Effata !

J’ai découvert cette semaine une scène étonnante du cinéma américain. Elle vient du film « Matrix », sorti en 1999. On y voit un homme, M. Anderson, enfermé dans une salle d’interrogatoire où deux agents semblent vouloir l’interroger. Aucune musique. Aucune parole. Mais plusieurs gestes : un dossier qui tombe, une chaise qui bouge… Le silence est pesant. L’effet artistique cherche à donner un poids substantiel à la première parole prononcée. 

C’est un peu comme l’évangile d’aujourd’hui : alors que toute la foule est suspendue à ses lèvres, alors que Jésus a déjà guéri de nombreuses personnes par une simple parole, il déploie là tout un protocole (pas très « covid friendly » d’ailleurs, avant d’enfin prononcer la parole qui change tout : « Effata », c’est-à-dire « ouvre-toi », ou « sois ouvert » littéralement. Il abuse en plus, Jésus, il aurait pu le dire en grec, comme tout le monde… mais non, il faut qu’en plus il parle en araméen.

Accueillir le Christ comme le Messie annoncé 

Pour comprendre ce que fait Jésus dans l’évangile, il faut comprendre au moins deux choses : 

D’abord, que les gestes de puissance qu’il accomplit ne sont pas d’abord destinés à la foule, puisqu’il prend bien soin de mettre le sourd muet à l’écart. Tout est fait de telle sorte que nous puissions comprendre, de nous-mêmes, ce que signifient ces guérisons. Si Jésus met les doigts dans les oreilles du sourd, c’est pour qu’il puisse entendre la parole de Dieu. Figurez-vous que ce geste un peu incongru… vous l’avez tous vécu au jour de votre baptême quand le prêtre vous signant les oreilles a dit : « Effata, c’est-à-dire ouvre-toi, le Seigneur a fait entendre les sourds et parler les muets, qu’il te donne d’écouter sa parole et de proclamer ses louanges pour la gloire de Dieu le père ». Ce qu’il s’agit d’entendre quand Jésus ouvre les oreilles, frères et sœurs, ce n’est pas le dernier tube de l’été « Petrouchka » (heureusement, diront les plus cultivés d’entre nous !) ou « Vroum Vroum »… Ce qu’il nous faut entendre c’est la parole de Dieu. Jésus lui-même. Voilà pourquoi le Christ ouvre nos oreilles. 

Ensuite, ceux qui me connaissent bien savent que j’apprécie particulièrement la saga du Seigneur des Anneaux. Dans le second tome, intitulé Les deux tours, on peut entendre cette phrase prononcée par Gandalf le blanc : « Attendez ma venue aux premières lueurs du cinquième jour. À l’aube, regardez à l’est. » C’est ce que feront Frodon et Sam : attendre, espérer la venu du Sauveur. Voilà une attitude qui consonne bien avec l’espérance du peuple juif dont la première lecture se fait l’écho. « Alors se dessilleront les yeux des aveugles, et s’ouvriront les oreilles des sourds. Alors le boiteux bondira comme un cerf, et la bouche du muet criera de joie ». Ces signes du Royaume, doivent accompagner la venue du Sauveur. Lorsque Jésus effectue la guérison d’un sourd muet… il vient montrer au monde qu’il est ce sauveur attendu. Qu’il ne s’agit plus simplement d’attendre le sauveur… mais encore de l’écouter.

La première attitude spirituelle de ce dimanche, c’est donc bien d’accueillir la Parole du Christ comme une parole vivante pour nous. Parfois nous avons les oreilles spirituelles un peu bouchées par nos idées préconçues, par nos petits plans humains. En ce début d’année, il est bon de demander un grand coup d’Esprit Saint pour nous déboucher un peu les oreilles et nous laisser toucher par le Christ. Avez-vous remarqué qu’au cours de la messe, au moment de la proclamation de l’Évangile, nous nous signons sur la tête, la bouche et le cœur pour que la parole de Jésus irrigue notre intelligence, inspire nos paroles et pénètre notre cœur… peut-être pourrions-nous être attentifs à la réalité spirituelle de ces gestes de la liturgie.

Accueillir l’autre  

Accueillir le Christ comme le Messie annoncé, c’est beau et grand. Mais peut-être que le Christ, en disant « Effata, ouvre-toi », nous invite aussi à nous ouvrir les uns aux autres. Je suis frappé de voir comment, à la fin de cette belle messe du dimanche soir, nous nous saluons peu. Une belle partie de l’assemblée s’enfuie à toutes enjambées. Je crois que nous pourrions également entendre ce « Ouvre-toi », comme une invitation à s’ouvrir à la réalité de mon voisin. Cette maladie de l’homme de l’évangile était une forme d’enfermement sur soi… une maladie qui nous concerne sans doute bien plus qu’on ne veut le croire. 

