Conseil de défense céleste !
En cette après midi du 24 décembre, le ciel était en effervescence. En particulier autour du bureau du patron, tout en haut du dernier nuage. Là où même le grand Saint Pierre ne vient que sur la pointe des pieds. On voyait des anges partout s’agiter, les uns pour porter des messages, les autres pour astiquer leur trompette. Parmi eux, le jeune Arquenciel. Il vient de sortir de la pépinière des anges et n’est pas très habitué à cette agitation céleste. Il se demande en lui-même : « Mais que se passe-t-il ici ? Franchement, c’est à rien n’y comprendre : à l’école, on nous a appris qu’il fallait être calme pour être un bon ange… » Sortant de sa timidité, il attrape par l’aile droite un ange expérimenté et lui demande : « Mon cher ange, auriez-vous l’obligeance de me dire ce qu’il se passe. » Et l’autre de lui répondre un peu busquement : « D’une part je suis le Séraphin Circonstanciel, et d’autre part vous ne le savez pas ? C’est le conseil de défense céleste ». « Le quoi ? demanda interloqué notre jeune apprenti. » « Le patron, le bon Dieu quoi, a convoqué tout son état-major, saint Michel, le Ministre de la santé, celui de l’Incarnation, celui de la Sainte Famille, car l’heure est grave, le bébé va arriver et il faut tout gérer… Bon, d’ailleurs, je suis attendu, je n’ai pas que ça à faire de rester là. »
Notre jeune ange Arquenciel, un peu déçu de la réponse ne se laisse pas abattre, et tente d’interroger un autre compagnon ailé de passage : « Cher Ange Hautpotentiel, dites-moi, on m’a parlé d’un bébé mais je ne comprends pas tout, je suis encore un débutant, voyez-vous… ». Plus patient que son confrère, l’ange Hautpotentiel lui dit : « Je crois qu’il faudrait que tu révises tes cours d’Ancien Testament, mon cher ami. Relis donc le livre d’Isaïe : cela fait des siècles que le peuple était en attente d’un Sauveur. Qu’il attendait que Dieu intervienne pour enfin le délivrer du péché. » Arquenciel le coupe : « Ah oui, bien sûr, tu veux dire le fait que pour les hommes c’est si rude de suivre les commandements de Dieu, qu’ils ont plus de facilité à faire le mal, à blesser leurs camarades de classe, à être égoïstes, à trahir ou à tromper plutôt qu’à aimer. D’ailleurs, nous, les anges gardiens, nous savons bien que ça commence dès la cours de récréation.» « Pendant longtemps, Dieu a envoyé les patriarches et les prophètes pour leur parler. » « Ah oui, je me souviens qu’à l’école, l’ange Gardenciel nous avait raconté sa mission auprès d’Abraham, il y a longtemps. » « Mais tu vois du coup, le grand patron, voyant bien que les prophètes ça ne suffisait pas, et que rien n’y faisait pour son peuple, a décidé que ce serait sans doute une bonne idée d’aller plus loin. Et déjà depuis un moment il a promis d’envoyer un enfant comme tu peux le lire au livre d’Isaïe : « Oui, un enfant nous est né, un fils nous a été donné ! » Bon par contre je dois filer, je suis attendu à l’atelier des trompettes angéliques, désolé. »
Arquenciel tout en agitant légèrement ses ailes, se dit que c’était déjà mieux que rien. Il restait néanmoins un peu sur sa fin. Toujours coincé devant la porte fermée du conseil de défense céleste, et en attente des annonces du grand patron censées venir une fois que les décisions seraient prises, il se laissa gagner par la curiosité et tendit l’oreille à travers la porte.
« Bon, saint Michel, disait Dieu le Père, dis-nous comment sont tes anges pour cette nuit si importante » « Nous avons positionné deux légions au-dessus de Bethléem. Hélas, Joseph et Marie ont été rejetés par les aubergistes du pays, impossible pour eux de trouver une place. Voulez-vous que nous intervenions ? » « Michel, je te l’ai déjà dit plusieurs fois. Si j’envoie le Fils prendre chair de la Vierge Marie, si nous avons décidé qu’il se fasse Homme, ce n’est pas pour que des anges viennent sans arrêt à son secours, mais pour qu’il puisse s’unir avec toute l’humanité. Je ne veux pas d’un Dieu qui se fasse Homme à la manière d’un super-héros en combinaison moulante bleu et rouge, ou avec une cape noire et une épée à la main. » L’ange ministre de l’Incarnation renchérit : « Père éternel, si vous me permettez d’ajouter quelque chose, je dirais que l’objectif est que le Sauveur puisse vivre toutes les étapes de la vie des hommes. De leur naissance jusqu’à la mort. De la crèche à la croix. »
Toujours caché derrière la porte Arquenciel n’en croyait pas ses ailes ! Le Verbe, la deuxième personne de la Trinité, le Fils éternel, allait se faire petit enfant ? Lui que depuis toujours il imaginait Dieu puissant, fort… un petit enfant qui pleure ? Un petit enfant qui dépend de sa mère, un petit enfant qui a froid ! Alors là, en voilà bien un scoop. Piqué de curiosité, le voici donc qui tend à nouveau l’oreille pour écouter.
