Intouchables ?

En méditant l’Évangile de ce dimanche, je me suis rappelé un des plus grands succès du cinéma français : Intouchables.  Et je me suis demandé à cette occasion pourquoi le titre du film était au pluriel et quel était son sens. Si vous vous souvenez bien du scénario, Driss, alias Omar Sy, un jeune de banlieue un peu paumé en quête d’un travail, se fait embaucher par un riche tétraplégique campé par François Cluzet. Tout oppose ce duo improbable si ce n’est une certaine insensibilité au monde de l’autre, mais au fil de l’histoire ces intouchables vont se laisser toucher. En fait Intouchables, c’est l’histoire d’une rencontre. Quand on bénit des fiançailles — et c’est le début de la saison des mariages pour les prêtres — on vient comme demander au Seigneur de fortifier un homme et une femme qui se sont laissé toucher l’un par l’autre .

Se laisser toucher… voilà bien quelque chose de difficile. Je ne parle pas du toucher physique qui nous est complètement interdit — norme sanitaire oblige depuis des mois. Mais même se laisser toucher dans notre cœur, c’est bien difficile… Pourquoi ? Parce que c’est montrer une certaine vulnérabilité. On n’aime pas se montrer vulnérable, on aime tout contrôler, tout maîtriser dans une société où il faut bien paraître. 

Se laisser toucher par Dieu

Et pourtant, frères et sœurs bien aimés, la vulnérabilité est la condition de l’amour. Quand on tombe amoureux on est précisément vulnérable. Bien souvent ce n’est plus la maîtrise et l’intelligence qui nous poussent mais le sentiment et la force d’attraction de l’autre. C’est ce qui fait qu’alors un jeune homme sera capable de prendre le train à 6h du matin pour retrouver sa belle, lui qui a bien du mal à se lever d’habitude pour aller en cours. En tombant amoureux, il a accepté de baisser les défenses et de se laisser toucher. De ne plus être intouchable. Je crois qu’il en va de même pour la foi. Croire, d’une certaine manière, c’est accepter de se laisser toucher par Dieu. Je me permets une confidence. J’ai été élevé dans une famille chrétienne, mais je peux vous assurer qu’à une certaine époque la messe m’ennuyait profondément si bien que je n’y allais que pour acheter la paix sociale familiale. J’ai commencé à être vraiment croyant le jour où j’ai accepté de me laisser toucher par Dieu en lisant la Bible et en priant personnellement. En faisant passer la foi d’un acte de rite extérieur, à une démarche personnelle. 

En touchant Jésus, la femme de l’Évangile s’est laissé toucher par Jésus. Elle a accepté d’abandonner quelque chose de sa protection pour mettre sa foi dans le Seigneur. Elle a accepté de ne pas avoir de certitude scientifique, mais de déposer sa detresse devant le Christ.  Bien souvent sans le vouloir nous posons des actes de foi, de confiance. Chez le médecin, dans les transports en commun, dans le travail ou en amitié. Nous acceptons de nous laisser approcher par l’autre parce qu’il nous veut du bien. Jésus dans l’Évangile d’aujourd’hui se présente comme celui qui guérit et relève. Il n’est pas d’abord un maître de vie morale mais un Dieu compatissant. Voilà ce qui me touche le plus dans la foi chrétienne que nous partageons : Dieu s’est fait homme, vulnérable, et il se laisse toucher par notre vulnérabilité. Je ne crois pas en un Dieu kafkaïen qui jugerait le monde de son fauteuil, mais en une personne, Jésus Christ, qui m’aime et qui dans sa vulnérabilité me montre le chemin de l’amour. 

Pour Jésus comme pour nous, oser être vulnérable, c’est oser s’exposer. C’est renoncer à être intouchable. C’est prendre le risque d’être atteint, blessé, déstabilisé même par la souffrance, la fragilité de l’autre, qui renvoient à ma propre fragilité… Quand on ose être et se montrer vulnérable, les autres osent exposer leur fragilité, sollicitent la compassion.

