Silence et Médisance
N’avez-vous jamais entendu ces petits proverbes populaires : « la parole est d’argent mais le silence est d’or » ou « Si ce que tu as à dire n’est pas plus beau que le silence… alors tais-toi ! »? Et n’avez-vous jamais vécu ce moment précis où, vous apprêtant à dire une méchanceté, vous vous rattrapez in extremis aux branches et vous décidez de vous taire plutôt que de blesser ?
Si la Parole de Dieu est parfois tranchante, pour notre bien, la parole humaine, notre parole est parfois blessante. Le Seigneur en ce dimanche nous offre un petit examen de conscience : « ce qui sort de la bouche c’est ce qui déborde du cœur ».
En fait, l’Évangile de ce dimanche est la suite de celui de la semaine dernière… petit flash-back pour ceux d’entre nous qui ont la mémoire courte : « Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux. Ne jugez pas, et vous ne serez pas jugés, ne condamnez pas et vous ne serez pas condamnés »… Nous voici donc ce dimanche avec quelques conséquences pratiques et concrètes de cette invitation à la miséricorde.
Voir le mal dans l’autre : le fléau de la médisance
Il est ainsi un fléau que Jésus dénonce mais qui nous touche tous, de près ou de loin : le fléau de la médisance. Nous passons beaucoup beaucoup beaucoup trop de temps à dire du mal. Petit best-of des critiques les plus courantes : pour les plus jeunes dans la cours de récréation : « tel prof est vraiment nul et bête », ou à la machine à café au bureau : « tu as vu le dernier mail du patron? De toute façon ce n’est qu’un homme aigri, qui ne mérite pas sa place ici, et puis je l’ai vu la semaine dernière faire telle chose » ou encore, dernière critique mais non des moindres, dans la voiture à la sortie de la messe : « tu as vu le sermon du curé, il a duré 11 min 30, c’est beaucoup trop au-delà de 7 min on ne peut plus écouter, et puis la dame qui faisait chanter vraiment elle a choisi des chants sans intérêt… ». Le Pape François lui-même dénonce ce fléau. En évoquant l’arrivée d’une nouvelle personne au sein d’un groupe il déclare: « Le premier jour, les gens parlent bien d’elle ; le deuxième, pas si bien ; et à partir du troisième, des ragots et des médisances commencent à se répandre et finissent par la détruire. » On pourrait continuer la liste longtemps tant cette attitude de critique incessante de la société, de l’Église ou de nos frères est un fléau répandu parmi nous (je me mets dans le lot je vous rassure). « Combien de fois nos communautés, et même nos familles, ne sont-elles pas devenues un enfer dans lequel nous tuons nos frères avec des mots ? » Mais a-t-on vraiment écouté l’Évangile : « Qu’as-tu à regarder la paille dans l’œil de ton frère, alors que la poutre qui est dans ton œil à toi, tu ne la remarques pas ? ». Ou dit autrement : arrête de te préoccuper sans cesse de l’état de sainteté de ton voisin et occupe-toi un peu de toi ! Ragots, cancans, bavardages…« Voilà l’ennemi ! »
La parabole de la poule et de la plume
Pour comprendre pourquoi ces paroles en l’air sont une véritable malédiction, j’aimerai vous raconter une petite parabole. On la doit à un grand saint du 16èmesiècle, Saint Philippe Néri. C’est un saint que j’aime beaucoup, car il avait beaucoup d’humour et qu’il était très moderne pour son époque. Un jour une femme vient le voir pour se confesser. Elle avoue qu’elle dit souvent des méchancetés, qu’elle est très médisante. Le saint lui demande : « et çà vous arrive souvent ? » « oui très souvent mon Père ». Comprenant alors que cette femme avait besoin de saisir la gravité de sa faute et les conséquences désastreuses de ses actions légères, le saint lui dit : « Pour votre pénitence, voici ce que vous ferez : Vous irez au marché voisin. Vous achèterez une poule récemment tuée et couverte encore de ses plumes. Vous vous acheminerez ensuite hors de la ville, jusqu’à un point déterminé, en faisant plusieurs détours, et en plumant la poule que vous tiendrez en vos mains pendant toute la durée de la promenade. Votre course finie, et la poule plumée, vous reviendrez me trouver pour me rendre compte de votre ponctualité à remplir l’ordre que je vous donne au nom du Dieu dont je suis le ministre » La femme s’exécute pieusement. Elle va dans le marché, achète une poule, la plume au hasard et revient voir le saint triomphante en disant « Ça y est, mon père, maintenant je peux recevoir le pardon » ? « Pas encore ma fille, il reste quelque chose à faire : retournez à l’endroit où vous avez plumé la poule, refaite le chemin et récupérez les plumes de la poule que vous venez de dépouiller. » La pauvre dame s’exclame « mais mon père c’est impossible !! J’ai semé les plumes au hasard et le vent les a emportés loin d’ici » « Eh bien ! mon enfant, dit le bon religieux, les médisances sont comme ces plumes que vous renoncez à pouvoir rattraper une fois que le vent les a dispersées. Vos paroles funestes sont allées dans toutes les directions ; rattrapez-les maintenant si vous le pouvez !… ».
