La pauvreté d’un gendre idéal

Voici quelqu’un digne du salon des mariages et des couvertures de magazines. C’est un jeune homme à succès. Pensez vous son CV est impressionnant : bonne famille du 6ème, lycée et prépa à Stan, grande école de commerce, a monté sa start-up qui cartonne à Paris ; il a un peu hérité de sa famille (cela ne gâche rien) et pour couronner le tout il chante au chœur Saint-Sulpice, se confesse une fois par mois et a décidé de participer aux veillées Dieu en Plein Cœur un jeudi sur deux ! En plus de cela il est beau gosse, bien coiffé, et habillé avec soin. De quoi faire rêver Marie-Catherine pour enfin caser sa fille Marie-Caroline avec quelqu’un de bien… Ce jeune homme, c’est celui de l’Évangile que nous venons d’entendre : il un CV parfait. À faire pâlir de jalousie chacun d’entre nous. Et pourtant… Pourtant il lui manque quelque chose pour entrer dans la suite du Christ. 

Suivre Jésus pour vivre

Il est plutôt bien parti, le jeune homme riche. Même dans sa conversation avec Jésus. Il parle à Jésus d’homme à homme, en vérité, sans fard. Il veut aller loin, haut, fort. Il a de l’ambition, de la bonne ambition : il veut vivre, vivre d’une vie qui ne soit pas soumise au temps, à la misère, à la maladie, il veut « la vie éternelle ». Là, Belle-Maman se dit que c‘est décidément un gendre idéal, un gars parfait. À l’avenir assuré. Et Jésus lui-même est touché par la sincérité de la demande de ce jeune homme. Par son désir de bien faire. Son désir d’être saint. Au point que l’évangéliste nous dit : « Jésus fixa sur lui son regard et il l’aima ». Quelle joie sans doute pour cet homme de se sentir aimé par Jésus. Regardé avec confiance et émerveillement. Jésus lui offre son amitié, Jésus lui tend la main, Jésus lui offre cette vie à laquelle il aspire de tout cœur.

Ne rien préférer à l’amour du Christ 

Et pourtant, et pourtant… cette page d’Évangile laisse un goût amer, un goût d’inachevé : « il s’en alla tout triste », un peu comme un garçon qui s’est pris un râteau de la part de celle qu’il convoitait. En fait, le problème de notre jeune homme c’est qu’il n’a pas réussi à choisir Dieu avant. Il voulait avoir la belle voiture, la jolie femme, le travail sympathique, le bel appartement et Dieu en sur-couche. Une sorte d’extra bonus. Un « plus » . Nous voudrions que le Christ soit dans notre vie un bien parmi d’autres, le plus beau sans doute, mais un bien en plus des autres. Sauf que cela ne marche pas : il nous demande d’être prêts à tout laisser pour lui. Il est le bien que l’on ne peut pas posséder si on n’est pas prêt à lui sacrifier tous les autres. Voilà l’enseignement de cet Évangile. Jésus veut toute la place dans notre vie. En fait, il nous demande de remettre les choses dans le bon sens : ne rien préférer à l’amour du Christ. L’Évangile nous invite à regarder vers le ciel, vers la vie éternelle. Notre ambition de chrétiens n’est rien de moins que cela : la vie éternelle. Il ne s’agit pas de sacrifier sa vie pour une glace ou un macaron, mais pour la vie et la vie en abondance. Pour un amour qui comble bien au-delà de notre désir le plus grand. 

Car la vie chrétienne n’est autre que cela : prendre au sérieux cette ambition, ce but, et mettre Dieu au centre de sa vie. Concrètement, à quoi pensez-vous en premier le matin ? Aux nouvelles ânonnées par la radio ? À votre copain/copine, à votre femme/mari, à fiancé(e) ? À votre travail ? Qu’est-ce qui occupe votre esprit et vos préoccupations ? La première chose du matin. Et si c’était le Christ ? Un bon père spirituel m’avait dit : « Un pied deux genoux ». Quand tu entends le réveil tu mets un pied par terre et tout de suite deux genoux pour commencer la journée. Ne serait-ce qu’un signe de croix. Une bonne manière de commencer vraiment sa journée avec le Christ.

Un esprit de pauvreté 

Cette suite radicale de Jésus passe par le fait de refuser certaines formes de sécurité. Les biens du jeune homme sont son « assurance tout risque », sa sécurité. Des sécurités, nous en avons tous. Ce sont des groupes d’amis, des réseaux de connaissances, une famille, de l’argent, un statut social, une école que nous avons faite. Jésus nous dit avec une grande radicalité : « tu t’entreras pas dans le royaume si ton dos est encombré de bagages et de sécurité. Tu n’entreras au ciel que pauvre et faible ». Et de fait, face à la mort, le plus grand des rois et le plus pauvre des sdf sont égaux. En ce dimanche, je vois trois conséquences à cet esprit de pauvreté que prêche Jésus. 

D’abord, que le dépouillement que vit notre Église ces temps-ci, avec les révélations terrifiantes de ces derniers jours, est une forme de pauvreté que nous devons porter. Nous ne choisissons pas ce que d’autres ont commis d’irréparable. Nous devons porter la pauvreté de notre Église avec foi et confiance en Dieu. C’est sans doute une croix bien lourde. Mais de la croix jaillit la lumière divine. 

D’autre part, cette pauvreté est aussi la nôtre. Chacun de nous est un pauvre. Par son péché, par son histoire, par ses blessures, par ses manquements ou ses erreurs. Notre pauvreté, nous dit Jésus, est comme la condition d’accès à la joie du ciel. Nous ne pourrons goûter à la joie de Dieu qu’en prenant conscience que nous avons besoin d’être sauvés. Notre faiblesse n’est pas un problème pour Dieu à partir du moment où nous avons l’humilité de nous en remettre à lui. Cette pauvreté est parfois une chance. Je ne suis pas un super héros, je ne suis pas un super chrétien, je deviens petit à petit mendiant de la Miséricorde de Dieu. 

Enfin, un rappel : que l’argent doit toujours être un moyen et non pas une fin. L’argent doit être liquide, c’est-à-dire fluide, il doit passer. Il y a un vrai danger, que l’on soit jeune ou moins jeune, à chercher à thésauriser. Je vois des jeunes qui sont incapables d’exercer la charité pour offrir un café à un ami et qui du même temps s’achètent une moto pour leur plaisir personnel. L’argent fluide, l’argent qui passe, c’est un moyen, pas un but. Ce que nous avons reçu, nous sommes appelés à le donner. Heureux qui donne avec joie. Ce n’est pas un simple slogan de prêtre avant de faire la quête, c’est une réalité profonde. Est-ce que je suis capable de donner avec joie ? De donner en abondance ? 

En ce dimanche, ne soyons pas des gendre idéaux, mais devenons des mendiants de l’amour de Dieu. Nos pauvretés sont comme la condition de l’entrée au ciel, qui est le but véritable de notre vie. N’ayons pas peur de regarder vers le ciel, c’est là que notre joie sera parfaite.