En terre du milieu

Saviez-vous qu’en ce dimanche, si vous voulez vraiment comprendre l’évangile, il vous faut regarder vos pieds et les découvrir velus ? Qu’il vous faut aussi habiter dans une maison toute ronde cachée dans les collines d’une contrée tranquille, et préférer l’herbe à Pipe ? Car l’évangile du jour plonge en plein dans la Terre du milieu, la terre de la saga de Tolkien (Le Seigneur des anneaux) pour au moins trois raisons. 

3 attitudes possibles dans la terre du milieu 

D’abord il faut constater que dans la terre du milieu, ce n’est pas un long fleuve tranquille. Il y a des Hobbits qui vivent pépères, des elfes qui gardent farouchement leur territoire, des hommes de plusieurs royaumes qui ne cessent de se faire la guerre, et le fameux Mordor, ce territoire de tous les dangers où règnent l’affreux Sauron, des dragons et d’autres créatures terrifiantes. De même dans notre vie, dans notre monde, face à la guerre qui se déroule à Gaza, face aux déboires professionnels, à la déchristianisation, au bilan des finances paroissiales ou encore face à la pandémie, il peut y avoir au moins trois attitudes différentes.

  • Il y a celui qui voit le monde comme un danger dont il faut se protéger, du coup il se barricade dans son église bien close, hermétiquement fermée, pour être sûr que rien n’y pénètre. Une église de purs, des cathares, les cathares des temps modernes : vous les gars, des bons catholiques. Ben oui, si le monde est mauvais il faut s’en protéger, il faut lire de la bonne littérature, regarder la bonne télévision, écouter les bonnes émissions, avoir les bons amis pour éviter toute contamination du monde extérieur. C’est peut-être la tentation des Hobbits : on reste bien au chaud dans sa maison … 
  • Il y a aussi celui qui baisse les bras tout de suite et se dit : «  Bof, de toute manière c’est foutu, c’est le sens de l’histoire, alors autant en profiter ». Le chat est parti alors les souris dansent et tant pis si tout part en vrille, ce que je veux moi c’est profiter de l’instant présent, ce que je veux c’est me faire plaisir et après moi le déluge. Ou alors le même en version relativiste qui se dit : « mais non le monde n’est pas si mauvais que ça, il ne faut pas non plus en faire un fromage, le bien le mal c’est des concepts relatifs, ça passe. ». C’est la tentation de Sarouman le mage blanc qui déviendra le fidèle allier de Sauron. 
  •  Il y a donc celui qui se retranche, celui qui s’échappe ; il y a celui qui baisse les bras et abandonne et il y a celui qui se relève les manches : vous.  Celui qui sait dans quel monde il vit et qui sait qu’il ne pourra pas en changer, il ne pourra pas en changer par contre il peut le changer, ce monde et pas un autre c’est à nous qu’il est confié exactement comme il a été confié a Adam à la création « Soyez féconds et multipliez-vous, remplissez la terre et soumettez-la », comme il a été confié aux apôtres « Allez dans le monde entier, Proclamez la Bonne Nouvelle à toute la création » il nous est confié à nous aujourd’hui à nous et à personne d’autre à nous parce que nous sommes catholiques, disciples du Christ, et que nous avons entendu : « Je ne demande pas que tu les retires du monde…moi aussi, je les ai envoyés dans le monde » alors Dieu ne nous retirera pas du monde, ce monde que nous aimons parce que le Christ l’a aimé avant nous et que nous ne pouvons convertir que ce que  nous aimons. C’est l’attitude de Frodon et Sam, c’est l’attitude de toute la communauté de l’Anneau ! 

