Désir, privation et évangélisation !

La soif 

Avez-vous déjà fait des marches en montagne lorsque le soleil frappe ? Au début c’est très sympathique le paysage est beau, l’ambiance joyeuse… petit à petit, la soif se fait sentir, la réserve d’eau s’épuise. La bouche est sèche et la chaleur se fait pesante. Vous seriez prêts à tout pour une gourde d’eau bien fraiche, juste de l’eau. J’ai souvenir d’avoir vécu cela lors de belles et longues marches dans le cadre du scoutisme qui mettent à l’épreuve les corps et les âmes. Dans ces moment-là, même un petit fruit, rien qu’un petit fruit devient un rêve délicieux. Souvenez-vous de Tintin au Pays de l’or noir. Dans cette bande dessinée, nos amis Tintin et le Capitaine Haddock traversent le désert. Ils ont tellement soif et sont tellement épuisés qu’ils ont vitalement besoin d’eau. Ils sont au bord de l’évanouissement et voient de nombreux mirages.

C’est un petit peu cela que vit Jésus en ce dimanche. Depuis longtemps déjà il marche, il est fatigué, usé. Il a besoin de repos et d’un peu d’eau. Il traverse les régions arides de son pays. Et il fait chaud. Terriblement chaud. Pour être allé en Terre-Sainte il y a quelques années, j’ai souvenir d’avoir vécu cela dans ma chair : nous étions en Bible sur le Terrain à contempler des pierres anciennes dans le désert.. en plein midi. La chaleur était épouvantable et je me mettais à rêver de bouteille de Coca ou de magnum glacé. J’ai alors redécouvert la joie de boire rien qu’un peu d’eau fraiche. 

C’est peut-être quelque chose aussi de la situation que nous vivons, nous chrétiens d’Ile de France qui devons en ce dimanche jeûner, non pas de l’eau pour boire, non pas de la grâce divine, mais de la rencontre habituelle de la messe du dimanche. Situation ô combien étrange pour les prêtres comme pour les fidèles qui nous posent la question, au fond de notre cœur de l’attachement que nous avons à cette messe du dimanche, à ces messes quotidiennes, à Jésus qui se donne dans son Eucharistie. Oui, en ce dimanche chacun d’entre nous comprend qu’il a soif de Dieu, à sa manière. La privation, le jeûne, si douloureux soient-ils, nous réveillent pour prendre conscience de ce à quoi nous aspirons vraiment. Qu’est-ce que j’aime vraiment ? Qu’est-ce que je désire vraiment ? Quelle est la place de la messe du dimanche dans ma vie ? N’y suis-je jamais distrait ? Ne l’ai-je jamais raté volontairement ? Est-ce que j’y mets toujours l’attention nécessaire ? En ce dimanche nous vivons dans notre être spirituel la soif de Jésus au bord du puit. Nous expérimentons dans notre vie la grâce du manque qui révèle l’importance spirituelle de cette rencontre dominicale. Puissions-nous faire un examen de conscience et, lorsque nous reprendrons ces célébrations dominicales, les vivre avec un cœur renouvelé. Avec un cœur qui désire le Christ autant que Tintin désirait l’eau dans le désert ! 

La grâce d’une rencontre 

Mais revenons à l’Évangile. Quelle idée avait-elle cette femme de Samarie de se rendre au puit en plein midi. Quelle idée de supporter une telle chaleur, alors que le puit est loin de chez elle ? Quelle idée de venir seule alors que tous les autres habitants viennent puiser le matin ou le soir ?  Elle avait soif de quelque chose, c’est certain. Jésus lui-même au bord du puit, fatigué avait soif. 

C’est une rencontre étonnante qui va donc se produire entre deux être assoiffés. Il y a une femme d’un côté, un homme de l’autre. Elle a vécu avec 6 hommes différents, il est célibataire et prêche la fidélité. Elle est samaritaine et il est juif. Il est parfait, elle est pécheresse. Elle est hérétique, et il est orthodoxe. Il est suivi par des foules et des disciples, elle vient au puit toute seule, éloignée de tous. Elle parle de l’eau de la terre, il évoque l’eau vive du ciel.

Pourtant le génie de l’Évangile, c’est qu’ils vont se rencontrer. 

Car ils ont quelque chose en commun : ils ont le désir d’aimer et d’être aimés. On ne sait pas grand-chose de l’histoire de cette femme. Peut-être a-t-elle été abandonnée par ses maris successifs, peut-être est-elle simplement une femme «légère». Mais certainement qu’elle ne se considère plus vraiment comme aimable. . En venant sur la margelle du puit au milieu du jour, Jésus provoque la rencontre entre ces deux êtres qui ont soif. L’un et l’autre ont du désir. Comme vous avez le désir d’aimer et d’être aimé. Lui, le Christ est l’amour véritable. Elle, la samaritaine a du mal à être aimée et à aimer en vérité. Le problème : ils ne parlent pas la même langue… ou plutôt ils utilisent les mêmes mots mais pour dire deux choses différentes. Mais Jésus est patient et, petit à petit, la rencontre se fait. D’un homme simple qui demande un peu d’eau car il a soif, la femme comprend que l’homme qu’elle a en face de lui est un prophète, qu’il a quelque chose à lui donner au point qu’elle finit par lui demander : « donne-moi de cette eau-là ». Celui qui avait soif se retrouve à devoir donner de l’eau à celle qui a de quoi puiser… Elle pourrait croire à une caméra cachée ou quelque chose du même genre… non mais c’est bizarre tout de même. Et dans son cœur, elle se pose beaucoup de questions « mais c’est qui lui ? Il me parle, ça m’intéresse, je sens qu’il y a quelque chose de différent chez lui. Il n’est pas comme tous ces hommes qui ont partagé ma couche. Lui, il me regarde avec douceur, avec bienveillance. »

Alors, une question sonne au bord du puit… «Appelle ton mari ». « Cet homme me regarde comme personne ne m’a regardé. On dirait qu’il voit en moi. Il voit en moi ce désir d’aimer et d’être aimée. Il voit mes multiples relations. Que puis-je lui répondre ? Et si je lui disais, ce qui est vrai… « Je n’ai pas de mari ». 

Une femme sans mari, un homme sans femme… si l’on était dans “l’amour est dans le désert ” (version samaritaine de “l’amour est dans le pré”) on pourrait le penser… et l’on n’aurait pas tout à fait tort. Mais pas de la manière dont  on croit. Jésus ne cherche pas à être un homme supplémentaire pour être avec elle, à la manière de ses autres maris. Et pourtant, il est rempli de désir. Il a soif de l’amour de chacun d’entre nous. Quand Jésus rencontre la samaritaine, c’est chacune de nos âmes qu’il vient rencontrer. Combien de fois nous sommes-nous égarés sur le chemin de la Foi ? C’est pas facile d’aimer pleinement et sans retour. Je veux dire sans égoïsme. Seul ce n’est pas possible. Mais la samaritaine qui avant sa rencontre avec le Christ était bien seule, exclue de la vie sociale, comme enfermée dans son passé et dans son présent tumultueux, change de vie. On la voit bouillonnante, ardente, enthousiaste : « venez voir vous-aussi, cet homme-là : il m’a dit tout ce que j’ai fait ». Sa rencontre a changé sa vie. 

La délicatesse du Christ ou la stratégie de la margelle 

Chers amis, avons-nous déjà fait cette rencontre du Christ ? Avons-nous déjà ouvert notre cœur à la rencontre de Jésus ? En ce dimanche, depuis chacune de nos maisons, nous pouvons dans ce temps de prière que nous prenons, nous poser la question : ai-je soif de l’amour de Dieu ? Est-ce que je peux demander à Jésus de venir combler la soif de mon cœur ? Pas seulement la soif de pouvoir célébrer à nouveau ensemble, mais la soif de Dieu dans mon cœur profond ? qu’est-ce que la privation révèle en moi ? 

Une autre grâce est à tirer de cet Évangile : c’est la manière dont Jésus s’y prend avec la samaritaine. Il y aurait pu lui dire « oh là là, tu as vu ce que tu as fais… c’est pas bien… » Non, il désire la rencontrer, la connaître en vérité, sans la juger. Il vient à la rencontre d’une femme qui n’est pas de son cercle proche, qui n’est pas dans ses sympathisants. Combien de fois nous jugeons les autres au premier regard : tu as vu celui-là, il a l’air d’être un paumé, il n’a pas les bonnes chaussures, le bon comportement ni le bon travail. Jésus est admirable de délicatesse : il demande un service et accompagne l’autre, il ne juge pas mais fait avancer. C’est la femme elle-même qui fera la vérité sur sa vie. C’est la femme elle-même qui confessera la divinité de Jésus. Pour nous c’est une grâce de découvrir comment Jésus s’y prend dans l’Evangélisation. 

En ce dimanche, frères et sœurs bien aimés, les circonstances nous invitent à nous examiner sur notre désir de Jésus. Avez-vous soif de Jésus comme Tintin a eu soif de l’eau dans le désert ? Il nous invite à ne pas avoir peur de rencontrer les autres différents de nous pour leur témoigner la délicatesse de l’amour de Dieu. Il nous invite enfin à nous laisser rencontrer par Jésus pendant ce temps de Carême.

Gardons les yeux fixés sur Jésus-Christ, sur le chemin de carême, prenons la Croix à la suite de Jésus. Elle prend la forme de l’absence de messe pour le moment. C’est une souffrance mais dans la foi, j’en suis convaincu Jésus saura faire porter du fruit, cela nous empêchera pas de devenir des saints : Dieu est capable de tout. D’une femme pécheresse il a fait une apôtre, d’un pécheur de poisson il a fait le premier pape, de chacun d’entre nous, même au temps des épidémies, il pourra faire des saints.