L’Évangile et le dîner de cons…

Voilà un Évangile dont aimerait bien se passer Pierre Brochant… un des protagonistes du film le « dîner de cons » sorti en 1998. Souvenez-vous : Pierre, riche éditeur parisien, a l’habitude de se moquer des « cons » chaque mercredi soir. Et il se retrouve à accueillir chez lui une de ses victimes, François Pignon qui va malgré lui déclencher un contrôle fiscal… Pour échapper au fisc, Pierre décide alors de mettre toutes ses œuvres d’art dans une petite pièce bien cachée. Espérant que le contrôleur ne remarquera pas les traces sur les murs des tableaux retirés. Et je suis certain, chers amis, qu’il n’aurait pas aimé entendre l’Évangile d’aujourd’hui, où Jésus sonne : « rendez-donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu ». Faut-il néanmoins ne retenir de ces lectures d’aujourd’hui qu’une dimension politique ? Ou simplement une bénédiction du travail – pas très drôle – des contrôleurs fiscaux ?

Pour tenter d’y voir clair, je vous propose de convoquer à notre examen la collecte, la prière d’ouverture de la messe d’aujourd’hui. Vous savez, cette prière qui commence par « Prions le Seigneur » et qui se termine par « Jésus Christ notre Seigneur… », tandis qu’entre les deux, notre mémoire flanche souvent. Elle disait ceci : « Dieu éternel et tout puissant, fais nous vouloir ce que tu veux et servir ta gloire d’un cœur sans partage ». Ces petites prières de la liturgie sont très anciennes. Celle-ci date des premiers siècles de l’Église. Elles offrent à chaque fois sa tonalité spirituelle à notre messe. 

Dieu éternel et tout-puissant

La première réalité sur laquelle j’aimerais insister, c’est la bonté de Dieu. Dieu éternel et tout-puissant. La toute-puissance de Dieu n’est pas despotique. Quand j’étais ado, un jeu vidéo à la mode vous permettait d’incarner une sorte de « main de Dieu » toute-puissante qui pouvait à loisir écraser, déplacer ou porter les personnages du jeu. Et parfois dans notre vie chrétienne, on a cette image de Dieu, d’un Dieu qui serait écrasant et qui ne respecterait pas ma liberté. Un gêneur dans l’amour d’une certaine manière. Un Dieu qui se vengerait et qui me punirait à tort et à travers. Quelle fausse image de Dieu ! Dieu nous a aimés jusqu’à nous donner son fils, voilà la réalité première.  

En faisant sortir une pièce de la poche de ses contradicteurs, Jésus ne veut pas seulement leur montrer qu’eux aussi utilisent l’argent de César mais plus encore que l’argent de César est marquée à son effigie. Rien d’exceptionnel, même encore aujourd’hui : que ce soit aux Pays-Bas ou au Vatican, les euros sont frappés à l’effigie du souverain.

Le mot traduit par « effigie » dans la liturgie est le même que celui qui signifie Icône et nous invite donc à revenir aux origines. Si la pièce est icône de César… quelle est l’icône de Dieu ?

« Homme et femme il les créa, à l’image de Dieu il les fit ». Nous sommes donc chacun de nous image de Dieu, comme créature voulue et aimée par Dieu. Comme Cyrus, le roi païen de la première lecture que Dieu veut associer à son œuvre de salut, nous avons été appelés : « je t’ai appelé par ton nom ». Plus encore, en vertu de notre baptême nous avons été marqués du sceau et de la croix du Christ. Dieu nous a aimés jusqu’à ce que par la baptême son image soit gravée dans nos cœurs. Notre âme porte l’effigie du Christ. La marque de la croix !

Rendez à Dieu ce qui est à Dieu 

Rendre à césar ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu, ce n’est donc pas simplement faire une belle déclaration au Fisc, mais c’est surtout nous souvenir que nous appartenons à Dieu. Que nous sommes marqués, comme cette pièce, d’un sceau d’amour et de grâce : le sceau de Dieu.

Et cela doit nous inviter à nous poser une question : vivons-nous de Dieu ? ou vivons-nous pour César, c’est-à-dire pour le monde. Dit encore autrement, nos choix sont-ils guidés par la sainteté ? Par l’œuvre de Dieu en nous, ou par l’intérêt bien terrestre et terre-à-terre ?

