La nuit et la foi

Dans les meilleures scènes de James Bond ou d’autres bons films d’action, le gentil héros britannique capturé par les méchants terroristes se retrouve enfermé dans une sombre prison, dans la cale d’un bateau sentant fort l’humidité, plongé dans le noir complet. Il se réveille, sonné de son arrestation. Heureusement, Q, l’expert en gadget lui a implanté sous la peau une bonne petite allumette au Sodium lui permettant d’explorer, à la lueur de cette flamme vacillante le noirceur du cachot et d’y trouver, de manière inespérée, la lueur d’un salut ! Car la lumière, c’est vital ! Qui d’entre nous n’a jamais trébuché sur un objet laissé par terre lors d’un réveil nocturne, marchant à talon dans la chambre pour trouver l’interrupteur et allumer la précieuse lumière ? 

Notre vie chrétienne peut ressembler à cette démarche nocturne et vacillante : où nous faut-il aller ? Que devons-nous faire ? Suis-je vraiment chrétien, car je ne ressens rien… 

Bref, nous sommes un peu comme l’Aveugle de l’Évangile, sur plein de questions de notre vie. Sauf que lui, il n’a rien fait, il est aveugle depuis sa naissance, il ne peut pas voir la lumière. Il est mis à l’écart de la communauté et tous se demandent d’où vient cette tare qui l’empêche de voir. 

Le baptême et la lumière de la foi 

Pour mieux comprendre cette évangile, c’est une vraie grâce d’avoir parmi nous des catéchumènes qui seront baptisés à Pâques. Leur yeux sont déjà partiellement ouverts à la lumière du Christ. Si chacun d’entre eux pouvait nous raconter son histoire, nous serions sans doute saisis par leur rencontre singulière avec Dieu. L’Aveugle de l’Évangile est un peu de ceux-là. Il met du temps à comprendre qui est Jésus : de prime abord, c’est celui qui lui a mis de la boue sur ses yeux et l’a envoyé à la fontaine de Siloé. Avec les années, bien que nous soyons baptisés depuis longtemps, nous pouvons peu à peu ressembler à cet aveugle qui ne sait pas très bien qui est Jésus. 

D’une certaine manière, nous sommes toujours cet Aveugle de Siloé qui a besoin d’être illuminé par le Christ. Peut-être que nous ne découvrons plus l’Évangile ou l’enseignement de l’Église avec le même émerveillement que des catéchumènes ou des néophytes le découvrent. Mais nous devons certainement apprendre à faire le lien entre l’Évangile que nous connaissons bien et notre vie concrète d’aujourd’hui. Voilà peut-être notre aveuglement. En effet, nous sommes parfois tellement préoccupés par notre réussite personnelle, professionnelle, familiale, par notre épanouissement ou notre bien-être (petite parenthèse : pour le bien-être, je vous conseille le spa c‘est bien mieux que l’Église…), par notre développement personnel — je suis effrayé de voir le nombre de rayons qui portent ce nom-là dans les magasins… Eh bien nous sommes tellement « éclairés » par cela, que nous en devenons aveugles aux appels du Seigneur. Car les lumières de la fortune immobilière et de la réussite professionnelle sont brillantes mais éphémères. Je suis sidéré, dans les rencontres que je fais avec des fiancés entre 20 et 30 ans, par leur rapport au travail, et je me demande parfois s’ils veulent épouser leur patron ou leur fiancé(e)…

Recevoir la lumière du Christ

En ce dimanche, le Christ offre la lumière de la foi à ceux qui veulent bien la recevoir. Parce que cette Lumière, elle s’est faite chair. Elle a habité parmi nous. « Le Verbe, qui était la lumière véritable » (Jn 1, 9), s’est adapté à la faiblesse de notre regard. Il a voilé sa splendeur éblouissante. Il l’a tamisée en prenant notre chair. Dès lors, en écoutant le Christ, en regardant le Christ, en imitant le Christ, nous comprenons mieux qui est Dieu, qui nous sommes et ce que Dieu attend de nous. Nous savons où aller et nous savons comment y aller. Par son enseignement et par ses exemples, le Christ, notre Lumière, nous fait voir toutes choses sous leur vrai jour. Il éclaire les événements de notre vie. Il leur donne un sens.

