Le choix de Dieu ?

Cette semaine, des élèves partout en France vont entendre quelque chose du même genre que ce que Dumbledore, le directeur de l’école de Poudlard, dit au début de la saga : « Je vais vous énoncer quelques points du règlement intérieur. Les premières années doivent savoir qu’il est formellement interdit à tous les élèves de pénétrer dans la forêt. D’autre part, notre concierge monsieur Rusard m’a chargé de vous rappeler que l’accès au couloir du troisième étage de l’aile droite est également interdit. À moins que vous ne teniez absolument à mourir dans d’atroces souffrances. »… Dans chaque école ou entreprise, le règlement intérieur est constitué d’un plus ou moins grand nombre d’articles stipulant le plus souvent ce qui est interdit de faire… Des « fais pas ci, fais pas ça », diront les plus anciens qui connaissent Jacques Dutronc, qu’il ne faut surtout pas transgresser au risque d’être sanctionné… 

La vie chrétienne serait-elle une longue règle morale ? 

Mais est-ce ainsi qu’il faut envisager la vie chrétienne ? Être chrétien, est-ce devenir un clone d’Hermione Granger au début de la saga : cette insupportable madame je-sais-tout qui rappelle à l’ordre quiconque ne respecte pas le règlement. N’en déplaise aux médias ou à un certain nombre de nos contemporains, être chrétien ce n’est pas d’abord respecter une règle morale. Autrement dit, le baptême n’est pas la signature du règlement intérieur de l’école « Église catholique ». 

Alors pourquoi donc la première lecture nous a-t-elle mis en scène l’engagement solennel des israélites à suivre ces commandements, et pourquoi donc quelques minutes plus tard nous avons entendu Jésus qui semblait les jeter avec l’eau du bain ?

Pour comprendre ce qui semble être un brusque changement d’attitude il nous faut parler, chers amis, de la pédagogie de Dieu. Les préceptes de pureté rituelle de la loi visaient à inscrire dans la chair du Peuple de Dieu, dans sa vie la plus profonde et ordinaire, au cœur de sa vie, la réalité de l’Alliance avec Dieu, la réalité du choix de Dieu : le choix que Dieu a fait de son peuple et le choix que le peuple doit faire en faveur de son Dieu, en rupture avec tous les faux dieux. Pour marquer cette rupture avec le monde païen, avec le monde qui ignore Dieu et refuse la communion avec lui, la loi commande toutes sortes de séparations concrètes, censées symboliser la séparation radicale d’avec le monde de la mort et des idoles. Elle commande la mise à part de ce qui est sacré, symbole de communion avec Dieu. Elle veut ainsi marquer la singularité de la vocation du peuple de Dieu, consacré au milieu des nations pour rendre un culte au seul véritable Dieu et entrer en communion avec lui.

Le reproche de Jésus aux scribes et aux pharisiens est celui d’une inversion. Là où les prescriptions de comportement visait un choix de Dieu, une attitude intérieure, elles sont devenues pour eux une finalité. « Ce peuple m’honore des lèvres, mais son cœur est loin de moi. C’est en vain qu’ils me rendent un culte ; les doctrines qu’ils enseignent ne sont que des préceptes humains. Vous aussi, vous laissez de côté le commandement de Dieu,  pour vous attacher à la tradition des hommes. » Ils se contentent d’appliquer la règlement à la lettre. Ils ressemblent à Agnan dans la série Le Petit Nicolas : « Le premier de la classe et le chouchou de la Maîtresse » qui fait toujours bien tout comme il faut… pour respecter le règlement. Ils sont impeccables de l’extérieur. De bons petits chrétiens du centre de Paris, habillés bien comme il faut, qu’on peut identifier de loin comme catholiques. Mais ils en oublient l’attachement premier, le choix de Dieu. 

En réalité, les commandements du Seigneur ne ressemblent pas franchement aux règlements de nos écoles ou en tout cas, il ne faut pas chercher à les voir comme cela. 

Pour comprendre, relisons ensemble un passage de la première lecture : « Vous les garderez, vous les mettrez en pratique ; ils seront votre sagesse et votre intelligence aux yeux de tous les peuples. Quand ceux-ci entendront parler de tous ces décrets, ils s’écrieront : ‘Il n’y a pas un peuple sage et intelligent comme cette grande nation !’ » Peut-on parler ainsi à propos des règlements de nos écoles ou entreprises, qui précisent avec moults détails les horaires, la tenue vestimentaire, etc… ?

