Misericordes sicut Pater !
Décidément, ces derniers dimanches, Jésus nous mène la vie dure. La semaine dernière il fallait chercher le bonheur dans la souffrance… et cette semaine il y a de quoi être révolté, en entendant les lectures, et se dire « oui de toute façon les cathos on se fait toujours marcher dessus et on ne dit rien ». « Des dindons de la farce ». « Tendre la joue droite à mon patron qui vient de me licencier ou quand l’Église est critiquée, c’est hors de question », « aimer celui qui vient de m’abandonner avec les enfants à charge, je ne peux le supporter », ou encore : « de toute façon elle m’a trahi, je ne lui pardonnerai jamais »… Ces petites réflexions extraites de notre vie quotidienne et entendues çà et là expriment en quelques mots la difficulté des lectures de ce jour. Jésus nous appellerait-il à être des naïfs qui se font marcher dessus dans un monde hostile et mauvais ? Marx aurait donc raison de croire que « la religion, c’est l’opium du peuple » qui le rend bien aveugle… D’ailleurs, le comportement de David dans la première lecture n’arrange pas les choses. David est traqué par Saul et son armée. Car la jalousie porte le roi à persécuter David. David craint donc pour sa vie et risque la mort à chaque instant. Se présente une occasion favorable puisque Saul dort. Il est à la merci de David mais, mystérieusement David prend conscience de la dignité de Saul : Ne le tue pas ! Qui pourrait demeurer impuni après avoir porté la main sur celui qui a reçu l’onction du Seigneur ? Cette étrange situation me fait penser aux méchants dans les films James Bond. Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais ils ont toujours 1000 occasions de tuer l’Agent Secret d’une balle bien placée et pourtant ils préfèrent toujours prendre le temps de le faire souffrir ou de lui offrir une mort spectaculaire. Résultat : James en profite pour s’échapper magnifiquement, en sauvant sa belle au passage.
Au plan donc de la tactique militaire et la stratégie de défense, la technique du Christ « aimez vos ennemis », « souhaitez du bien à ceux qui vous maudissent, priez pour ceux qui vous calomnient » ne semble pas avoir fait ses preuves…
Être miséricordieux comme le Père ?
Pourtant, dans notre vie quotidienne, on aime être soi-même l’objet de cette miséricorde. Quand, enfant, papa nous pardonne d’avoir cassé le vase de grand-mère. Quand, devenu adolescent, maman vous pardonne une phrase malheureuse que vous avez eu. Quand, adulte, votre patron vous fait à nouveau confiance alors que vous lui avez fait une crasse. Quand, dans le mariage, votre conjoint vous pardonne votre indélicatesse ou votre manque de patience.
Dans la vie spirituelle, on aime aussi goûter à cette sensation après une belle et sincère confession.
Êtes-vous vraiment convaincus, frères et sœurs bien aimés, que cette miséricorde que vous aimez goûter, s’adresse aussi et de la même manière au frère qui est à côté de vous ? À votre collègue de travail ou à votre voisin de palier ? À votre curé de paroisse ?
La Parole de Dieu n’est pas toujours qu’un bonbon acidulé, elle est tranchante comme un glaive et le Seigneur est un Dieu exigeant. L’oublier serait se méprendre. Le fondement de cette exigence de miséricorde se trouve dans l’acte de Dieu Lui-même.
« Soyez miséricordieux … comme votre Père est miséricordieux ». Le premier qui fait miséricorde, c’est Dieu. Le premier qui pardonne à ses ennemis, c’est le Seigneur : « Père, pardonne-leur : ils ne savent pas ce qu’ils font ». Quand Jésus parle d’aimer ses ennemis, il sait de quoi il parle. Mais chaque fois que je commets un péché, chaque fois que je préfère ma propre vision des choses, ma propre personne, à l’amour de Dieu ou du prochain… je deviens d’une certaine manière l’ennemi de Dieu.
« Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés ». Pour devenir miséricordieux comme le Père, il ne faut pas rater cette phrase du Notre-Père que l’on récite parfois un peu vite. Elle signifie que le Seigneur nous pardonne à la proportion de notre propre pardon. « La mesure dont vous vous servez pour les autres servira aussi pour vous ». On aimerait parfois éluder la seconde partie de la phrase « comme nous pardonnons aussi ». Le Christ, lui, pardonne à ceux qui le mette à mort injustement. Le Christ nous pardonne alors que nous ne cessons de le trahir. Le Père pardonne au peuple qui ne cesse de s’égarer sur les chemins de l’Exode et d’adorer les faux dieux. Et nous ? Où en sommes-nous ?
Facile d’être miséricordieux avec ceux qui sont au bout du monde. Mais l’exigence de la miséricorde chrétienne est un appel pour ici et maintenant. La miséricorde, comme prêtre je suis appelé à l’exercer au quotidien, vis-à-vis des collaborateurs de la paroisse, des confrères, des paroissiens, dans ma famille ou avec mes amis… La famille, le lieu de travail ou la paroisse sont autant de lieux où le Seigneur m’appelle à exercer la miséricorde. Je suis frappé de voir le manque de miséricorde dont on peut faire preuve au sein de l’Église. On en veut pendant 10 ans à Mme Bidule d’avoir dit ou fait telle chose. Par exemple on attend du prêtre une posture de perfection inatteignable. Il doit toujours être de bonne humeur, toujours attentif d’une manière égale à tous, toujours ouvert et délicat, qu’il ne s’énerve jamais, qu’il soit toujours d’accord, disponible quand on le veut… et on le critique allègrement dès qu’on le prend en défaut, quand on ne raconte pas à qui le veut savoir tous les défauts de celui-ci. N’ayons pas peur d’être miséricordieux les uns vis-à-vis des autres, y compris avec nos clercs ! Pour qu’on puisse dire de nous, paroissiens de Saint-Sulpice, « voyez comme ils s’aiment ».
Être miséricordieux comme le Père, c’est apprendre à dire du bien !
En ce sens, ce dimanche dans le « tous frères », notre curé nous exhorte à la bénédiction. Bénir littéralement c’est « dire du bien ». C’est tellement plus facile de dire du mal que de dire du bien, de médire que de bénir. Tellement plus facile d’être une langue de vipère que de contempler et de s’émerveiller. De voir le verre à moitié vide plutôt au lieu de se réjouir de ce qui est bien et déjà beau. Une phrase de l’engagement routier scout dit : « As-tu compris à travers l’amitié fraternelle et les rencontres que tu as faites avec nous au long de nos routes, que tout homme est un être unique et que dans le plus disgracié comme dans le plus obscur, luit cette étincelle divine qui mérite ton amour ? ». La miséricorde selon Jésus, c’est aussi savoir contempler ce qu’il y a de meilleur dans les personnes. C’est souvent la première étape du pardon : chercher dans l’autre ce qui mérite mon amour. Notre vie familiale, amicale, paroissiale ou professionnelle serait tellement plus belle si nous étions des contemplatifs de la beauté, de la bonté, de la grandeur d’âme des autres personnes. Le P. Henri nous dit dans son édito : « Dire du bien d’une personne qui ne nous est pas spécialement proche, peut parfois être le fruit d’un petit travail de décentrement de soi ou de lutte contre un petit sentiment de jalousie : c’est toujours bon pour la progression de notre vie spirituelle. Dire du bien d’une personne, c’est ne pas la réduire à ses limites visibles, mais chercher en quoi cette personne est aussi aimée de Dieu. Dire du bien d’une personne, c’est ouvrir un chemin de collaboration et d’espérance : quand Jésus déclare que le salut est entré dans la maison de Zachée le publicain, il rétablit Zachée dans la communion avec Dieu et avec les siens ».
Cette semaine, nous pourrions peut-être choisir résolument le chemin de la miséricorde par nos paroles. En débusquant en chacun de nos frères chrétiens ou non chrétiens cette étincelle divine qui mérite notre amour, et en étant capables de le dire aux autres ! Merci de votre présence dans cette église ce matin, merci pour votre engagement de prière et pour votre fidélité au Seigneur. Merci d’être chrétien et d’aimer votre paroisse. Que le Seigneur touche cette semaine notre langue pour qu’elle soit miséricordieuse !