Par-donner !

Peut-être avez vous lu la BD « Astérix chez les corses », si ma mémoire de Bédéphile est bonne elle met en scène le chef Catarineta Bella Tchixtchix venu demander de l’aide à nos amis Gaulois contre les romains… Or le clan de Cararineta (je ne vous fais pas tout le nom) est en guerre depuis des temps immémoriaux contre le clan de Figatellix… personne ne sait d’ailleurs trop pourquoi… mais il n’est justement pas question de pardonner… mais plutôt de se venger le plus longtemps possible et d’entretenir la rivalité. Et sitôt l’alliance contre les Romains terminés, les deux chefs de clan Corse veulent à nouveau se disputer… Pure histoire de fiction ? ou simple illustration dessinée de la Vendeta Corse, je crois plutôt que cette BD en caricaturant dit quelque chose de vrai d’une difficulté que nous avons souvent : il est difficile de pardonner et cela peut engendrer des situations dramatiques des années après.

Une exigence évangélique

Lorsque l’on parcourt la Bible, on pourrait penser que certains passage se rapprochent un peu d’Astérix chez les Corses, rivalités de clan, vielles histoires de familles ou rancœurs personnelles parsèment les pages du livre saint… pourquoi ? Parce que la Bible ne se fait pas l’écho d’un récit sans aspérité mais reflète l’histoire de l’alliance entre Dieu et les hommes. La loi ancienne offrait déjà « Œil pour œil, dent pour dent », c’est à dire si tu me voles un bœuf, je te vole un bœuf et l’on est quitte… c’était un coup d’arrêt à la monté de la violence. Mais le Christ va plus loin dans l’Evangile en nous disant : « aimez vos ennemis, priez pour ceux qui vous persécutent »… ou encore « Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle reconnaissance méritez-vous ? Même les pécheurs aiment ceux qui les aiment. »… Il faut avouer qu’il nous est tout de même plus facile d’aimer ceux qui nous aiment et que nous ne sommes pas toujours très enclins à aimer nos ennemis ou à pardonner à ceux qui nous ont fait du tort.

En fait cette exigence evangélique, Jésus ne se contente pas de l’énoncer, de donner la règle et de faire autrement… toute sa vie est une source de miséricorde pour son entourage. En réalité c’est le sens même de la mission du Christ sur la terre : pardonner… nous pardonner nos péchés, nous donner le salut. Et en cela il vit l’amour des « ennemis ». Sur la croix il dit « père, pardonne leur… ils ne savent pas ce qu’ils font »… ce « ils » bien sûr ce sont les acteurs immédiats de la crucifixion mais plus encore… c’est chacun de nous. En mourant sur la croix, pour nous, Jésus nous montre ce que l’amour et le pardon veulent dire à son stade ultime : donner sa vie pour les autres.

Par donner : donner par dessus

L’Evangile de ce jour, frères et sœurs bien aimés, nous aide à comprendre ce qu’est pardonner.

Pardonner tout d’abord ce n’est pas oublier. Le maître n’oublie pas que son débiteur lui doit dix mille talents. Mais l’Evangile nous dit qu’il est « saisi de compassion »… cette expression est habituellement dans l’Evangile toujours attachée à Jésus lui même comme pour pressentir que dans l’attitude du maître il y a quelque chose de Dieu lui même…

 

Pardonner c’est donc en premier ouvrir son cœur à la détresse de l’autre, c’est accepter de se laisser toucher. Souvent lorsque l’on a été offensé, notre cœur s’est fermé. Et le malin se charge bien de verrouiller à double tour le cœur : « et puis en plus il t’a fait cela… et il est comme ci ou comme cela… il est en tort de toutes façons… ». Imaginez que vous êtes de chaque coté d’un fossé … l’offense c’est le fossé, la personne qui vous a offensé c’est l’autre, et vous percevez au fond de votre cœur qu’il est un peu triste d’être si loin.

