Mes amis

Combien de chrétiens s’ennuient dans la vie chrétienne ? Combien dans notre société, voire dans notre assemblée, pensent que la foi chrétienne c’est d’abord un ensemble de valeurs dont on est un peu nostalgique, il faut l’avouer. Parfois c’est surtout une sorte de code de la route spirituel. Voir la vie chrétienne comme cela, c’est courir le risque de ressembler à Christian Clavier dans le film bien connu : Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu ?. Car en fait la foi chrétienne n’est pas constituée de choses à penser ou à faire. De certaines choses interdites ou d’autres autorisées. La foi chrétienne c’est un personne. La foi chrétienne c’est Jésus Christ. Nous sommes chrétiens si nous croyons non pas en des choses mais en répondant à sa question, « Pour vous qui suis-je ? », comme il nous le demande dans les évangiles.

Être chrétien c’est choisir de suivre le Christ. De devenir disciple de Jésus. Ami du Christ. La foi chrétienne c’est l’adhésion à Jésus en criant « mon Seigneur et mon Dieu » comme Marie-Madeleine à l’aube pascale. Être chrétien c’est prendre au sérieux ces paroles du Christ, si belles : « Je ne vous appelle plus serviteurs, [•••] je vous appelle mes amis ». Ces paroles sont inouïes. Elles sont la conséquence la plus profonde de l’Incarnation. Non seulement Dieu se fait proche, Dieu se fait homme, mais encore Dieu se fait l’ami. Seul Jésus pouvait nous offrir son amitié. Quel pauvre pécheur, tel que chacun d’entre nous, aurait imaginé cela possible ? Être l’ami du Sauveur ? Être l’ami du Roi des Rois ? du Seigneur des Seigneurs ? Étonnante, cette amitié entre un pauvre et un roi. Seul Dieu pouvait l’imaginer.

Pourquoi donc tant de chrétiens s’ennuient dans la vie chrétienne, se lassent ou décrochent alors ? Parce que beaucoup vivent une vie chrétienne centrée sur eux-mêmes. Leurs envies, leurs besoins ou leur ressenti. Vivre sa foi en fonction de ce que cela m’apporte de croire, c’est avoir l’assurance de décrocher un jour, au bout du compte. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’une amitié utilitaire, ça ne marche pas longtemps. Alors toutes ces phrases qu’on entend si souvent : « je ne ressens rien », « pas besoin de me confesser, moi », « l’Église dit cela mais moi je pense cela »… toutes ces phrases, centrées sur le « je », sont mortifères pour la relation avec Dieu.

En effet, si la foi est une amitié, il nous faut réfléchir à ce qu’est une amitié. Les plus jeunes d’entre nous, étudiants ou jeunes professionnels, ont parfois tendance à employer ce mot d’ami à tour de bras. On a ses amis Facebook, ses amis Instagram, ses amis de l’université, ses amis de la chorale. Au point que parfois, on appelle toute relation sympathique amitié. Pourtant l’amitié c’est bien plus profond que cela. L’amitié se rapproche du mariage et de l’Évangile de ce dimanche. Car dans l’amitié comme dans le mariage, l’amour ne se dit pas : il se prouve et se vit. Ce qui est beau dans l’amitié, c’est qu’elle nous invite à nous décentrer de nous-mêmes pour nous ouvrir aux besoins et aux désirs de l’autre, aux joies et aux peines de l’autre.  Certainement que les derniers moments intenses que vous ayez connus vous ont vu généreux, vous donner ou servir. L’amitié nous fait oublier notre petit nombril. Quand un ami vous appelle au milieu de la nuit en vous disant « j’ai besoin de toi », vous n’êtes pas en train de tâter votre pouls pour vous demander : « est-ce que j’ai envie ? », « Est-ce que je me sens dans cet état d’esprit ? ». Vous y allez. Et vous êtes heureux d’y aller. L’amitié véritable nous fait entrer dans cette dynamique du don de nous-mêmes. 

Et si on essaye d’appliquer cela à la vie de foi, maintenant : tout change. Regardez d’abord comment Jésus a vécu cette amitié, ce « il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime ? » Il est allé jusqu’au bout de l’amour, jusqu’à le plus complet oubli de lui-même… jusqu’à la mort. Comme toute amitié, celle de Jésus ne s’impose pas, elle se propose et s’expose : « Regarde jusqu’où je t’aime ».  Et sur la croix, quand il se donne Jésus nous crie avec force : « j’ai soif ». « J’ai soif de ton amitié en retour. J’ai soif que tu te donnes aussi. J’ai soif de ton âme ».

