Parole ou Silence ?

Il y a quelques semaines, on me demandait « mon Père, faut-il tout dire ? » et en particulier « faut-il tout dire de ma vie passée à celle qui va devenir ma femme dans quelques mois ? ». C’est une vraie et bonne question. Car notre parole peut tout à la fois bénir mais aussi maudire et blesser. Dans notre monde médiatique, une parole bien placée ou mal placée peut « tuer » quelqu’un médiatiquement en un instant. On le sent bien dans la guerre en Ukraine que le terrain des déclarations et de l’information semble aussi important que celui des militaires. Dans un registre plus léger, quand on regarde des émissions comme « Un dîner presque parfait » ou « 4 mariages pour une lune de miel »… je suis frappé par la dureté des notes et des paroles. Souvent les participants semblent incapables de reconnaître la bonté des autres et ont des paroles dures les uns vis-à-vis des autres avec des notes toujours mauvaises. Parfois, au nom de la « vérité » les paroles se transforment en un flot de critiques et de remarques blessantes sans ménagement. 

 Si la Parole de Dieu est parfois tranchante, pour notre bien, la parole humaine, notre parole, est donc parfois blessante. Le Seigneur en ce dimanche nous offre un petit examen de conscience : « Ce qui sort de la bouche, c’est ce qui déborde du cœur ». Il nous faut donc réfléchir, dans la suite de l’Évangile de dimanche dernier qui nous appelait à la Miséricorde, sur le sens et l’opportunité de nos paroles, qu’elles soient orales, ou bien de nos jours par messages ou réseaux sociaux interposés. 

Voir le mal dans l’autre : le fléau de la médisance 

Ce dimanche, Jésus dénonce donc un fléau qui nous touche tous, de près ou de loin : la médisance. Nous passons beaucoup, beaucoup, beaucoup trop de temps à dire du mal. Quand nous étions enfants, au collège ou au lycée, mais je crois que ça continue encore dans les études supérieures, nous étions un peu des professionnels de la critique du prof. « Trop nul le prof de machin chose… » et dès qu’il faisait une petite erreur, dans son dos, à la cantine ou ailleurs, nous n’hésitions pas à largement répandre par la langue cela. En grandissant hélas, les choses ne s’arrangent pas, bien souvent. Ainsi à la machine à café du bureau : « Tu as vu le dernier mail du patron, de toute façon ce n’est qu’un homme aigri, qui ne mérite pas sa place ici, et puis je l’ai vu la semaine dernière faire telle chose ». En au bar du coin, avec ses amis, l’on passe plusieurs dizaines de minutes à répandre nos critiques sur tel politique, telle personne de mon bureau quand ce n’est pas ce genre de phrases aussitôt la messe terminée : « tu as vu le sermon du prêtre, il a duré 11 min 30, c’est beaucoup trop, au-delà de 7 min on ne peut plus écouter ; et puis les chants tu as vu, on les connaissait pas ». 

J’ai remarqué une chose : quand les gens veulent faire une remarque méchante, ils commencent toujours par « je vais être franc avec vous ». Ce qui est étonnant, c’est que ce n’est jamais pour vous dire « c’était formidable ce que vous avez fait »… Parfois sous prétexte de franchise, c’est juste de la médisance ou des critiques incessantes. Le Pape lui-même dénonce ce fléau. En évoquant l’arrivée d’une nouvelle personne au sein d’un groupe, il déclare : « Le premier jour, les gens parlent bien d’elle ; le deuxième, pas si bien ; et à partir du troisième, des ragots et des médisances commencent à se répandre et finissent par la détruire. » On pourrait continuer la liste longtemps tellement cette attitude de critique incessante de la société, de l’Église ou de nos frères est un fléau répandu parmi nous (je me mets dans le lot, je vous rassure). « Combien de fois nos communautés, et même nos familles, ne sont-elles pas devenues un enfer dans lequel nous tuons nos frères avec des mots  ? », nous interroge le pape François. A-t-on vraiment écouté l’Évangile : « Qu’as-tu à regarder la paille dans l’œil de ton frère, alors que la poutre qui est dans ton œil à toi, tu ne la remarques pas ? » ? Ou dit autrement : arrête de te préoccuper sans cesse de l’état de sainteté de ton voisin et occupe-toi un peu de toi ! Ragots, cancans, bavardages… « Voilà l’ennemi ! ».

