La joie de ne pas être James Bond !

Je ne sais pas si vous connaissez bien les films de la saga James Bond, au fil de la série on découvre une chose : l’agent secret de Sa Majesté sait intuitivement tout piloter. Là où il faut à un pilote de l’Armée française plusieurs années d’entraînement pour apprendre à piloter un seul type d’appareil, lui, James, prend les commandes de n’importe quel engin avec une simplicité déconcertante. Par exemple, en 1983 dans Octopussy voilà James aux commandes d’un mini avion aux ailes rétractables de moins de 200 kg ; en 1997 dans Demain ne meurt jamais le voilà aux commandes d’un avion de chasse tchécoslovaque avec la même facilité. Mais il sait aussi piloter une navette spatiale (Moonraker), des voitures aux multiples options incongrues et de préférence dangereuses, des motos surpuissantes, un char d’assaut (Goldeneye), ou encore une voiture sous-marin dans L’Espion qui m’aimait. On pourrait continuer la liste longtemps. Mais en plus de cela, il parle 25 langues, connait les us et coutumes de tous les pays du monde, joue parfaitement à tous les jeux… bref, il a toutes les qualités (bon ok pas la chasteté…) et parfois il nous fait un peu envie (au moins aux hommes, qu’il rend jaloux !). D’autant plus que dans l’Évangile d’aujourd’hui, Jésus se prend pour sainte Thérèse, ou plutôt l’inverse : il veut tout faire — porter la bonne nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs une libération, remettre la liberté aux opprimés… bref, la totale. 

Et nous, pendant ce temps-là, sur le plancher des vaches, nous ne nous sentons ni vraiment aussi doués que James Bond, ni aussi désireux que Jésus Christ, empâtés que nous sommes dans les affaires de la terre et nos combats spirituels. En ce dimanche de la Parole de Dieu, j’aimerais donc vous offrir 3 pistes de réflexion spirituelle, à vous, les hommes et les femmes normaux !

La parole de Dieu est un don fait à ceux qui ne sont pas des héros 

Au risque de spoiler un peu la conférence qui suit la messe et que donnera l’abbé Philippe Cazala, je vous redonne très brièvement le contexte de la première lecture. Nous sommes en 450 avant Jésus-Christ, l’Exil à Babylone est terminé, le temple est reconstruit mais le moral du peuple n’est pas bon. Le peuple semble avoir perdu cette espérance qui a toujours été sa caractéristique principale. La vérité, c’est qu’il y a des séquelles des drames du siècle précédent. On ne se remet pas si facilement d’une invasion, du saccage d’une ville… On en garde des cicatrices pendant plusieurs générations. Il y a les cicatrices de l’exil lui-même, et il y a les cicatrices du retour. Pendant l’Exil à Babylone, le peuple avait tout perdu et le retour tant espéré n’a finalement pas été aussi magique qu’espéré. Alors pour dynamiser le peuple, pour le ressouder, lui redonner confiance, Esdras le prêtre et Néhémie le Laïc vont unir leurs efforts. Ils ont soigné la mise en scène et la liturgie. Ils proclament la parole de Dieu et dans l’homélie, invitent à la fête (vous voyez que l’on n’a rien inventé avec l’apéro de la fin de la messe à Saint-Sulpice !). Car la parole de Dieu qui s’accomplit en Jésus-Christ est véritablement un don fait pour le peuple de Dieu. Ce n’est pas rien, que l’Évangile soit encensé, honoré des cierges et du baiser. C’est une manière de signifier que cette parole doit être la source de notre attention, qu’elle rend présent le Christ lui-même. En fait, cela manifeste que la parole de Dieu est un cadeau, un don fait à ceux qui sont, comme le peuple, un peu dans le marasme de la vie « normale ». Cette parole de Dieu est donnée pour la joie : « La joie du Seigneur est notre rempart ». En ce dimanche de la Parole de Dieu, nous pouvons être attentifs au fait que le Christ nous parle dans cette parole, que le Christ est cette parole. En méditant la Parole de Dieu nous grandissons dans la joie de Dieu. Mais prenons-nous le temps d’écouter la Parole de Dieu ?

Prendre conscience du don de Dieu 

En leur temps Néhémie et Esdras ont compris qu’ils avaient reçu de Dieu un certain don pour se mettre au service du peuple de Dieu et de son unité. De même saint Paul, dans la très longue deuxième lecture, évoque les dons que nous avons reçus. Il dit en résumé : « À chacun son métier, mais souvenons-nous que nous avons besoin les uns des autres ». Je redirais cela autrement : « À chacun les dons qu’il a reçus, mais à tous la tâche de les mettre au service les uns des autres ».

