Le Roi et la Croix … et moi ?

Cette messe des Rameaux ressemble à ces moments où dans nos vies tout peut basculer. Par un simple coup de fil l’allégresse se change en détresse. Par un mot déplacé, l’amitié devient inimitié. Par une trahison soudaine la passion conduit à l’aversion. En ce dimanche des Rameaux tout bascule : la palme qui acclame le Sauveur se transforme en croix. Le manteau jeté sur le sol pour l’acclamer est jeté sur un homme blessé et humilié. La foule qui l’acclamait le condamne.

Tout cela est tellement représentatif de notre vie : nous acclamons le messie joyeusement, nous sommes heureux de lui faire confiance, c’est le Fils de Dieu, il vient nous sauver, nous voulons le choisir comme Roi. Mais peu à peu il nous gêne, la vie qu’il nous demande devient difficile, trop exigeante : « mon père, on veut bien Jésus mais bon, l’Église vous savez… » Alors on finit par le rejeter, par le rejeter violemment. On s’enthousiasme pour la joie chrétienne mais on refuse la croix. À la première difficulté ou contradiction on se demande si Dieu nous en veut, on se dit que finalement on fait le mauvais choix, qu’on a misé sur la mauvaise équipe.

C’est sûr, au plan humain l’histoire qui nous est offerte aujourd’hui ressemble à un redoutable fiasco. Accueil triomphal, dans la gloire. Mieux que Johnny qui entre dans le Stade France en hélico. Puis, quelques jours plus tard : mise à mort dans l’indifférence. Le héros d’un jour est méprisé et oublié.

L’amour qui donne sa vie

Ce qui me frappe dans la liturgie de ce jour c’est la liberté du Christ. Jamais personne ne le force à venir à Jérusalem, il y vient librement. Et malgré l’enchaînement des évènements il paraît être le maître de tout ce qui se passe, il semble que rien ne lui résiste : pas même l’ânon laissé là par la providence comme pour lui ou le porteur de la cruche. Même la trahison ne le surprend pas. 

Pour comprendre ce qui se joue ici, il nous faut revenir au sens du mot « passion ». Quand on parle de passion, il y a celle des sentiments qui passe inexorablement. Il y a aussi celle de la souffrance qu’illustre l’Évangile d’aujourd’hui. On y pense un peu trop peut-être en entendant cet Évangile. Si Jésus souffre, c’est à notre place pour nous arracher à elle. Il y a enfin la passion au sens d’une action. C’est peut-être un peu paradoxal, mais Jésus est le maître de tout ce qui se joue, il agit avec précision. Il se laisse prendre, insulter, supplicier, crucifier. Il choisit de se laisser faire. Il choisit d’aimer. Se joue ici le drame de l’amour entre Dieu et son peuple, entre le Christ et sa ville de Jérusalem. « Voici celui qui vient au nom du Seigneur ». 

C’est peut-être ce qu’il y a de plus essentiel en ce dimanche des Rameaux et de la passion. L’amour de Jésus ne passe pas par des torrents de paroles ou d’affection, mais par le don de sa vie. « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime ». Oui frères et sœurs, nous acclamons et nous croyons en un Dieu qui a choisi de mourir avec nous et pour nous par amour. « Dieu n’est pas venu supprimer la souffrance, mais l’habiter de sa présence ». Voici l’inouï de la foi chrétienne. 

Qui suis-je en ce dimanche de la passion ? 

En écoutant un si long évangile nous pouvons être déboussolés par le nombre et la diversité des personnages et leurs réactions si variées face au Christ qui donne sa vie : 

Il y a les disciples qui préparent la Pâques, et le Maître qui s’apprête à la célébrer. 

Il y a les douze qui s’attristent et se mettent à douter. 

Il y a Jacques et Jean qui sombrent dans le Sommeil. Il y a Pierre qui promet puis rejette.

Il y a Judas qui embrasse et trahit. Il y a la foule qui crie et violente. Il y a ce jeune homme qui de peur s’en va nu. Il y a les lâches qui giflent et crachent. Il y a le grand prêtre qui interroge et vocifère. Il y a les chefs des prêtres qui cherchent un faux témoignage pour le faire accuser. Il y a le coq qui chante et Pierre qui pleure. Il y a Pilate qui juge sans la moindre justice.

Il y a Barabbas libre et Jésus enchaîné. Il y a le crime dehors et la vie humiliée. Il y a la foule qui crie et demande la croix, Les soldats qui se moquent et posent une couronne d’épines, et Simon de Syrène portant la croix bénie. Il y a un larron enragé qui l’insulte, et Jésus qui prie le Père qui n’abandonne rien. Il y a le centurion qui voit et qui confesse. Il y a des femmes qui suivent et servent. Il y a Joseph qui mendie le corps tandis que Marie et Marie-Madeleine observent fidèlement. 

Dans toute cette foule aux côtés du Christ qui donne sa vie par amour, qui livre son corps, il y a chacun de nous. Il y a moi, il y a vous. Face au Christ en sa Passion, je peux choisir.

Je peux choisir de suivre ou de m’enfuir.

Je peux choisir de dormir ou de prier.

Je peux choisir de haïr ou d’aimer.

Je peux choisir de maudire ou de pardonner.

Je peux choisir d’obéir ou de me rebeller.

Je peux choisir de souffrir ou d’éviter.

Je peux choisir de mourir ou de ressusciter.

Je peux choisir Jésus ou Barrabas.

Je peux choisir de suivre le Christ en sa passion.

Je peux choisir le Christ et sa résurrection.

Je peux choisir le Christ.

Choisir le Christ.