Miséricorde !

Il y a de quoi être révolté en entendant les lectures de ce jour. On peut se dire « oui de toutes façons les cathos on se fait toujours marcher dessus et on ne dit rien » « tendre la joue droite à mon patron qui vient de me licencier c’est hors de question » « aimer celui qui vient de m’abandonner avec les enfants à charge, je ne peux le supporter » ou encore : « de toutes façons elle m’a trahi, je ne lui pardonnerai jamais »… Ces petites réflexions extraites de notre vie quotidienne et entendues ça et là expriment en quelques mots la difficulté des lectures de ce jour.

Le comportement de David dans la première lecture apparaîtra étrange à tout militaire engagé dans un conflit armé. David est traqué par Saul et son armée. La jalousie portant le roi à persécuter David. David craint donc pour sa vie et risque la mort à chaque instant. Se présente une occasion favorable puisque Saul dort. Il est à la merci de David mais, mystérieusement David prend conscience de la dignité de Saul : Ne le tue pas ! Qui pourrait demeurer impuni après avoir porté la main sur celui qui a reçu l’onction du Seigneur ?

Cela me fait penser aux méchants dans les films James Bond. Je ne sais pas si vous avez remarqué mais ils ont 1000 occasions de tuer l’Agent Secret d’une balle bien placée mais ils préfèrent toujours prendre le temps de le faire souffrir ou de lui offrir une mort spectaculaire. Résultat James en profite pour s’échapper magnifiquement en sauvant sa belle.

Au plan donc de la tactique militaire et la stratégie de défense, la technique du Christ « Aimer vos ennemis » «  Souhaitez du bien à ceux qui vous maudissent, priez pour ceux qui vous calomnient. » ne semble pas avoir fait ses preuves… 

Miséricordieux comme le Père 

Pourtant, dans notre vie quotidienne on aime être soi-même l’objet de cette miséricorde. Quand, enfant, papa nous pardonne d’avoir cassé le vase de grand-mère, quand devenu adolescent maman vous pardonne une phrase malheureuse que vous avez eue. Quand adulte, votre patron vous fait à nouveau confiance alors que vous lui avez fait une crasse.

Dans la vie spirituelle on aime aussi goûter à cette sensation après une belle et sincère confession. 

Êtes-vous vraiment convaincu,s frères et sœurs bien aimés, que cette miséricorde que vous aimez goûter, s’adresse aussi et de la même manière au frère qui est à coté de vous ? à votre collègue de travail ou à votre voisin de palier ? à votre curé de paroisse ?

La lecture de la Parole de Dieu n’est pas toujours qu’un bonbon acidulé, elle est tranchante comme un glaive et le Seigneur est un Dieu exigeant. L’oublier serait se méprendre. Le fondement de cette exigence de miséricorde se trouve dans l’acte de Dieu lui-même. 

« Soyez miséricordieux … comme votre Père est miséricordieux ». Le premier qui fait miséricorde, c’est Dieu. Le premier qui pardonne à ses ennemis c’est le Seigneur « Père pardonne leur ils ne savent pas ce qu’ils font ». Ce serait se méprendre que de croire que les ennemis de Dieu ne sont pas que des hommes Romains ou juifs du premier siècle. Mais chaque fois que je commets un péché, chaque fois que je préfère ma propre vision des choses, ma propre personne, à l’amour de Dieu ou du prochain… je deviens d’une certaine manière l’ennemi de Dieu. 

« Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensé ». Pour devenir miséricordieux comme le Père, il ne faut pas rater cette phrase du Notre-Père que l’on récite parfois un peu vite. Elle signifie que le Seigneur nous pardonne à la proportion de notre propre pardon. « La mesure dont vous vous servez pour les autres servira aussi pour vous ». On aimerait parfois éluder la seconde partie de la phrase « comme nous pardonnons aussi ». Le Christ lui pardonne à ceux qui le mettent à mort injustement. Le Christ nous pardonne alors que nous ne cessons de le trahir. Le Père pardonne au peuple qui ne cesse de s’égarer sur les chemins de l’Exode et d’adorer les faux Dieu. Et nous ? Où en sommes-nous ?