 Nous avons une église très grande… c’est une chance et un défi. Nous pouvons facilement rester anonyme les uns aux autres et il est clair que la « distanciation sociale et physique » liée au Covid, ainsi que les masques, ont un peu flingué notre capacité à nous ouvrir à l’autre. Cela demande donc un véritable effort. Quand j’étais étudiant, j’ai eu la chance de m’investir dans une paroisse où j’ai petit à petit connu des gens de toutes les générations : des enfants, des ados, des étudiants, des jeunes mariés, des célibataires, des pères et mères de famille, des retraités. Au bout de plusieurs années dans la paroisse j’avais la vive conscience d’appartenir à une communauté, à une fraternité. Cette expérience m’a touché. Il n’y a guère de différence entre accueillir le Christ et accueillir son voisin de messe comme un frère.

Cette année j’aimerais bien vous inviter à faire un véritable effort de sortie de messe : sortir de notre torpeur, et ouvrir notre bouche pour parler à notre voisin, pour le découvrir. Chacun d’entre nous a dans le cœur une étincelle divine qui mérite l’amour de l’autre, encore faut-il que l’autre s’intéresse à nous !

Très concrètement, je vous en supplie, au nom du Christ, ne partez pas de la messe comme des voleurs ou à l’anglaise. Prenez quelques instants sur le parvis pour discuter, demander le prénom d’untel, ce que fait votre voisin… Ok il n’a pas votre âge, ni peut-être votre sensibilité spirituelle, mais vous avez communié au même pain. Vous avez communié au même Corps du Christ. Soyez comme cet homme de l’évangile qui ne peut retenir sa parole pour dire à tous qu’il a été guéri par Jésus. Ne soyez pas des sourds muets les uns avec les autres… C’est crucial ! 

Pour vous aider, cette année, nous allons mettre en place régulièrement des apéros de sortie de messe… faites l’effort d’y rester !

Ne pas pouvoir se taire ! 

Dans le monde, il y a des bavards et des silencieux. Vous aurez sans doute remarqué que j’appartiens plutôt à la première catégorie. Si le sourd-muet guéri ne sait contenir sa joie dans un silence qu’il lui paraît alors impossible de tenir, ce n’est pas simplement pour dire sa joie d’avoir été guéri : c’est aussi que sortir de l’enfermement ouvre à une perspective nouvelle. Notre monde a besoin d’entendre parler du Christ. Notre évêque le dit dans sa lettre pastorale sortie hier : nous nous réjouissons du dynamisme de nos paroisses parisiennes qui réunissent 100 000 fidèles chaque dimanche… mais que faisons-nous pour les 2 100 000 autres parisiens qui ne demandent rien ou pas grand-chose à l’Église ? 

Frères et sœurs, dans l’état actuel des choses, nous ne pouvons plus ignorer l’urgence d’annoncer au monde la présence du Christ. Comment allons-nous rendre compte à nos colocataires, à nos amis, à nos collègues, aux personnes que nous allons rencontrer dans notre immeuble ou ailleurs, de ce que nous avons vécu ce soir à la messe ? Serons-nous des sourds-muets délivrés, ou resterons-nous non seulement sourds à ce que peuvent nous dire nos voisins de messe, mais également muets face aux 2 100 000 parisiens qui ne connaissent pas la joie du Christ ? 

Pour nous aider cette année nous avons la joie d’avoir trois colocations missionnaires dans la paroisse. Trois étudiants qui vont habiter au presbytère, et six jeunes professionnels qui habitent rue Jean Bart. Ils ont choisi en parrallèle de leur vie d’études ou de travail, de mettre leurs compétences et leur charisme au service de la mission paroissiale. Ils ne veulent pas être les sourds-muets de notre génération. Alors nous allons prier pour eux. Nous allons demander à l’Esprit Saint de les bénir. Ils vont, avec vous, avec les paroissiens, monter des projets cette année pour la Gloire de Dieu et le Salut du monde ! Je vous les confie ! Priez pour eux ! 

Ainsi donc, frères et sœurs, en ce dimanche ne soyons pas des sourds muets, osons accueillir le Christ comme notre Sauveur. En accueillant le Christ, laissons-nous interpeller pour accueillir nos frères dans le Christ. Osons, enfin, ouvrir notre bouche pour annoncer l’Évangile du Christ. J’ai confiance en vous ! Effata, c’est-à-dire ouvre-toi ! Le Seigneur a fait entendre les sourds et parler les muets, qu’il vous donne d’écouter sa parole et de proclamer ses louanges pour la Gloire de Dieu le père !