Nous sommes l’Église ! (Solennité de la Dédicace)

Qu’on se le dise ! Il y a une sorte de paradoxe entre ce que nous fêtons en ce jour, la dédicace de cette église Saint-Sulpice, une église de pierre, et ce que les textes de la Parole de Dieu viennent de nous donner à entendre. Car nous fêtons aujourd’hui la Dédicace de l’église Saint-Sulpice. En effet, le 30 juin 1745, avec toute la solennité qui convient à cette fête, un cortège de clercs et d’évêques venait consacrer cette église. Pas moins de 41 évêques étaient ici réunis pour cette célébration grandiose.

Que signifie « consacrer » ? Cela veut dire mettre à part. Quand je consacre une église, je dis que désormais ce bâtiment ne sera plus simplement un hall de gare ou une salle de réunion, mais qu’il est dédié à Dieu tout entier. Et ce à l’issue d’un rite solennel, d’un ensemble de rites qui ressemblent fort à ceux du baptême : on a aspergé d’eau bénite les murs de l’église, puis on a consacré les piliers de l’église pour signifier que chaque centimètre carré de cet édifice est désormais orienté vers Dieu. Ce qu’il y a de commun entre notre somptueuse église Saint-Sulpice, avec ses artistes célèbres qui l’ont décorée, et la plus modeste des églises contemporaines, ce n’est ni le style architectural, ni la qualité de ses orgues… mais bien que ces deux églises ont été mises à part pour glorifier le Seigneur. La dignité de notre église tient d’abord à cela. Elle n’est pas un musée, mais le lieu de la sanctification du peuple chrétien ! 

Nous sommes l’Église

C’est une belle chose, mais nous passerions à côté du sens de la fête d’aujourd’hui si nous en restions à un bel anniversaire inscrit dans les livres d’histoire. « Soyez les pierres vivantes qui servent à construire le temple spirituel » nous dit saint Pierre dans la première lecture. En réalité nos églises de Pierre ne sont que le pâle reflet d’une réalité spirituelle plus grande et plus belle encore : nous sommes, en tant que chrétiens baptisés dans le Christ, les pierres de la construction de l’Église. Ce n’est pas en vertu de notre propre qualité, mais c’est bien plutôt parce que chacun de nous a, par le baptême, été associé au Christ « la pierre angulaire ». 

Comme prêtre, on entend trop souvent « l’Église a dit ceci », « L’Église ne devrait pas dire cela », « l’Église fait trop de ceci ou pas assez de cela »… l’Église, l’Église, l’Église… Mais chers amis, l’Église c’est vous, l’Église c’est nous. Nous sommes le corps du Christ rassemblé. Nous sommes ce « Peuple de Dieu », cette « cité de l’Emmanuel » que nous avons chantée il y a un instant. C’est un peu facile et assez désengageant de distinguer l’Église de nous-mêmes. Ou plutôt, c’est une grossière erreur spirituelle et théologique. L’Église n’est pas un ramassis de prêtres et d’évêques dans un presbytère. L’Église c’est une famille. L’Église c’est un corps vivant et varié. L’Église c’est une épouse à aimer. Quand l’Église souffre nous souffrons, quand l’Église est dans la joie nous sommes dans la joie. 

Nous sommes chacun une pierre d’un édifice complet. Mais il y a des pierres de diverses sortes. Quand on bâtit une église de pierre, il y a des pierres qui se voient beaucoup car elles sont placées à un endroit stratégique ou visible, parce qu’elles sont joliment sculptées. Il y a aussi des pierres cachées, secrètes, des pierres qui ont été entassées là pour faire des fondations solides et que personne ne verra jamais. Les deux types de pierres sont aussi indispensables l’un que l’autre. Sans les pierres cachées, l’Église ne tiendrait pas debout, mais sans les dentelles de pierre, elle n’aurait pas beaucoup d’éclat. 

Diversité des membres, unicité du corps.

Si nous formons ensemble le corps de l’Église, nous ne formons pas une armée de clones identiques semblable à l’armée des clones du comte Dooku dans Star Wars épisode 2… tous identiques pour détruire ses adversaires. L’Église est d’abord un corps vivant et pluriel. Un corps constitué de membres qui sont différents les uns des autres. Comme pour les pierres de cette église, la diversité des membres de l’Église, la diversité de leurs goûts, de leurs charismes, de leurs âges, de leurs cultures… n’est pas un problème. Car l’unité de l’Église, frères et sœurs, repose non pas sur l’uniformité de ses membres, mais sur l’attachement de chacun au maître divin. 

Ce qui fait l’unité de cette église ce n’est pas l’unité des matériaux mais bien le fait que chacun serve à glorifier l’unique Seigneur. Nous avons le droit d’avoir des goûts liturgiques différents. Nous avons le droit de prier de telle ou telle manière, nous formerons le corps du Christ si nous sommes unis au maître divin. 

En effet, si dans l’ancienne Alliance tous les regards étaient tournés vers le temple — lieu d’offrande du Sacrifice, lieu où le croyant pouvait recevoir quelque chose de la présence de Dieu —, notre foi en l’incarnation consiste à croire que ce temple nouveau… c’est le Christ. Qu’il est Dieu lui-même au milieu de son peuple. Et c’est bien ce que nous célébrons à chaque eucharistie, sur l’autel de nos églises de pierres. Dieu se fait Présence, il est Présence, par le sacrifice unique de la croix que nous actualisons dans le mystère du sacrement de l’eucharistie, qui est mémorial de sa Passion et de sa Résurrection.

Il se fait Présence pour que nous devenions ce que nous recevons, à savoir lui-même, le Corps du Christ, lui le Temple nouveau, lui la Présence de Dieu au cœur du monde, aujourd’hui encore.

« Détruisez ce Temple, a dit Jésus dans notre évangile de ce jour, et en trois jours je le rebâtirai. » Et saint Jean d’ajouter : « le Temple dont il parlait c’était son corps »…

Si nous ne sommes pas des clones, si nous formons un corps particulier, c’est pour devenir à notre tour la présence du Christ dans le monde. Cette église de pierres n’a pas pour vocation d’accueillir une communauté enfermée sur elle-même qui se gargariserait de prier le Seigneur. Cette église de pierres est le témoignage de la foi vivante de nos anciens qui pendant plus de 130 ans se sont démenés pour trouver de l’argent pour la bâtir, pour l’embellir et pour l’entretenir. Ce qui a motivé nos bâtisseurs qui ont vu si grand, c’est d’abord l’annonce de l’Évangile. Notre communauté paroissiale, en cette fête de la dédicace, est appelée à devenir le témoin de cet Évangile dans le monde. En venant chaque dimanche à la messe dans une église, nous puisons à la source. En sortant chaque dimanche de l’église nous sommes envoyés en mission, invités à être la présence du Christ au cœur du monde. La présence du Christ dans nos immeubles, sur nos lieux de travail ou dans nos familles. Car depuis notre baptême, nous sommes nous-mêmes le corps du Christ ; au jour de notre baptême, nous avons été consacrés à Dieu, mis à part pour être son peuple particulier : témoin de Dieu dans le monde. 

Ainsi donc, frères et sœurs, la solennité de la Dédicace de l’Église est pour nous l’occasion de reprendre conscience que nous avons été consacrés comme cette église, mise à part pour être tout à Dieu, que nous formons ensemble l’Église, dans la diversité de nos charismes, l’Église où chacun est important pour constituer le corps tout entier, et que nous sommes appelés à être la présence de Dieu au cœur du monde. Amen