L’exigence de la miséricorde chrétienne 

Facile d’être miséricordieux avec ceux qui sont au bout du monde, mais l’exigence de la miséricorde chrétienne est un appel pour ici et maintenant. Je vis en communauté au presbytère, et celui sur qui doit s’exercer ma miséricorde c’est mon frère prêtre avec qui je vis. Celui qui a encore laissé traîné son assiette dans l’évier, celui qui n’a pas étendu sa machine de linge, celui qui ne range pas ses affaires. C’est à lui qu’il faudra faire un grand sourire quand je le croiserai dans l’escalier tout à l’heure. Vous vivez tous cela dans vos familles non ? La famille, le lieu de travail, mais aussi la paroisse sont autant de lieux où le Seigneur m’appelle à exercer la miséricorde. Je suis frappé de voir le manque de miséricorde que l’on peut exercer au sein de l’Église. On en veut pendant 10 ans à Mme Bidule d’avoir dit ou fait telle chose. On attend du prêtre une posture de perfection inatteignable. Il doit toujours être de bonne humeur, toujours attentif d’une manière égale à tous, toujours ouvert et délicat, toujours disponible… et on le critique allègrement dès qu’on le prend en défaut. Un peu de miséricorde les amis !… un prêtre, un chrétien est d’abord un homme faible et petit à qui Dieu a fait miséricorde ! Être miséricordieux comme le Père c’est donc d’abord exercer la miséricorde envers ceux qui me sont proches. C’est une conversion toujours à recommencer. Dieu me demandera des comptes de cette miséricorde que j’ai reçue et que j’ai peut-être refusée de donner.

Dans nos familles et dans nos vies il y a parfois des rancunes, des blessures qui demeurent vives. Où je suis comme empêché d’exercer la miséricorde car l’offense est trop lourde, l’horreur de la blessure trop grande. Dans ces cas-là, ai-je au moins le désir du désir ? Ai-je au moins l’envie d’avoir envie de pouvoir un jour pardonner ?

La miséricorde chrétienne, le pardon chrétien, n’est pas simplement s’excuser envers un ami ou un proche pour une petite chose, le pardon chrétien c’est donner par-dessus. Certaines personnes me disent : « mon père je ne peux pas pardonner car je n’ai pas oublié ». Cela tombe bien, frères et sœurs le pardon n’est pas l’oubli. J’aime à prendre une comparaison d’Astérix. Dans l’opus « le grand fossé », le village gaulois est coupé en deux par un grand fossé. 

Le grand fossé dans nos vies c’est bien souvent l’offense qui m’a été faite et quand je regarde telle ou telle personne, je ne vois que ce fossé béant entre nous. Tant que je ne regarde pas l’autre personne pour elle-même, tant que je me laisse fasciner par l’offense, je ne serai pas capable de pardonner. Quand Jésus pardonne à Pierre son reniement, il ne dit pas : « Pierre tu as rien fait c’est pas grave », il regarde en Pierre sa capacité à aimer à nouveau et d’une manière plus grande.

Avons-nous cette espérance pour nos frères ? Croyons-nous qu’ils sont capables d’aimer d’une manière nouvelle et plus grande. Cette miséricorde chrétienne peut être crucifiante. Elle est parfois édifiante. C’est le cas de ces parents qui pardonnent à l’assassin de leur enfant, c’est le cas de Saint Jean-Paul II qui rend visite à celui qui a voulu le tuer dans l’attentat de la place saint Pierre.

Il est un endroit particulier où nous pouvons goûter à cette force de miséricorde : c’est la messe. Quand je communie à la messe, je communie à celui qui me donne la force de pardonner, à celui qui me pardonne mes propres péchés. Il me semble aussi, que le fait de recevoir souvent pour moi même le pardon des péchés, de prendre conscience que je suis moi-même « Ennemi » de Dieu de temps à autres m’aide à être miséricordieux comme le Père.

Que le Seigneur, en dimanche, éclaire notre route et nous fortifie pour faire miséricorde à notre tour. « Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux ».