Un cri, une soif et un silence (Vendredi Saint)

Un cri s’élève en ce soir, un cri de détresse et d’angoisse. Un cri de souffrance et de stupeur. Face à la croix, c’est le cri silencieux de Marie, debout près de la Croix. Face à l’injustice c’est le cri du juste qu’on persécute sans justice. Face à l’iniquité, c’est le cri de celui qui renie, trahit et se repentit. C’est le cri de Jésus sur la croix : « j’ai soif ». C’est le cri du roi qui porte la croix et tombe sous son poids. C’est le cri du maître qui s’offre sur le bois

Ce cri, c’est aussi celui de ceux qui sur la terre portent leur croix chaque jour. C’est le cri des malades qui n’ont plus la force de porter leur propre corps. C’est le cri de ceux qui sont broyés par la souffrance d’une séparation ou d’un abandon. C’est le cri des migrants rejetés de partout. C’est le cri des enfants avortés sans raison. C’est le cri des malades délaissés au fond d’un hôpital et des personnes seules dans des villes banales. C’est le cri de tout ces jeunes mangés par l’addiction à la drogue ou à la pornographie. C’est le cri des veuves et des désespérés. C’est le cri des chrétiens qu’on empêche de croire, et celui des victimes de la violence la plus noire. C’est le cri du pécheur qui n’arrive pas à revenir et c’est le cri du Dieu qui veut l’en avertir.  C’est le cri du chômeur et de celui qui pleure. C’est le cri de l’enfant qui voit son père mourir, et celui du père qui voit l’enfant partir.

En ce soir du vendredi saint, il nous faut écouter cette souffrance du monde et cette souffrance du Christ. « Broyé par la souffrance il a plu au Seigneur. » Lui « qui n’était ni beau, ni brillant », lui le « familier de la souffrance », « l’homme des douleurs ». C’est pour eux qu’il est venu. Si le Christ meurt sur la croix c’est pour que désormais plus aucune souffrance ne lui soit étrangère. Que dans toutes nos détresses de l’âme et du corps il nous ait rejoints. Et c’est la bonne nouvelle de ce soir. Depuis la croix du Christ, depuis l’heure où sur la terre le Christ a été élevé. Depuis qu’il est tombé sur le chemin de la croix, et qu’il s’est relevé,  dans chaque détresse, dans chaque souffrance que je vis il est présent et il me dit « accepte de porter avec moi ta croix, sois fort dans la détresse de la force que moi je te donne . Tu n’es pas seul. Sur la croix, j’ai porté le cri du monde. Je me suis offert au Père. J’ai crié pour ceux qui ne pouvaient crier. »

Et le cri du Christ en ce Vendredi Saint, retentit également comme un désir. « J’ai soif ». Cette soif c’est bien sûr celle de l’effort, celle de la souffrance, un peu d’eau pour soulager des lèvres séchés par des heures à porter et à subir la croix. Mais cette soif de Jésus a quelque chose de plus intérieur et de plus mystérieux. De plus profond et de plus délicat. Car l’homme des douleurs, le familier de la souffrance est aussi et surtout le Roi de justice, condamné par le roi d’injustice qui s’en lave les mains. Le Christ, couronné d’épines est le roi de l’Amour. En ce jour il nous montre ce que veut vraiment dire aimer. Aimer comme le Christ ce n’est pas ressentir du bien-être, aimer comme le Christ c’est donner sa vie. Mais le Seigneur n’attend pas de nous que nous assistions au don de sa vie sans rien faire, en spectateur. Quand il crie sur la croix « j’ai soif », il nous appelle. Il nous dit : sans toi je ne peux rien faire. Si tu ne viens pas sur la croix avec moi, si tu n’acceptes pas que je donne ma vie pour toi… alors je ne pourrai pas de te sauver. Jésus mendie notre amour il me dit « j’ai soif de ta participation à toi », «j’ai soif que tu aimes comme j’aime ». « Aimez-vous les uns, les autres comme je vous ai aimés ». Plus que de tes larmes, ce soir, j’ai soif de ton amour, plus que ta tristesse, ta plus belle manière de t’associer à ma croix, c’est d’aimer ceux qui t’en veulent, d’aimer ton ennemi, de lui pardonner.

Mais ce cri du Christ, l’homme des douleurs, ce cri du Christ qui mendie notre amour se termine en un très long silence. Le Christ se tait et plonge dans la mort. Dieu ne veut pas passer à côté de notre plus grande épreuve. Ces temps-ci, les attaques terroristes, l’annonce des maladies autour de nous nous renvoient sans cesse à notre propre mort. Le Christ est entré dans le silence de la mort pour nous en délivrer. « Maltraité, humilié, il n’ouvre pas la bouche ».  Librement Jésus nous a aimés jusque-là. Librement il a choisi de connaître la mort comme nous, la mort qui fait mal, la mort qui sépare, la mort devant laquelle on reste bouche bée.

En ce Vendredi Saint, en silence contemplons notre Roi, qui nous apprend ce que veut dire aimer. Il nous aime et verse son sang pour nous. Jésus, toi mon roi qui donne ta vie pour moi, je veux apprendre à aimer, je veux apprendre à t’aimer. J’ai soif. J’ai soif.