Nous irons tous au paradis ?
En 1972 un certain Michel chantait quelque chose du genre : « On ira tous au paradis, même moi, qu’on soit béni ou qu’on soit maudit, on ira… Toutes les bonnes sœurs et tous les voleurs, toutes les brebis et tous les bandits. On ira tous au paradis ». Si on suit la logique de Polnareff, la seule question qui se pose pour nos apôtres préférés c’est de savoir s’il y aura ou nom des ouvreuses au Paradis. Ou dit encore autrement, si l’on peut réserver une place de choix, bien placée juste au centre, avec personne devant, comme au cinéma de nos jours ?
Mais un petit hic se dresse sur le chemin bien droit du processus de réservation, une petite phrase, jetée là par Jésus : « Pouvez-vous boire à la coupe que je vais boire, recevoir le baptême dans lequel je vais être plongé ? » Dit d’une autre manière : rendez-vous vraiment bien compte de ce qui va m’arriver ? Que ma vie n’est pas tout à fait celle décrite par Michel Polnareff ? Savez-vous ce que signifie être chrétien, savez-vous qui est le Christ ? Telle est la question pour comprendre nos actes, il faut mesurer leur valeur à l’œuvre de Jésus.
Offrir sa vie en rançon n’est pas simplement servir
Il y a ici deux tentations opposées. D’un côté, celle de vouloir à tout prix entasser le plus grand nombre d’actes de charité, de services, d’aides humanitaires, celle de brandir à tous points de vue la charité. De prêcher un amour réconciliateur dans les plus grands stades… qui risquent néanmoins de résonner un peu vides. Ce n’est pas cela, ressembler à Jésus. L’autre tentation, c’est celle de l’angélisme. Un angélisme sans doute un peu douché par le récent rapport Sauvé. Mais un angélisme quand même, qui consiste à voir le paradis partout, l’intervention de Dieu à tour de bras. La tentation de rester dans mon hamac au bord du lagon pour contempler les choses qui se déroulent devant moi en ne comptant que sur Dieu. C’est la vie chrétienne du béni-oui-oui.
Pour sortir de cette impasse, l’Évangile nous offre en ce dimanche une petite définition de l’œuvre de Jésus : « Le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi mais pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude ». « Donner sa vie en rançon ».
Servir pour Jésus, ce n’est pas multiplier les actes de charité divers et variés, ou encore faire le ménage à l’Église et aller rencontrer les plus pauvres… mais c’est bien plutôt donner sa vie en rançon. Donner sa vie, c’est le bel idéal de la jeunesse qui veut se consacrer à sauver la France, en devenant militaires pour certain(e)s, qui veut sauver la planète en s’engageant dans le combat écologique, qui veut défendre la vie de la veuve et de l’orphelin. C’est beau. Certains même, comme le colonel Arnaud Beltrame, l’ont réalisé au sens propre, c’est-à-dire au péril et au coût de leur vie. Mais pour Jésus, il ne s’agit pas juste de donner sa vie. Il s’agit également de la donner en rançon. Qu’est-ce qu’une rançon ? C’est une monnaie d’échange.
L’amour a un prix, le prix de la croix, le prix que Jésus a payé pour arracher l’humanité au pouvoir du mal et de satan. L’amour devient précieux quand il donne à fond perdu. Quand il donne tout, sans réserve, sans option, sans assurance. Jésus a voulu vivre de cet amour-là. Sans réserve.
Arrivés là, nous voilà bien loin de l’innocence de Polnareff, loin également de l’enthousiasme de Jacques et de Jean. Serait-ce donc impossible ?
Vouloir ce que Dieu veut
Pourtant Jésus « adapte » notre manière de lui ressembler en commandant à ses disciples : « Celui qui veut devenir grand sera votre serviteur ».
La vraie grandeur, nous dit Jésus, consiste à servir. Comprenons bien: Jésus ne dit pas «remplacez votre appétit de grandeur par le désir de servir», mais bien «la vraie nature de la grandeur que vous désirez ne consiste dans rien d’autre que le service». Il n’y en a jamais eu d’autre que celle-là. Tout le reste est grandeur illusoire.
Dans la Bible, le Seigneur ne cesse de se mettre Lui-même au service : n’est-ce pas lui qui disposa les arbres du jardin au service des hommes ? N’est-ce pas lui qui après le péché, s’improvise couturier pour faire un vêtement à Adam ? N’est-ce pas lui qui au désert se fait boulanger pour donner à manger à son peuple ? N’est-ce pas lui qui, la veille de sa passion, prend le tablier de serviteur pour laver les pieds de ses disciples ?
Tous les dirigeants des chaînes hôtelières ont fini par comprendre que ce qui leur permet de s’étendre toujours plus, c’est la qualité de leur service. Plus leur service sera clean, plus ils seront des professionnels du service, plus ils auront des clients. Jésus invite donc, en bon dirigeant, ses cadres dynamiques à porter l’accent sur la qualité de leur service : celui qui voudra devenir grand, se fera serviteur. Parce que servir, c’est donner de sa personne. C’est cela qui rend l’âme grande. Parce que la vraie grandeur consiste à élever l’autre et non pas à l’écraser.
Concrètement, comment entrer dans cette dynamique ? En écoutant la prière d’ouverture de la messe : « Dieu éternel et tout puissant, fais-nous vouloir ce que tu veux, et servir ta gloire d’un cœur sans partage ». Vouloir ce que Dieu veut. Vouloir servir comme Dieu le veut et pas comme je le veux.
La vie chrétienne n’est pas d’abord une suite de cases à cocher pour obtenir son ticket vers le ciel comme une bonne place au cinéma. C’est tout l’art du discernement. Y compris dans un service d’Église. À quel service le Seigneur me veut-il ? Comment puis-je « renoncer à moi-même », livrer ma vie par amour concrètement ? Nous ne pouvons pas livrer notre vie exactement comme le Christ, en rançon.
Dans la vie de l’Église, il y a ici une vraie clé : comment puis je me laisser interpeller par le Seigneur, par la bouche de mes frères dans l’Église, pour accueillir le service que Dieu me demande d’accomplir… et qui n’est pas forcément celui auquel je pensais. Ni celui que je pratiquais depuis quelques années.
Ainsi donc, en ce dimanche, le chemin du Paradis ne s’avère pas tracé par Michel Polnareff, mais bien ouvert par Jésus. Notre joie consistera à petit à petit lui ressembler, à notre niveau, en servant et en discernant quelle est sa volonté, en discernant à quel service le Seigneur nous appelle. « Dieu éternel et tout puissant, fais-nous vouloir ce que tu veux, et servir ta gloire d’un cœur sans partage, par Jésus le Christ notre Seigneur. »