La bienveillance comme remède à la médisance
L’Évangile d’aujourd’hui nous dit : « Car ce que dit la bouche, c’est ce qui déborde du cœur. »
En tant que chrétiens, ce qui devrait déborder de notre cœur, c’est d’abord une parole de bénédiction. Bénir, ce n’est pas réservé au prêtre ou au diacre. Bénir, littéralement, cela signifie dire du bien. Dire ce qui est bon et bien. C’est un véritable « exercice spirituel » dans le monde d’aujourd’hui.
Comment ceux qui ne connaissent pas le Christ pourraient-ils le découvrir en entendant des chrétiens passer leur temps à critiquer, de préférence les autres ?
Le Christ en ce dimanche, et à quelques jours du Carême nous invite à un changement radical de notre attitude vis à vis des autres. Plutôt que de te focaliser sur les défauts, sur les péchés, sur ce qui ne va pas chez les autres, admire ce qui est beau grand et digne de louange chez eux… et convertis dans ton propre cœur ce qui est sale. Notre attitude ressemble parfois à celle des participants à des émissions de télé-réalité : un diner presque parfait, 4 mariages pour une lune de miel et autres… qui passent presque les trois-quarts de l’émission à critiquer le travail des autres.
Je vous propose cette semaine que nous puissions nous lancer un défi : celui de la bienveillance et de l’action de grâce. Bien sûr les défauts des autres vont tout de même nous sauter aux yeux, mais nous pouvons faire l’effort, si ce n’est pas de ne pas penser, au moins de nous taire. Et de se concentrer et de dire les choses belles et grandes. En cela nous ne sommes pas seuls. Le Seigneur nous donne son Esprit et sa grâce. Car même dans les plus disgraciés comme dans les plus obscurs luit une étincelle divine qui mérite notre amour. C’est elle que l’Esprit Saint dans la prière nous révèle. C’est elle qu’il faut déceler et révéler aux autres. Vous verrez que vos conversations amicales, familiales ou professionnelles seront bien plus édifiantes et heureuses.
Concrètement, chacun peut choisir une personne, qu’il a du mal à aimer ou qu’il critique souvent. Ensuite, dans la prière je demande au Seigneur de me révéler ce qui est bon en lui ou en elle. Ce qui est précieux aux yeux de Dieu. Puis, quand dans la conversation on vient à parler de cette personne, alors avec la force que Dieu me donne je peux dire cette qualité là en lieu et place de la pensée mauvaise que je pouvais avoir.
Ce n’est pas facile. C’est un exercice spirituel, auquel il faut souvent s’entraîner. Mais en faisant cela fidèlement, nous deviendront des véritables « chrisostome » des « bouches d’or ».
La bonne nouvelle c’est que le Carême qui commence ce mercredi nous donnera un très joli terrain d’entrainement pour approfondir cette lutte contre la tentation de la médisance.
Que le Seigneur, lui qui est la Parole faite chair, lui qui nous offre chaque jour sa bénédiction, nous aide en cette Eucharistie à devenir nous-même des apôtres de la bienveillance et de la bénédiction.