Contempler l’attitude de Jésus

Il nous faut ensuite, et c’est mon deuxième point, regarder l’attitude de Jésus. Je me garderai bien de faire un lien direct entre Frodon et Jésus, car ce n’est pas l’intention de Tolkien dans son œuvre. Mais pour comprendre ces paroles de Jésus (« vous êtes dans le monde mais vous n’êtes pas du monde »), il faut le regarder Lui, le Christ. L’incarnation, Noël, c’est le temps où le Verbe se fait chair, où il se fait homme : Jésus vient prendre sa place dans le monde. Il ne rejette pas le monde dans lequel il évolue. Ce monde imparfait et blessé, ce monde marqué par les tensions religieuses et politiques, ce monde qui a certainement pas mal oublié l’Alliance avec Dieu. Un peu comme Frodon, il sait que le mal agit dans le monde, il le voit, il comprend qu’il y a une dimension de combat dans la vie spirituelle et que ce combat spirituel, il ne faut pas le fuir, mais qu’il se joue dans le monde, ici et maintenant.

Mais Jésus n’est pour autant pas du monde, il ne cesse de le dire : sa joie c’est de faire la volonté du Père, pas de devenir un messie politique. Dès qu’il a besoin il se reconnecte au Père dans le silence et la prière. Oui, Jésus est pleinement dans le monde qu’il vient sauver, il sait faire des déjeuners mondains et rencontrer des pauvres ou des puissants, mais il est surtout sans cesse relié au Père : la tête au ciel et les pieds sur la terre.

Vivre la grâce de l’unité 

Enfin, troisième point, quel est le secret de la quête de nos Hobbits dans la terre du milieu ? C’est l’unité. Lorsqu’ils décident de former la communauté de l’Anneau pour détruire l’anneau maléfique de pouvoir, ils forment une troupe un peu bigarée. Qu’y a-t-il de commun entre un duo de Hobbits velus plus intéressés par manger et par l’herbe à pipe que par l’aventure, des elfes aussi habiles qu’arrogants, un nain bourru, des hommes blessés dans leur ego… ? Bref, rien ne les réunit de manière naturelle. On dirait aujourd’hui qu’ils n’ont pas d’atome crochu : ils sont réunis par une mission, une quête, une aventure. Cette communauté bigarrée ressemble à notre Église. Nous serions-nous rencontrés si nous n’avions pas eu en commun la vie chrétienne ? Dans notre assemblée, il y a des jeunes et des vieux, des très riches et des plus modestes, des hommes et des femmes, des gens mariés et des célibataires, des fans de tennis et des aficionados de foot, des très mystiques et des moins mystiques. Bref on pourrait passer des heures à distinguer ce qui nous sépare. Pourtant le Christ nous appelle à l’unité. 

« Qu’ils soient un ». C’est certainement que l’unité repose sur le Christ et non pas sur nos atomes crochus. Nous avons le droit de ne pas aimer le même chant que notre voisin. Nous avons le droit de préférer prier de telle ou telle manière. Mais le Christ nous exhorte en ce dimanche à l’unité. 

Dans le Seigneur des Anneaux, la communauté de l’anneau est toujours tentée par la division et la désunion. C’est une des armes préférées du démon, une manière de semer la zizanie dans les groupes, même les meilleurs. Car nous sommes toujours tentés de ramener à soi plutôt que de regarder au loin, devant ce qui nous unit. Les apôtres n’étaient pas plus des clones que nous. Ils ont appris à vivre l’unité. En ce dimanche nous pourrions faire chacun un examen de conscience : sommes-nous des artisans de l’unité de la paroisse, de l’unité de l’Église ? Ou bien sommes-nous des auteurs de divisions, par nos paroles, nos critiques ou notre désir de vouloir que l’Église soit exactement à notre vue ? La communauté que nous formons dans l’Église trouve son unité dans le Christ. Et dans le Seigneur des anneaux comme en rugby ou en foot, on ne gagne pas sans unité, sans former une équipe. Ai-je conscience de cela ? 

Qu’à la suite de Frodon, mais surtout du Christ, nous puissions en ce dimanche trouver en Jésus notre force véritable pour être dans le monde sans être du monde.