Évangile ou conte de fées ?
Quel moment magique que les contes de notre enfance. Il faut voir nos charmantes têtes blondes, attentives, bien confortablement calées dans leur oreiller et qui écoutent… Elles sont captivées par ces récits étonnants et merveilleux. Et nous en rajoutons : dangers, dragons, bonnes fées, sorcières, tout y passe. Mais ce n’est que pour mieux garantir une fin heureuse. Car, c’est bien connu, les contes pour enfants, comme les films américains, se terminent toujours bien : ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants.
Pour ceux d’entre nous qui ont une culture littéraire plus approfondie et qui ont déjà lu les contes d’origine, ils se souviennent peut-être que dans ces contes-là, il y a une version pour les enfants et une version pour les adultes. Il y a la version édulcorée, soft, et il y a celle, plus crue, voulue par l’auteur, que nous avons censurée. Profitons que les enfants de notre assemblée soient partis pour regarder les choses en face. Les frères Grimm, par exemple, lorsqu’ils terminent l’histoire de Cendrillon, ne nous laissent pas sur le tableau charmant d’une famille réconciliée. Certes, on célèbre un mariage, les deux méchantes sœurs sont à droite et à gauche des jeunes époux… mais voilà que deux colombes viennent leur crever les yeux. Et le conte s’achève ainsi : « pour leur méchanceté et leur perfidie, elles furent punies de cécité pour le restant de leurs jours » ! Bigre !…
Il en est parfois de même avec l’Évangile, surtout en cette fin d’année liturgique où le Seigneur nous invite à regarder vers le terme, vers le but, vers les fins dernières. Nous pourrions donc être tentés de confondre l’Évangile et Walt-Disney… et ne retenir de l’Évangile que la partie qui nous arrange. Et en ce matin, il nous faut accueillir l’Évangile avec toute sa rudesse.
Pour les enfants qui recherchent la Sagesse
Les conteurs de notre enfance n’ont rien inventé. La Bible aussi a ses récits qui se terminent par des noces. Celui que nous propose l’Évangile aujourd’hui est une de ces histoires : il s’agit de la parabole des cinq vierges sages et des cinq vierges insensées. Les premières entrent dans la salle, les autres restent dehors.
Vous connaissez comme moi la version édulcorée de l’Évangile dès que l’on parle de jugement, de feu éternel, de condamnation… On s’empresse de terminer sur un pompeux « on ira tous au paradis, Dieu est toute bonté après tout ! ». Mais ce matin, ce que nous venons d’entendre ce n’est pas cela, mais bien plutôt : « Je ne vous connais pas ! Veillez donc car vous ne savez ni le jour ni l’heure ».
Pour éviter de se retrouver sur le palier du salut, il nous faut, frères et sœurs bien aimés, il nous faut être des sages. Mais attention, la Sagesse chrétienne n’a rien à voir avec une conformité sociale qui consisterait à être quelqu’un de bien policé, qui ne fait pas de vague autour de lui, qui surtout ne fait pas de bruit dans son immeuble et qui fait tout bien comme il faut. Non, la Sagesse de Dieu est en forme de Croix, la sagesse de Dieu n’est pas un conformisme, un « on a toujours fait comme cela », elle ne consiste pas à devenir une statue de plâtre ou de marbre.
La sagesse dont parle Jésus dans l’Évangile et qu’évoque la première lecture, doit se chercher d’abord par le désir. Car que peut-on obtenir que l’on ne désire par profondément ? Il faut donc la demander, cette sagesse, par la grâce de l’Esprit Saint. Je constate trop souvent que nous ne prions pas beaucoup l’Esprit Saint dans notre vie. Pourtant, avant un rendez-vous professionnel, avant une discussion importante en famille, avant de prendre une décision, quoi de mieux qu’invoquer l’Esprit Saint. Sans doute que les jeunes filles de l’Évangile auraient été plus prudentes dans leur choix si elles s’étaient appuyées sur la grâce de Dieu. Osons-nous vraiment demander l’éclairage de l’Esprit Saint et de l’Évangile dans nos choix personnels ou professionnels ?