Vivre la foi comme amitié ce n’est pas être un sur-homme ou une sur-femme. Une sorte de force spéciale de la vie chrétienne. Parfois on me dit : « Mais mon Père, comment voulez-vous que je vive une amitié avec Dieu ? J’ai tellement de choses qui ne vont pas dans ma vie… » Vivre l’amitié avec Jésus, ce n’est pas d’abord vivre un effort moral. C’est surtout se laisser aimer. Se laisser aimer tels que nous sommes. Avec nos errances et nos faiblesses. 

Je vais vous faire une confidence. Il y a un passage de la Bible qui me touche beaucoup. C’est la rencontre de Jésus avec Pierre, après la résurrection. Pierre le premier des Apôtres, le premier de la classe qui s’est planté dans les grandes largeurs. Pierre qui est honteux et penaud de son reniement. Et qui se laisse aimer par Jésus, qui se laisse conduire et regarder par Jésus. Et quand Jésus rencontre les pécheurs de l’évangile, il offre son amitié avant d’inviter à une conversion : « Je dois demeurer chez toi » dit-il à Zachée. Chacun d’entre eux s’est laissé aimer par Jésus.

Une autre caractéristique de l’amitié mérite notre attention. C’est que le désir est fluctuant mais l’amitié vraie est fidèle. Je ne suis pas toujours hyper enthousiaste de voir tel ou tel ami. J’ai pas forcément 10 000 trucs à lui dire. Mais le simple fait de partager du temps ensemble, d’offrir du temps est essentiel à notre relation. Avec le Christ c’est la même chose. Notre prière est bien souvent aride… même pour les prêtres. Nous n’avons pas toujours ou pas souvent « envie ». Et nous n’y avons pas forcément beaucoup de consolation. Mais, vous voyez, l’amitié est une libération. On arrête de se demander si cela nous apporte quelque chose, on donne et cela suffit. On rend l’autre heureux et cela nous comble.

De la même manière, l’amitié véritable ce n’est pas un mi-temps, l’amitié ne peut être vécue qu’à fond. En entier. Car tout ce qui est vécu à moitié est décevant. L’amitié ne se négocie pas, elle ne calcule pas ce qu’elle donne. La foi vécue comme une amitié devient généreuse et féconde. Je prends tout, j’accepte tout, et je donne tout. Je fais confiance à Jésus, comme je fais confiance à un ami cher qui m’amène quelque part. Car l’amitié chasse la peur. Nous n’avons pas peur de ce que l’ami veut pour nous. De ce qu’il nous propose ou demande.

En ce dimanche le Christ nous rappelle que chaque jour il nous offre son amitié. Que chaque jour il nous appelle chacun « mon ami ». Que chaque jour il m’invite à la confiance de l’amitié et à l’oubli de moi-même. Car lui-même nous aime le premier. Loin d’une relation avec lui qui ressemble à celle de Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu ?, nous pouvons dire avec les mots de Saint Claude La Colombière : 

« Jésus, Tu es le seul et véritable Ami. Tu m’écoutes toujours avec bonté. 
Tu as le secret d’adoucir mes peines et de renouveler sans cesse mon espérance. 
Toi seul connais le fond de mon coeur. Comme l’Ami fidèle, Tu es mon puissant soutien :
 »celui qui Te trouve a trouvé son Trésor ». 
Toujours et partout Tu es avec moi : dans ton immense tendresse, Tu viens en mon coeur faire ta demeure.
Révèle la merveille de ton Amitié Divine  aux mals-aimés, aux désespérés, 
à tous les accablés de souffrances
.

Jésus, je suis si persuadé que Tu veilles sur ceux qui espèrent en Toi et qu’on ne peut manquer de rien quand on attend de Toi toutes choses, que j’ai résolu de vivre à l’avenir sans aucun souci 
et de me décharger sur Toi de toutes mes inquiétudes, puisque Tu n’abandonnes jamais ceux 
qui ont confiance en l’Amour de ton Coeur
. »