Notre vie est au ciel… et faudrait pas rater la porte !
Quand j’étais petit, nous avions à la maison une petite bande dessinée sur la conversion. On y voyait un homme fort apprêté dans son travail, avec en légende : « Trop occupé pour penser à Dieu », puis un couple très amoureux en train de s’embrasser avec comme légende : « Trop amoureux pour penser à Dieu », puis une personne très riche en train de compter son argent avec en légende : « Trop riche pour penser à Dieu », et ainsi de suite. J’ai un vif souvenir de la dernière image. C’était un cercueil qu’on portait à l’entrée d’une église : « Trop tard pour penser à Dieu ».
L’Évangile de ce dimanche nous met directement en face des choses essentielles de notre vie : la mort, l’éternité, la conversion. Sans ménagement, Jésus prend une comparaison botanique pour nous demander si notre vie porte du fruit ou si, comme le figuier de l’Évangile, nous risquons l’arrachage à tout moment.
La véritable providence
Les exemples que Jésus prend nous parlent de la providence et des catastrophes qui peuvent survenir. C’est d’ailleurs souvent un argument qu’on oppose aux croyants : « Si Dieu existait, y aurait pas eu de Covid, ni de guerre en Ukraine », « si Dieu existait il n’y aurait pas d’effondrement de pont ou d’Ouragan ». Eh bien, frères et sœurs bien aimés… j’ai une information capitale à vous livrer ce soir : Dieu n’intervient pas à tort et à travers. Dieu n’arrête pas le camion qui va écraser la grand-mère, ou le fou alcoolisé.
Serait-ce donc que Dieu est un éternel impuissant ? Ou que sa providence n’est qu’une fumisterie ?
Jésus nous dit dans l’Évangile cette vérité importante : ceux sur qui s’abattent les malheurs ne sont pas nécessairement plus pécheurs que les autres. La providence de Dieu ne se réduit pas à ce que nous évitions des malheurs.
La promesse de Dieu, c’est bien davantage qu’au cœur de nos souffrances Dieu est présent. Pourquoi donc Jésus prend-il le temps de se faire chair dans le sein de la Vierge Marie ? Pourquoi accepte-il de vivre toutes les étapes de la vie d’homme ? Pourquoi accepte-t-il aussi de souffrir sur la Croix ? Pour qu’aucun de ces moments de souffrance ne puisse être sauvé par sa puissance. Saint Grégoire de Nazianze le dit bien : « Tout ce qui n’est pas assumé n’est pas sauvé ». L’engagement de Dieu, c’est donc de nous répéter sans cesse : « Dans toutes tes souffrances, dans tous tes malheurs, moi je suis avec toi ». Dit encore autrement, « rien de ce qui te fait souffrir ne m’est étranger ». La promesse de la Providence de Dieu, c’est donc la présence du Christ au cœur de nos détresses.
Et souvent, lorsqu’une situation douloureuse nous arrive, lorsqu’une tuile nous tombe sur la tête, nous interpellons Dieu : « Qu’est-ce que j’ai fait au bon Dieu pour que cela m’arrive, à moi ? » Mais nous devrions plutôt dire : « Seigneur, sois avec moi au cœur de cette épreuve, ne me lâche pas, ne m’abandonne pas ».
La nécessité de se convertir
Bien loin de l’image d’un grand Dieu sur son petit nuage qui gouvernerait le monde de sa puissance, le Christ pendant ce temps de carême se présente comme celui qui accepte de souffrir avec nous et pour nous. Et en même temps, il est aussi celui qui rappelle la nécessité absolue de la conversion.
Parce que Dieu nous laisse libre, parce que Dieu ne veut pas nous forcer, et aussi parce qu’il nous prend au sérieux. Nos actes comptent et engagent. Chacun de nos actes sur la Terre a un poids pour l’éternité. « Vous ne saurez ni le jour ni l’heure ». On l’oublie peut-être parfois trop, en nous disant que nous avons le temps, que la conversion ce sera pour plus tard. Qu’il faut profiter pour l’instant et qu’on verra bien, juste avant de mourir. Pourtant Jésus nous redit que la balle est dans notre camp : « Si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de même ».