La parabole de la poule et de la plume 

Pour comprendre pourquoi ces paroles en l’air sont une véritable malédiction, j’aimerais vous raconter une petite parabole. On la doit à un grand saint du 16ème siècle, Saint Philippe Néri. C’est un saint que j’aime beaucoup, car il avait beaucoup d’humour et était très moderne pour son époque. Un jour une femme vient le voir pour se confesser. Et elle avoue qu’elle dit souvent des méchancetés, qu’elle est très médisante. (C’est marrant, peu de gens confessent leur médisance de nos jours…) Le saint lui demande alors : « Et ça vous arrive souvent ? » « Oui, très souvent mon Père », répond-elle. Comprenant alors que cette femme avait besoin de comprendre la gravité de sa faute, et les conséquences désastreuses de ces actions légères, le saint lui dit : « Pour votre pénitence, voici ce que vous ferez : vous irez au marché voisin. Vous achèterez une poule récemment tuée et couverte encore de ses plumes. Vous vous acheminerez ensuite hors de la ville, jusqu’à un point déterminé, en faisant plusieurs détours, et en plumant la poule que vous tiendrez en vos mains pendant toute la durée de la promenade. Votre course finie, et la poule plumée, vous reviendrez me trouver pour me rendre compte » La femme s’exécute pieusement. Elle va dans le marché, achète une poule, la plume au hasard et revient voir le saint triomphante en disant : « Ça y est, mon Père, maintenant je peux recevoir le pardon ? » « Pas encore, ma fille, il reste quelque chose à faire : retournez à l’endroit où vous avez plumé la poule, refaites le chemin et récupérez les plumes de la poule que vous venez de dépouiller. La pauvre dame s’exclame : « Mais, mon Père, c’est impossible !! J’ai semé les plumes au hasard et le vent les a emportés loin d’ici. » « Eh bien ! Mon enfant, dit le bon religieux, les médisances sont comme ces plumes que vous renoncez à pouvoir rattraper une fois que le vent les a dispersées. Vos paroles funestes sont allées dans toutes les directions ; rattrapez-les maintenant si vous le pouvez ! ».

La puissance de la résurrection 

Ce qu’il nous faut invoquer ce dimanche, c’est la puissance la résurrection : « Ô mort, où est ta victoire ? » s’écrie saint Paul ! Car dans tout cela il y a une bonne nouvelle : le Christ est vainqueur par la croix ! Les puissances de la mort peuvent bien agir en ce monde, notre vie et notre langue sont appelées à être touchées par la puissance de la résurrection, à être transformées en profondeur par le Christ ressuscité. « Rendons grâce à Dieu qui nous donne la victoire par notre Seigneur Jésus Christ », nous dit saint Paul. Mais comme la grâce perfectionne la nature selon le mode de la nature… il est bon de nous entraîner un peu. 

Concrètement, je vous offre un petit exercice spirituel : chacun peut choisir une personne, qu’il a du mal à aimer ou qu’il critique souvent. Ensuite, dans la prière je demande au Seigneur de me révéler ce qui est bon en lui ou en elle. Ce qui est précieux aux yeux de Dieu. Puis quand, dans la conversation, on vient à parler de cette personne, alors, avec la force que Dieu me donne, je peux dire cette qualité là en lieu et place de la pensée mauvaise que je pouvais avoir. Ce n’est pas facile. C’est un exercice spirituel, auquel il faut souvent s’entraîner. Mais en faisant cela fidèlement nous deviendront des véritables « chrysostomes », des « bouches d’or ». 

La bonne nouvelle, c’est que le Carême qui commence ce  mercredi nous donnera un très joli terrain d’entraînement pour approfondir cette lutte contre la tentation de la médisance et peut-être pour la confesser !

Que le Seigneur, lui qui est la Parole faite chair, lui qui nous offre chaque jour sa bénédiction, nous aide en cette eucharistie à devenir nous-mêmes des apôtres de la bienveillance et de la bénédiction.