Quelles sont les grâces, quels sont les charismes qui nous sont propres ? Aujourd’hui, nous voyons de plus en plus de jeunes de 25/35 ans qui se reconvertissent vers un métier qui donne du « sens » à leur vie. Et avec l’aide de coach, ils essaient d’explorer leurs désirs les plus profonds, leurs qualités, ou dit en langage chrétien, leurs charismes. Pourquoi ? Parce qu’à 15-25 ans ils étaient en mode pilote automatique : je réfléchis pas trop, et soit je profite des loisirs et des copains, soit je suis mon ambition… Mais jamais ils n’ont creusé qui ils étaient vraiment. Le Christ nous invite, avec le prisme de la parole de Dieu, à nous interroger : quels sont tes dons ? Qu’est-ce qui est fort en toi ? Quels sont tes talents naturels ? Ceux que tu as reçus dans la culture ou l’éducation ? Ceux que Dieu t’a donnés directement ? Les apôtres ont été « témoins oculaires et serviteurs de la parole ». Et toi ? Est-ce que tes charismes et tes dons, tu sais les mettre au service de l’Église ? Ou bien servent-ils simplement ton ambition personnelle ou professionnelle ? 

Tu n’as pas besoin d’être James Bond !

La bonne nouvelle, c’est que tu n’es pas obligé d’être James Bond. Pas obligé d’avoir tous les dons : « Tout le monde évidemment n’est pas apôtre, tout le monde n’est pas prophète, ni chargé d’enseigner ; tout le monde n’a pas à faire des miracles… ». Donc ne complexe pas de ne pas être super chanteur, super catéchiste, super maraudeur, super préparateur au mariage… Contente-toi d’être disciple du Christ et de laisser le Christ dévoiler tes talents. En fait il y a une question d’humilité. Parfois dans le milieu chrétien on est un peu écrasant les uns vis-à-vis des autres : « Comment ? Tu ne connais pas ce nouveau chant sorti à Paray l’été dernier ? C’est pourtant la base ! Comment ? Tu ne maîtrises pas la généalogie d’Esdras ? Tu ne fais pas de maraude chaque semaine ? Et tu n’as pas suivi le KT Calé 18 ! ». À côté de moi, il y a l’abbé Philippe Cazala, qui a fait de grandes études, parle hébreu, alors que je n’en connais pas un mot, lit le grec et le latin couramment, et en outre, c’est un puits de science biblique et historique… Et alors ? J’ai d’autres talents, et je ne suis pas James Bond. Si le Christ m’a consacré par l’onction au jour de mon baptême, ce n’est pas pour être un clone du père Philippe, ou de Jean-Paul. Il m’a choisi, appelé par mon nom pour être moi-même et non pas un autre. La véritable humilité, et le rempart à toute jalousie, c’est donc tout à la fois de reconnaître que nous ne sommes pas des James Bond qui savent tout faire, et en même temps que nous n’avons pas tous les mêmes dons et charismes. La joie de l’Église, c’est de pouvoir compter non pas sur des super héros, mais sur des chrétiens aux talents et aux charismes variés. Tous ont été consacrés par l’onction baptismale et fortifiés par l’Esprit. Mais tous ne porteront pas les mêmes fruits de grâce. Là-dessus, je crois qu’il faut beaucoup travailler à l’unité dans l’Église. Cette semaine nous prions pour l’unité des chrétiens. Nous pourrions prier à profit pour l’unité des catholiques. En particulier… je vous en supplie arrêtons, au nom du Christ, d’absolutiser ce qui nous plait à nous. Reconnaitre que telle chose porte du cœur dans notre âme ne veut pas forcément dire qu’elle portera le même fruit dans l’âme du voisin ! Cette diversité de l’Église et des charismes est bonne : « Il y a plusieurs demeures dans ma maison de mon Père », nous dit le Christ. 

En ce dimanche, le super Agent Secret de Sa Majesté peut donc ranger son Aston Martin au garage, car nous n’avons pas besoin de multiples talents pour être chrétien, nous n’avons pas besoin de tout savoir faire. Nous avons besoin de reconnaître ce que Dieu a déposé au cœur de nos vies, ce qui fait de nous des êtres uniques, consacrés par l’Esprit et envoyés en mission avec ce que nous sommes. Soyons humbles et réjouissons-nous de ce que nous sommes, ce sera déjà un grand pas spirituel ! Amen