Acquérir cette sagesse requiert aussi de la patience. Notre vie spirituelle requiert de la patience. Combien de gens voyons-nous passer au confessionnal de Saint Sulpice, qui s’étonnent ou s’impatientent de leur conversion. Il y a des combats, chers amis, sur lesquels il nous faudra lutter toute notre vie. Les jeunes filles folles ont manqué de patience. Elle n’ont pas su attendre la visite de l’époux avec assez d’assiduité. Parfois, nous renonçons à attendre la grâce que pourtant Dieu nous prévoit depuis longtemps.
Je le disais la semaine dernière, à l’occasion de la fête de la Toussaint : être chrétien, ce n’est pas être conforme à un modèle social, à une perfection de l’image. C’est être perfectionné par Dieu au jour le jour. C’est être rendu sage par la puissance de Dieu.
Il faut enfin – et que les plus jeunes de notre assemblée ne l’utilisent pas à mauvais escient auprès de leurs parents ou grands-parents – une bonne dose d’insolence. Une sainte insolence, bien entendu. Jésus lui-même n’a-t-il pas osé remettre Marie et Joseph en place lorsque ces derniers le retrouvèrent dans le temple, afin de leur rappeler où est l’essentiel ? De même, dans notre monde, le chrétien est appelé à proclamer sa foi, avec audace, à temps et à contretemps… même si cela ne plaît pas.
Désir, patience, sainte insolence… Le chrétien est paré pour trouver la Sagesse. Car cette Sagesse, c’est le Christ lui-même. Cette sagesse, c’est Jésus qu’il faut rejoindre.
Les noces de l’Agneau
Qu’elles soient sages ou sottes, les jeunes filles de l’Évangile avaient toutes le même désir : rencontrer l’époux. Car la clé qui nous fait entrer dans la salle des noces, c’est le Christ. Et il nous faut sans cesse nous poser la question : notre vie est-elle au Christ ? Ou bien seulement à nous-mêmes ? Avons-nous ce désir de rencontrer vraiment Jésus ? Ou vivons-nous des sacrements par une sorte d’habitude sociale ou mondaine ? Finalement, cela revient à poser la question de la manière suivante : sommes-nous des catholiques d’Évangile ou des catholiques d’apparence ?
Toute notre vie de chrétien doit tendre vers la rencontre du Christ. Saint Paul le disait à sa manière : « Pour moi, vivre c’est le Christ ». En ce dimanche le Seigneur nous invite à sortir de nos habitudes, de notre torpeur, de notre paresse : Debout ! Tiens-toi prêt ! Garde ton cœur tendu vers le ciel. La messe que nous célébrons, hélas à huis clos, est l’anticipation de cette rencontre définitive qui nous est promise. C’est déjà l’avant-goût de la joie du ciel. Un jour au ciel, quand nous serons morts, nous serons conduits à la rencontre de l’époux. Et nous nous confions dès maintenant à la miséricorde de Dieu pour qu’il nous reconnaisse, pour qu’il nous découvre prêts, la lampe allumée, présents, désireux.
Chaque messe, et je pense en particulier pour ceux qui le peuvent en semaine, chaque temps d’adoration ou d’oraison, chaque confession est comme une recharge de notre lampe intérieure pour faire grandir en nous le désir de rencontrer l’époux et notre vigilance afin qu’il nous trouve prêts.
Oui, chers amis, notre cité se trouve dans les cieux, notre patrie véritable, c’est le ciel du Seigneur. C’est la salle des noces, c’est l’alliance avec le Seigneur, l’alliance nouvelle et éternelle.
Si l’Évangile n’est pas un conte de fées, c’est que l’enjeu n’est pas la joie des enfants mais la gloire du Ciel et la vie éternelle, la vie qui comblera pleinement nos vies.
Puissions-nous le désirer et le croire vraiment. Ô viens Sagesse éternelle, repos et gloire de Dieu !