Confiance et obéissance

Chaque jour je venais au bord du chemin sans que grand monde ne fasse attention à moi à la sortie de Jéricho, près de la porte de Jérusalem. Le soleil se levait autour, j’en sentais les rayons sur moi. Mais hélas je ne pouvais le voir : aveugle que j’étais depuis si longtemps. J’avais entendu dire qu’il était là, celui dont on disait qu’il annonçait un règne nouveau, qu’il guérissait les malades et relevait les pécheurs. On disait même qu’il avait déjà guéri un aveugle un peu plus au Nord, à Bethsaïde, en Galilée… S’il l’a déjà fait peut-être pourrait-il le faire pour moi aussi. Si seulement il pouvait passer par là. Au fond de mon âme résonnait encore cette parole du prophète Isaïe « Alors les sourds ce jour-là entendront les paroles d’un livre et, délivrés de l’ombre et des ténèbres, les yeux des aveugles verront » (Is 29, 18). Mais pourquoi s’intéresserait-il à moi ? Comment parler à un homme si demandé, entouré d’une foule toujours plus nombreuse ? Je ne suis pas très intéressant, je suis de ceux que la loi juive exclut du culte et du temple, ceux dont on se demande si ce sont les parents ou eux qui ont péché. 

Au loin j’ai entendu comme le grondement d’une foule qui arrivait. Soudain j’ai tressailli au dedans de moi : le maître va passer. Mais comment le rencontrer ? Comment me signaler ? Sans réfléchir davantage, j’ai crié : « Fils de David, aie pitié de moi », avec une force que j’ignorais en moi. Avec le recul je me demande pourquoi j’ai crié cela. Peut-être que cela venait de lui. La foule semblait s’arrêter, j’entendais sans y croire cette phrase « Appelez-le »… Était-ce bien de moi qu’il parlait ? Paralysé par le peur, je n’osais pas bouger. La foule m’a encouragé : « Confiance, lève-toi, il t’appelle ». Alors sans rien y voir j’ai couru, et j’y suis allé, m’orientant d’un sixième sens que je ne me connaissais pas.

Confiance, confiance… comment pouvais-je avoir confiance ? Depuis des années, voilà que j’étais paralysé par la peur. Pourquoi le maître se serait-il arrêté pour moi ? Pourquoi un petit aveugle de Jéricho l’aurait-il intéressé ? 

Redécouvrir la confiance 

Cette question posée par l’Aveugle de l’Évangile doit nous interroger. Pourquoi faire confiance à Dieu ? Pourquoi faire confiance tout court ? Nous sommes dans un monde de la défiance permanente et du contrôle. Quand quelqu’un nous donne une info, le premier réflexe de beaucoup d’entre nous est d’aller sur Internet pour vérifier ou démentir. Un autre sport devenu à la mode, c’est de remettre en cause la parole de l’un ou l’autre en lui opposant ce qui se dit sur Internet ou ce que quelqu’un d’autre à dit. On demande à Doctissimo de contredire ce que le médecin nous a dit 5 minutes avant. On va sur Aleteia pour contredire l’homélie du prêtre… On voit même certains couples où il faut tout se dire, dans une transparence absolue au point de supprimer toute intimité, parce qu’on a peur de ce que l’autre pourrait dire ou faire sans nous. Ce monde du soupçon permanent est dur. On le doit aussi à ces hommes publiques, politiques ou d’Église, qui ont trahi la confiance de diverses manières. Serait-ce donc que la confiance a déserté nos sociétés ? Pourtant, chers amis, la confiance est indispensable à la foi. 

Faire confiance. Voilà une belle qualité spirituelle. Faire confiance c’est avoir un présupposé positif sur l’autre personne. C’est la regarder avec bienveillance. C’est chausser les lunettes du Christ et partir du principe que l’autre est bon. Pour faire confiance, il faut plusieurs conditions. Il faut d’abord connaitre l’autre personne, et lui reconnaitre une compétence, une qualité. Frères et sœurs, cette démarche demande un effort auquel nous devons consentir. Apprenons à nous faire confiance les uns les autres pour grandir dans l’amour et l’estime mutuels. 

Confiance en Dieu parce qu’il nous aime 

Mais si je vous parle de confiance humaine c’est pour mieux en venir à parler de Dieu. Qu’est-ce que la foi sinon la confiance aimante en Dieu ? Est-ce si facile de faire confiance au Seigneur ? Bien sûr, nous croyons que le Seigneur nous aime. Nous le disons dans nos prières. Mais croyons-nous, comme l’aveugle de Jéricho, que le Seigneur nous aime avec ce que nous sommes ? Combien de fois dans les rencontre que je fais, j’entends de jeunes adultes me dire combien ils ont peur de l’appel de Dieu. Ils se disent que s’ils écoutent vraiment Dieu ils ne maîtriseront plus leur vie. Alors on déserte la vie chrétienne par peur. 

Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, à la suite de saint Paul, nous offre des lignes magnifiques sur la confiance en Dieu. Ce que je ne peux pas faire moi-même, Jésus le fera. Il me prendra et me montera lui-même au sommet de la montagne de l’amour. On nous dit souvent, et avec raison que nous sommes misérables et pécheurs, et ensuite on nous dit que Jésus est bon. Mais on ne dit pas assez que Jésus est infiniment bon, qu’il est charité infinie. On ne nous a pas dit avec assez d’insistance qu’il était Sauveur avant d’être Juge, et que dans le cœur de Dieu, « Justice et Paix s’étaient embrassées ». La vie en entreprise ou à l’école, avec ses évaluations incessantes, la suspicion permanente que les médias entretiennent, nous habitue à regarder nos laideurs, à voir ce qui ne va pas dans nos vie. Nous ne regardons pas assez la puissance de la vie divine. La guérison de l’Aveugle dans l’Évangile de ce jour est une démonstration que « rien n’est impossible à Dieu ».

La confiance en Dieu passe aussi par l’obéissance à Dieu. 

Si rien n’est impossible à Dieu, si Dieu nous aime avec bonté, alors nous pouvons l’écouter et lui obéir. La prière d’ouverture de la messe disait tout à l’heure : « Dieu éternel et tout-puissant, augmente en nous la foi, l’espérance et la charité ; et pour que nous puissions obtenir ce que tu promets, fais-nous aimer ce que tu commandes. ». Fais-nous aimer ce que tu commandes. Nous demandons dans cette messe à aimer ce que Dieu commande. Nous demandons, finalement, d’aimer lui faire confiance. Si je veux devenir champion de natation ou boulanger professionnel, il me faut passer par une phase de formation où mon maître d’apprentissage ou mon coach m’aide, me stimule, et me demande de faire des choses sans que j’en comprenne tout à fait le sens. Dans la vie avec Dieu c’est parfois la même chose. Dieu ne nous demande pas de tout connaître, de tout comprendre, il nous invite à lui faire confiance. Lui sait. Lui maîtrise toute chose de l’histoire et du temps. Pas nous. Lui nous fait parfois passer par des chemins qui ne sont pas les nôtres. Que nous n’aurions pas pris. Et pourtant, confiance, confiance, confiance et abandon. Dieu est un ami qui nous veut du bien. Dieu est un ami qui nous aime et veut notre joie. Si je n’avais pas fait confiance à Dieu dans les jours d’épreuves comme dans les jours de joie, je ne serais pas prêtre et je ne serais pas devant vous pour vous parler ce soir. 

« Confiance, lève-toi, il t’appelle ». Frères et sœurs bien aimés, en ce dimanche soir, osons choisir la confiance dans nos relations de chaque jour pour sortir un peu du monde du soupçon permanent qui est épuisant et mortifère, et n’ayons pas peur du Seigneur. Il est un ami qui nous veut du bien. N’ayons pas peur ! Il nous aime, et ce qu’il nous commande est un chemin de vie. « Confiance, lève-toi, écoute sa voix ».