Moïse, dans la première lecture, fait référence à ce que l’on appelle les « 10 commandements » mais que nous devrions plutôt appeler les 10 « paroles ».

10 paroles contre le fanastisme. 

Ces Paroles de Dieu sont d’abord données pour la vie. Les commandements de Dieu sont comme une miséricorde, une grâce : Dieu nous parle comme pour nous donner des repères de vie. Les commandements du Seigneur sont un peu comme les poteaux en hiver sur le bord de la route qui indiquent aux automobilistes le bord de cette même route.

Le Seigneur nous dit : « Je t’ai fait par amour ; si tu suis cette voie, tu seras heureux, mais ne suis pas cette voie extérieure seulement ».  Ne reste pas entre les poteaux de la route juste pour rester entre les poteaux. Être chrétien selon Jésus, ce n’est pas d’abord une pratique extérieure. Ce n’est pas d’abord multiplier les signes extérieurs de chrétienté, bien qu’ils soient nécessaires en certaines circonstances, mais c’est bien un attachement du cœur. Il est possible pour un mari d’écouter les consignes de son épouse sur le rangement de la cuisine par obéissance extérieure : comme ça je n’aurai pas de problème ; ou par amour : c’est une marque d’amour que de mettre en pratique ce que mon épouse a prévu. 

Avec le Christ, c’est la même chose. Le véritable commandement, ce n’est pas de rester au milieu de la route, bien inscrit dans le règlement, mais de suivre le Seigneur. Nous ne sommes pas sauvés par la loi de Dieu elle-même mais par Dieu en personne, par la qualité de la relation profonde et intime avec lui. Nous risquerions de devenir des fanatiques — et c’est cela que pointe Jésus dans l’Évangile — à croire qu’il « suffirait » d’appliquer « bêtement » les prescriptions morales pour suivre Jésus. 

Les saints, en réalité, sont des gens d’une grande liberté, d’une grande créativité. Heureusement qu’ils ne se sont pas contentés de faire toujours « comme avant » bien sagement assis. Les commandements du Seigneur sont comme un espace de liberté pour nous aider à trouver notre propre chemin de disciple. 

Je veux t’aimer sans cesse… 

L’enjeu dans le monde chrétien, c’est donc de suivre Jésus. Et c’est une bonne « résolution de rentrée ». Mais la suite de Jésus, tout comme le chemin de l’amour ou du mariage, exige non pas simplement une idée… mais des actes concrets. Peut-être que parmi vous, il y en a un certain nombre qui ont vécu la belle aventure qu’est le scoutisme et qui se souviennent avec plus ou moins de nostalgie de leur dernier grand camp d’été. Il y a un chant scout qui mérite en ce début d’année toute notre attention car il est le contraire de la logique hypocrite et pharisienne. C’est le chant de la promesse. « Je veux t’aimer sans cesse, de plus en plus, protège ma promesse Seigneur Jésus ». Dans le scoutisme, au jour de sa promesse, vers 12 ans, un scout s’engage à aimer de son mieux le Seigneur, à le suivre. Et c’est sans doute cela la véritable attitude chrétienne : vivre une relation personnelle d’amour avec le Seigneur et le suivre… non pas par ses propres forces mais avec la puissance de Dieu.

Le début de l’année scolaire est souvent l’occasion des bonnes résolutions du genre « je m’inscris à la salle », « je rentre moins tard du boulot », « promis cette année, je ne m’y prends plus à la dernière minute pour les examens… »… Et si notre résolution de rentrée, c’était de prendre au sérieux ce chant de la promesse que nous chanterons à la fin de cette messe, pour en faire notre règle de vie de cette année ? Je veux t’aimer sans cesse, de plus en plus, protège ma promesse. Tout en sachant que l’amour ne se dit pas, il se vit, se montre et s’incarne. 

Ainsi donc en ce dimanche, le sinistre règlement intérieur de Poudlard se mue en une promesse d’amour : cette année Seigneur, « je veux t’aimer sans cesse, de plus en plus… Protège ma promesse, Seigneur Jésus » !