Et pour qu’elle produise son effet, il faut veiller à ne pas utiliser de miroir pour la renvoyer, mais la laisser faire son œuvre en nous. Au plus profond de nos vies, pour qu’elle révèle l’ombre et la lumière de notre propre vie. 

Oui, mon cœur est compliqué. Ses plis et ses replis, ses intentions et ses réactions, sont une énigme non seulement pour les autres mais d’abord pour moi-même. Saint Augustin l’avait compris, lui qui écrit dans ses Confessions :  « Tard je T’ai aimée, Beauté ancienne et si nouvelle ; tard je T’ai aimée. Tu étais au-dedans de moi et moi j’étais dehors, et c’est là que je T’ai cherché. Ma laideur occultait tout ce que Tu as fait de beau. Tu étais avec moi et je n’étais pas avec Toi ».

Voilà pourquoi, spécialement en ce temps de Carême, il est bon de saisir la lampe qu’est le Christ et de descendre hardiment dans ce monde souterrain. J’y croiserai sans doute quelques jolis monstres des profondeurs — jalousie, rancune ou orgueil —, mais ce sont des monstres « photophobes », des monstres qui craignent la lumière, des monstres qui reculent devant la lumière. J’y discernerai les racines du mal, bien implantées en moi et toujours fécondes, mais aussi les semences de vie déposées par le Christ. Qu’il est difficile, mes amis, de démêler le bon grain de l’ivraie dans les mouvements de son propre cœur ! Parfois, un acte a toutes les apparences d’une belle action et pourtant il est vicié de l’intérieur par l’orgueil ou le désir de paraître. Parfois, une action maladroite, qui fait qu’on me soupçonne des plus noirs desseins, partait d’une excellente intention. Oui, le cœur de l’homme est compliqué et Dieu seul peut m’éclairer sur moi-même. Car « si l’homme regarde à l’apparence, le Seigneur regarde au cœur ».

Mais attention, cette lucidité doit être chrétienne, inspirée par l’Esprit Saint. Elle est toute douceur et elle conduit à la vie. Car elle ne révèle la misère qu’à la lumière de la miséricorde. Elle ne dévoile le mal qu’en proportion du pardon déjà offert.

Cette lucidité est aussi personnelle… Il ne s’agit pas d’être « lucide » pour les autres. Et de juger ou de condamner l’autre, à sa cravate ou à sa soutane, au fait qu’il se met à genoux ou qu’il lève les mains, qu’il sente mauvais ou qu’il sente bon.

Pour nous ce temps de Carême est un temps privilégié car le contact des catéchumènes nous interpelle : ils se sont laissé illuminer par Jésus, et nous ? Ne sommes-nous pas des vieux chrétiens un peu fatigués ? Cherchons-nous toujours la lumière qui vient de Dieu, la lumière intérieure ?

Recevoir la lumière, cela prend du temps. Il faut ouvrir notre capteur intérieur. Et pour cela, j’ai une solution concrète à vous proposer, en forme de défi : c’est celui de vivre la Semaine Sainte heure par heure. De vivre la semaine Sainte avec Jésus. En posant un jour de congé ou de RTT le vendredi saint, en décalant le départ pour une éventuelle maison de campagne, en annulant tel ou tel rendez-vous. Pour que pendant ce temps du Triduum Pascal, nous puissions vivre, chacun et ensemble, en communauté, heure par heure, pour Jésus et avec Jésus. Que nous choisissions, cette année tout particulièrement, alors que nous avons été longtemps privés de messes, de vivre le Triduum de Pâques à fond pour le Seigneur. 

Alors nous n’aurons plus besoin des Gadget de Q pour y voir clair, nous n’aurons « plus besoin de la lumière d’une lampe ni de la lumière du soleil parce que le Seigneur Dieu (nous) illuminera ». Amen