chers catéchumènes, il y a d’abord de l’affection, de l’amitié, de la bonté. Dans quelques jours au soir du Jeudi Saint, nous entendrons « Je ne vous appelle plus serviteurs, je vous appelle mes amis ». « Mes amis ». Le Seigneur Jésus nous propose de vivre une grande et belle amitié avec lui, pas une soumission. Il veut que je sois ami avec toute la force, la beauté et la grandeur que ce terme peut avoir quand on le prend au sérieux. Pour un adulte, le baptême n’est pas une autorisation à communier ou à faire parti d’un club, mais le premier acte d’amour d’un Dieu qui se fait mon ami, mon prochain, et qui me regarde avec amour et compassion.
La foi de Marthe
Le deuxième regard dans lequel il nous faut entrer, c’est celui de Marthe. Elle est bien, Marthe, car elle n’est pas vraiment la première de classe. Marthe, souvenez-vous, c’est celle qui s’agitait autour des petits gâteaux pendant que sa sœur avait choisi la meilleure part. Marthe c’est celle qui vient se plaindre auprès de Jésus et lui fait des reproches : « Si tu avais été là, mon frère ne serait pas mort ». Et pourtant, quelle foi se dégage de ses paroles. Marthe, même si elle a du mal, même si comme à un ami elle fait des reproches à Jésus, elle a d’abord une grande confiance dans la puissance de Dieu. On la comprend tellement, Marthe. Elle a perdu son frère, et son ami — dont elle a bien compris que c’était un prophète — n’a rien fait. Et pourtant, petit à petit, Marthe, celle qui râle, se laisse conduire par Jésus à la foi c’est-à-dire à la confiance envers lui. « Oui, Seigneur, je le crois : tu es le Christ, le Fils de Dieu, tu es celui qui vient dans le monde ». Elle dit cela parce qu’elle a entendu les paroles de Jésus : « Moi, je suis la résurrection et la vie ». Elle croit. Elle décide de croire. De même qu’aimer c’est d’abord se décider, croire c’est d’abord se décider à croire. Elle décide de faire confiance à Jésus. Jésus lui repose la question plusieurs fois : « Crois-tu cela ? » “Veux-tu croire que je suis capable de faire toute chose nouvelle ? ». Oh bien sûr, sa foi n’est pas parfaite, et Jésus doit s’y reprendre à plusieurs fois pour lui faire comprendre. Mais qu’importe. Elle croit.
Frères et sœurs, notre foi c’est précisement cela, croire comme Marthe que Jésus est la vie véritable. Croire, sans voir, que Jésus peut nous donner la vie véritable. Croire que notre vie n’est pas simplement dans nos mains, mais dans celles de Dieu. Croire que la mort n’aura pas le dernier mot. Ce chemin de foi, nos catéchumènes l’ont commencé et vont continuer à le faire toute leur vie. Et nous qui sommes de plus vieux baptisés… nous laissons-nous guider par Jésus comme Marthe le fait, pour apprendre à croire avec plus de force que Jésus est la Résurrection et la Vie ? Voulons-nous croire ?
Le regard de Lazare être délié.
Tout cela pourrait rester bien théorique si l’on n’entrait pas aussi dans le regard de Lazare. Et Lazare, il pourrait jouer dans un Disney qui s’appellerait « Le roi des sables »… Je vous fait le pitch :
C’est un gars qui est mort et qui ressuscite et, en sortant du tombeau, il crie d’une voix nasillarde : « Libéré, délié je ne mourrai plus jamais », et il se jette dans les bras de Jésus son ami.
En effet, à la fin de l’Évangile on nous dit : « Déliez-le et laissez-le aller ». Parce que l’histoire de Lazare est sympa… mais elle n’a de sens que si elle nous concerne aussi. Ainsi donc, face à Lazare qui gît dans ses bandelettes, il nous faut nous demander : de quelle mort nous parle cet évangile, de quelle gloire, de quelle puanteur, de quelles larmes, de quelle foi, de quelle libération est-il question ?
Pauvre libération si elle n’est qu’un retour à la vie d’avant… Tu crois que ce n’est qu’à ça que Dieu t’appelle : revivre ta vie indéfiniment ? Pauvre de toi si ton espérance s’arrête là. Jésus t’appelle à beaucoup plus, à sortir de ta mort, de ton tombeau, de ta puanteur, mais alors qu’est-ce qui pue, qu’est-ce qui tue, qu’est-ce qui t’enferme et dont Jésus Christ te délivre ? C’est le péché, car l’ultime conséquence du péché c’est la mort, c’est de ça dont nous parle cette page d’Évangile : du péché qui te tue à petit feu, du péché qui pourrit ta vie et la rend puante comme la mort, de ce qui dans ta vie te conduit lentement mais sûrement vers moins de vie, ou en tout cas vers une vie plus pauvre, plus misérable. Le péché, ce n’est pas tant une catégorie morale oscillant entre le bien et le mal, entre ce que tu dois faire et ce que tu dois éviter, c’est une catégorie vitale, il y a l’Esprit de Dieu qui te donne la vie et des choix mortifères qui te tirent vers le bas, vers le fond du tombeau.
Alors, chers amis, entrer dans le regard de Lazare c’est pendant ce temps de Carême choisir d’être délivré, libéré par la puissance de l’Esprit en entendant de la bouche d’un prêtre : « Tes péchés sont pardonnés ». Voilà une résurrection pour nous. Voilà une nouvelle vie pour notre baptême. La confession c’est un peu comme un nouveau baptême où l’on reçoit une belle douche d’Esprit Saint. Alors nous qui sommes baptisés depuis longtemps… quand allons-nous être libérés, délivrés par la puissance de l’Esprit ? Quand irons-nous nous confesser ? Le regard de Jésus nous y encourage car il nous offre son amitié. Le regard de Marthe nous aide à le croire en profondeur. Le regard de Lazare enfermé dans ses bandelettes nous permet de prendre conscience de sa nécessité profonde. Alors nous pourrons chanter : Libéré, délivré, désormais plus rien ne m’arrête ! Amen