« Donc du coup, à part les troupes célestes des trompettes, on ne fait rien ce soir ? » « Non Saint Michel. Rien de particulier. C’est une nuit toute simple dans le ciel de Bethléem et pourtant, c’est une nuit qui va changer le monde pour toujours. Comme j’aimerais que par toi, Esprit-Saint, les hommes de toutes les générations puissent vraiment comprendre l’enjeu de cette nuit-là. »
« De fait, interrompit saint Michel, ce n’est pas gagné sur ce front-là. Il y a Auguste l’empereur qui ne pense qu’à compter, qu’à recenser. Un peu comme tous les politiques. À croire que ça les aide à être réélus. Bref, il a organisé un recensement. Il voulait tout savoir, tout compter, tout maîtriser. Mais il a sans doute oublié que dans la nuit de Noël, le plus important c’est d’accueillir. D’accueil l’enfant de la crèche. »
« Esprit-Saint, ce que je veux qu’ils comprennent, c’est qu’en cette nuit si particulière, le destin de l’humanité est changé, car maintenant dans la personne de Jésus, l’enfant de Bethléem, les hommes ont Dieu avec eux (Emmanuel : Dieu avec nous). Que cet enfant est « Merveilleux conseiller, Dieu fort, père à jamais » mais qu’il est aussi le tout proche. Je veux qu’ils comprennent que sur un bout de terre de Palestine leur est donné le Sauveur véritable. Qu’en cette nuit se manifeste « la grâce de Dieu pour la salut de tous les hommes ». J’aimerais qu’ils comprennent que, puisqu’ils étaient incapables de venir jusqu’au Ciel par leur propre effort, c’est désormais le ciel qui est descendu sur la terre. »
De l’autre côté de la porte Arquenciel se disait en lui-même : « Les ailes m’en tombent ! Je n’ai jamais entendu le patron parler comme cela. Ce qui se joue cette nuit est décisif. Cela va changer l’histoire du monde à jamais. Je comprends mieux pourquoi les trompettes célestes sont de sortie, pourquoi depuis pas mal de temps je les entends chanter à tue-tête pour s’entraîner : Glooooooooooria in Excelsis Deo »…
« Cher saint Michel, poursuivit le patron, ce serait bien aussi qu’à travers toutes les générations, et même les vacanciers et habitants de la vallée de Serre Chevalier comprennent que s’ils veulent une vie différente, une vie transformée, une vie véritablement remplie, il va falloir qu’ils se mettent à l’école de mon Fils, à l’école du Christ, à l’écoute de l’Évangile. Que la soirée de Noël ce n’est pas tant les cadeaux, l’amitié ou la fraternité des hommes, mais bien Jésus : « Dieu Sauve », Emmanuel « Dieu avec nous ». Qu’à travers toutes les générations on puisse comprendre qu’il y a là une véritable bonne nouvelle. Et qu’ils comprennent qu’il est temps de fermer la TV, d’éteindre les réseaux sociaux et la radio pour écouter la véritable bonne nouvelle : l’Évangile. Car il n’y a pas beaucoup de sens à célébrer la venue de Jésus sans se mettre à son école et à son écoute. »
« Je ferai de mon mieux avec les anges. En fait, patron, vous voudriez qu’ils ressemblent à Marie et à Joseph ? » « Oui, tout à fait. Regarde saint Joseph : dans la crèche il est discret, silencieux, il leur montre que le bien ne fait pas de bruit et que le bruit ne fait pas de bien, il médite dans son cœur l’arrivée du Sauveur. Il y a aussi sainte Marie, la Vierge Immaculée : elle croit, elle aime, elle espère. Elle montre aux hommes ce qu’il y a d’essentiel et qu’on ne peut pas trouver sur un marché de Noël entre le fromage et le saucisson… »
À cet instant, la scène est interrompue par une grande clameur venue de la Terre. Au-dessus de Bethléem, le chœur des anges se met à chanter : « Gloire à Dieu, au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes qu’il aime ». Alors le jeune ange Arquenciel se penche sur cette terre et contemple. Et que peut-il bien voir de cette crèche ?
À la crèche, il y a Auguste qui compte, les aubergistes qui rejettent, il y a Joseph qui contemple en silence. Il y a Marie qui croit, qui espère et qui aime. À la crèche il y a Jésus qui sauve, Jésus qui sauve les hommes. À la crèche il y a aussi toi, moi, nous tous. Notre vie peut être transformée par la venue de Jésus. Ce qui s’est passé dans l’étable de Bethléem a changé le monde. Si tu accueilles Jésus aujourd’hui, ce soir, dans ta vie, dans ton coeur, il peut te transformer. « Paix sur la terre aux hommes qu’il aime », c’est ce qu’il est venu annoncer. Il est venu apporter la paix, la paix pour chacun de nous ici. La paix parce qu’il nous aime.
Ce soir il ne faut pas compter. Ce soir il ne faut pas exclure. Ce soir il faut juste s’approcher de la crèche, comme les anges, comme les bergers, comme Marie et Joseph. S’approcher de Jésus et se laisser aimer.
Le laisser nous aimer.