« Oh mon père, y a pas de mal à profiter un peu des restos et à gagner de l’argent, après tout, on a fait de bonnes études, alors si on ne peut pas se payer un petit iPhone 12 pro de temps en temps, à quoi cela sert-il ? ». Cela revient à se poser une question : est-ce que toutes les pièces de ta maison intérieure sont évangélisées, ou bien veux-tu comme Pierre Brochant dans le Dîner de cons, enfermer certaines choses dans une pièce bien bouclée, pour laquelle le Seigneur n’a pas de droit de visite ? Est-ce que, comme le dit la prière d’ouverture, nous voulons « servir ta gloire d’un cœur sans partage » ? 

La question est d’une actualité brûlante : veux-tu faire confiance à Dieu dans ta vie ? Dans le monde d’aujourd’hui ? Ou bien veux-tu simplement sécuriser ta vie ?

Est-ce que ce qui compte, c’est ta carrière ? Tes études brillantes ? Ta santé à tout prix ? Tes amis ? Ton mariage ? Ta famille ? Ton compte bancaire… ou est-ce que ce qui compte, c’est de vivre pour Dieu, avec Dieu et en Dieu ? Par Lui, avec Lui et en Lui ?

Le discernement spirituel : fais-nous vouloir ce que tu veux 

Fais-nous vouloir ce que tu veux et servir ta gloire d’un cœur sans partage. Les lectures comme la prière d’ouverture nous invitent au discernement. Rendez-donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. Dans notre vie nous sommes comme sur une ligne de crête. Ceux qui sont déjà allés skier sur la mer de glace connaissent cette sortie de l’aiguille du midi où il faut marcher sur une crête entre deux précipices. Voilà la réalité de notre vie résumée par Jésus à sa manière : « Vous êtes dans le monde mais vous n’êtes pas du monde ». Oui, le chrétien est appelé à vivre dans le monde contemporain ; Dieu vous a plantés là dans une époque, dans une condition de vie spécifique. Et c’est c’est là que nous sommes appelés à témoigner. Et pourtant, « vous n’êtes pas du monde ». Notre réalité la plus profonde, c’est d’être l’image de Dieu, c’est d’être appelé à être et à vivre pour Dieu. Voilà le promesse de notre baptême : « je veux t’aimer sans cesse, de plus en plus ». 

Car pour se sortir de ce dilemme entre César et Dieu, entre être trop dans le monde et être trop hors du monde, il faut lever le nez… il ne faut pas regarder sans arrêt le vide d’un côté ou de l’autre de la crête de montagne, il faut garder les yeux fixés sur le but de notre vie, sur le Christ ressuscité. 

Il faut donc regarder ce qui nous tire vers le haut, et discerner avec le Seigneur si ce que je veux vraiment me tire effectivement vers le haut. Est-ce que j’ai le désir d’entrer dans le désir de Dieu ou est-ce que je prie pour faire entrer Dieu dans mon désir ? Est-ce que je prie pour réussir mon concours ou décrocher ce nouveau job pour moi ? Est-ce que je prie pour faire la volonté de Dieu dans ma vie ou est-ce que je cherche à asservir Dieu à ma propre ambition ?

À sa manière, Saint Ignace de Loyola décrit ce choix dans nos vies. Voulons-nous être derrière la bannière du Christ ? Regarder haut, regarder vers le ciel et remettre à sa place nos petites ambitions humaines ? Ou bien voulons-nous suivre la bannière de notre orgueil, la bannière du malin, la bannière de celui qui veut faire triompher notre petite réussite humaine égoïste ? 

Finalement, au terme de notre contemplation de ce soir, le problème initial s’est déplacé. Il ne s’agit pas de savoir si nous payons bien nos impôts ou pas, si nous devons craindre comme Monsieur Brochant le contrôle fiscal, ou si nous sommes contents de la politique gouvernementale, mais bien davantage de remettre à Dieu toute notre vie, à la fixer sur la ligne de crête du chrétien : « Je suis dans le monde mais je ne suis pas du monde ».

« Dieu éternel et tout puissant, fais-nous vouloir ce que tu veux et servir ta gloire d’un cœur sans partage. Par Jésus le Christ notre Seigneur ».