Notre foi touche le Seigneur 

La femme de l’Évangile vit un peu la même chose. Elle est dans une situation médicale un peu désespérée. Elle cherche par tous les moyens à en sortir. Elle est surtout considérée par son peuple comme impure en raison de ses pertes de sang. Elle a de quoi être jalouse de la situation des autres qui, eux, peuvent approcher Jésus. Elle aurait pu s’enfermer dans sa douleur. Mais elle a choisi une autre voie, celle de la foi. Elle a choisi de faire confiance au Seigneur, de faire l’effort de le rencontrer, d’espérer pouvoir toucher son cœur. Au fond de son cœur, malgré le côté un peu « magique » de son désir, ce qu’elle veut c’est approcher Jésus, c’est le rencontrer pour lui exposer sa vulnérabilité. Car dans l’amour comme dans la foi, la vulnérabilité est la condition de la rencontre. Lorsque nous posons un acte de foi, lorsque nous choisissons de faire confiance à Dieu que l’on ne voit pas, cet acte-là touche le cœur de Dieu. Frères et sœurs, avons-nous conscience que notre foi touche le cœur de Dieu ? « Va, ta foi t’a sauvé » dit Jésus bouleversé par tant de confiance. 

Toute la logique du film Intouchables s’inscrit dans cette dynamique : apprendre à se laisser toucher dans sa vulnérabilité, se laisser déplacer pour se laisser aimer. Ce n’est pas si facile de se laisser aimer tels que nous sommes, avec nos joies et nos faiblesses. Nous laisser aimer pour ce que nous sommes. C’est la promesse du Seigneur dans les rencontres de l’Évangile d’aujourd’hui : ta vie a beau être cabossée, blessée, courbée, le Seigneur te regarde avec espérance : « Talitha Kum » — « Ταλιθὰ κούμ » en grec : lève-toi ! Debout ! Confiance ! Moi le Seigneur je suis venu pour que tu aies la vie, pour que si tu me rencontres tu aies la vie en abondance, une joie plus grande, plus simple. Voilà le message de la foi. N’aie pas peur de me rencontrer. N’aie pas peur de la foi, moi je veux te donner la joie. 

Durant tout l’été j’aurai la joie de célébrer des mariages. Ces jeunes se sont préparés pendant toute l’année et je ne peux que les confier à votre prière. J’aimerais qu’ils puissent prendre conscience qu’en se mariant, ou en se préparant au mariage, ils acceptent de ne plus être intouchables. En se mariant devant Dieu ils acceptent de laisser leur vie être touchée par la grâce et la puissance de Dieu. Ils acceptent aussi de dépendre de Dieu dans leur vie. Se marier chrétiennement, c’est faire un plan à trois ! Avec Dieu au milieu ! En posant l’acte de foi de se marier devant Dieu, ils disent au monde : nous voulons compter sur le Seigneur dans notre relation d’amour. Nous voulons vivre un amour ouvert sur le monde, ouvert à plus grand que nous, car nous croyons que sur la croix le Christ nous a montré le chemin de l’amour véritable, en nous disant par sa vie : « il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime ». En se mariant ou en se préparant au mariage, ils décident non pas de quitter le monde « normal », mais comme cette femme de l’Évangile, de repartir dans le monde fortifiés de l’intérieur, conscients que leur vie prend désormais une tournure nouvelle car elle se voit fortifiée par le véritable Seigneur des Anneaux… non pas Sauron le Seigneur des ténèbres, mais bien Dieu lui-même inventeur du mariage.

Puissions-nous donc, frères et sœurs bien aimés, ouvrir notre cœur pour qu’il se laisse toucher, par notre foi et notre confiance en Dieu. Puissions-nous lui demander de venir nous aider à le rencontrer en vérité, en déposant devant lui nos vulnérabilités. Pour rencontrer le Seigneur, il ne faut pas être fort, mais au contraire accepter d’être faible, car c’est lui qui nous relève. Talitha Kum : lève-toi !

Amen.