Cela fait peur de parler de la mort. Depuis quelques mois, entre le Covid et la guerre en Ukraine, la mort fait les gros titres, la mort nous angoisse même parfois. Elle nous fait peur. Nous avons peur d’être surpris par la mort. Nous avons peur de ne pas être prêts. Nous avons peur finalement aussi de ce jugement de Dieu.
Au cœur de ce carême, le Christ nous rappelle cette vérité essentielle : c’est le moment favorable pour se convertir. La conversion, c’est pour maintenant. Nous n’avons plus le temps d’attendre, il y a comme une forme d’urgence. Comme le figuier, le Seigneur attend que nous portions un fruit, sinon nous risquons l’arrachage.
Pendant le temps du carême, nous pouvons nous poser honnêtement la question : où en sommes-nous de notre conversion ? C’est-à-dire de l’effort de notre volonté pour changer et porter un fruit. Le carême a commencé il y a déjà presque 20 jours. Où en sommes-nous ? Qu’avons-nous changé ? Qu’avons-nous tenu ? Comment avance… ou n’avance pas notre conversion ?
C’est pour vous qu’il patiente
Les mots de conversion et de mort peuvent faire peur. C’est vrai, ils nous effraient parfois. Mais il faut regarder précisément qui nous invite à nous convertir et qui nous parle de la mort.
C’est Dieu, le Christ Miséricordieux qui a donné sa vie pour nous, qui nous parle de la mort. Il est celui qui patiente pour que, comme dit saint Paul, nous ayons le temps de nous convertir. Sans cesse Dieu nous renouvelle sa confiance. Sans cesse Dieu regarde nos petits efforts de conversion et fait le bout de chemin qui manque.
C’est peut-être le sens de la confession d’ailleurs. Quand je me confesse, je fais les 5% de chemin vers Dieu que j’arrive à faire : me mettre à genoux, être humble, reconnaître devant Dieu mon péché. Et lui, Dieu, qui patiente sans cesse, me regarde avec tendresse et fait les 95 % du chemin que je ne peux pas faire, en me réintroduisant dans la grâce du baptême. Quelle merveille ! Quelle splendeur !
Qui pourrait inventer un Dieu aussi tendre et bon avec nous ? Celui qui nous invite à nous convertir, c’est celui qui a pardonné à la Samaritaine, la femme légère, celui qui a sauvé Zachée le publicain, celui qui a ressuscité Lazare, celui qui n’a pas condamné la femme adultère, celui qui a relevé Pierre après sa chute, celui qui a appelé Paul à devenir apôtre alors qu’il persécutait les chrétiens. Celui qui patiente pour nous, c’est le Seigneur qui nous aime.
L’Évangile d’aujourd’hui doit aussi nous faire comprendre que notre conversion prend du temps. Je rencontre parfois, au confessionnal ou ailleurs, des hommes et des femmes qui voudraient que leur difficulté dans la vie chrétienne ou leur lutte contre tel ou tel péché récurrent, se règle en une fraction de seconde. Qu’une confession plus tard l’addiction ait disparu et que la prière soit devenue facile, ou la charité une évidence. Eh bien non, la patience dont Dieu fait preuve pour nous, il faut parfois aussi l’avoir pour nous-mêmes.
Nous restons des êtres humains soumis au temps et notre conversion n’est pas l’affaire d’un instant, elle est l’affaire de toute notre vie. Peut-être même que certains de nos défauts, de nos péchés, mourront 15 minutes après nous.
En ce dimanche, il nous faut conjuger à la fois l’urgence de notre conversion, qui est un enjeu vital : se convertir ou mourir. Car notre vie est dans le ciel et il ne faudrait pas rater la porte ! Et en même temps saisir que notre conversion est avant tout une plongée dans la Miséricorde et dans la patience du Seigneur.
Ayons confiance en lui, il est un maître exigent… mais infiniment bon.