Pardonner, c’est ensuite considérer que le lien d’amour entre nous est plus fort que l’offense qui a été faite. Il est plus important de conserver ce lien d’amour, au nom du Christ, au nom de la vie de la famille… et je veux donc d’abord regarder l’autre par amour. Il faut comme enfiler les lunettes de Jésus. Je ne sais pas si elles sont en réalité augmentée comme l’iPhone X, mais en tout cas elles mettent en valeur d’abord le fait que l’autre est aimable.  Ces lunettes nous aident à regarder d’abord l’autre, de l’autre coté du fossé, et non plus à rester focalisé sur le fossé.

Ainsi donc pardonner, c’est donner « par dessus ». Souvent on confond pardon et oubli. On se dit : je veux bien pardonner mais je l’ai encore dans le cœur… pardonner ce n’est pas oublier, le Maître de l’Evangile n’oublie pas ses millions de pièces… mais il pardonne. C’est à dire un « donne par dessus » l’offense qui a été faite. Je n’oublie pas l’offense mais je veux poser un pont sur ce grand fossé qui sépare le village en deux. C’est donc un acte positif : je donne par-dessus, je fais une démarche, j’offre le don d’un amour renouvelé.

Enfin pardonner c’est donc faire le chemin qui me sépare le l’autre. Car il peut y avoir une manière un peu condescendante ou méprisante de pardonner : « bon alors dans ma grande bonté je te pardonne… ». « Moi je reste sur mon trône de gloire et de justice et dans ma grande bonté, je te pardonne à toi qui n’est pas grand chose… » Ce n’est pas ce que fait le maître de l’Evangile « saisi de compassion le maître de ce serviteur le laissa partir et lui remit sa dette »… Je n’attends pas que l’autre fasse un chemin, je fais moi-même la route en premier. Pardonner nous fait donc grandir dans l’humilité.

Débiteur de Dieu : la grâce de la confession

Il me semble que ce serait passer à coté que de considérer que l’Evangile d’aujoud’hui ne parle que des relations entre nous… comme une bonne sagesse pour que tout se passe bien dans la paroisse, en famille ou en entreprise.

En réalité, ce débiteur de soixante millions de pièces a un nom… c’est nous ! Vous, Moi, les plus jeunes ou les plus agés. Chacun d’entre nous à cause du péché est débiteur vis à vis de Dieu, du Maître véritable. Considérons un peu : Dieu nous crée par amour, il nous envoie son fils pour nous sauver et demande qu’on l’aime en retour… et nous bah il faut quand même avouer qu’on galère un peu… qu’on a bien du mal à être fidèle à cet amour infini de Dieu.

Mais comme il est bon, le Seigneur nous offre un endroit où à coup sûr il est saisi de compassion. C’est le sacrement du pardon, la confession. Je crois qu’il faut souvent nous le redire : rien n’est trop grand, pas même 60 millions de pièces, pour le Maître véritable ! Un prêtre lorsque j’étais ado me disait souvent « si ton cœur t’accuse sache que Dieu est plus grand que ton cœur ». Si je puis me risquer à un témoignage personnel, lorsque j’étais adolescent j’ai delaissé pendant quelque temps ce beau sacrement, par peur peut être de confesser tel ou tel péché ou d’être jugé. L’amitié bienveillante d’un jeune prêtre m’a aidé à y reprendre gout. Et je peux vous le dire que ce sacrement est sans doute le plus beau qu’il soit. Nous seuls chrétiens pouvons entendre par la bouche du prêtre qui agit au nom du Christ : « je te pardonne tous tes péchés ». Dans le sacrement Dieu ne regarde pas d’abord nos péchés, mais d’abord l’amour infini qu’il a pour nous, il pose ce pont et donne à nouveau la plénitude de son amour. Alors quand dans certaines situations, le pardon nous semble impossible à donner ou à demander… mais nous pouvons toujours demander à Dieu, dans le sacrement de la réconciliation, dans la prière la grâce d’y parvenir un jour.

Le maître véritable du pardon, frères et sœurs bien aimé n’est pas Asterix qui réconcilie deux clans corses marqués par la vendetta, mais le Seigneur lui même. Par le sacrement de la réconciliation, il nous permet d’expérimenter nous-même le pardon reçu et veut nous donner la force de pardonner : en regardant le cœur de l’autre, en détournant le regard de l’offense et en donner à frais nouveau notre amour. Pardonner, c’est donner par dessus. Puissions nous le croire vraiment.

Amen !