La lumière et le corps du Sauveur ! (Jour de Noël)

En ce matin de Noël les personnages de la crèche sont en grande discussion. Voici le bœuf qui s’adresse à l’âne : « tu comprends quelque chose, toi, à l’Évangile de la messe de ce matin ? ». L’âne, dans un hennissement caractéristique, lui répond : « Non, pas vraiment, tu sais je suis un âne moi… mais en tout cas c’est bien différent d’hier soir, là y a plus les petits anges dans le ciel. Et puis ma maman m’avait dit que Noël c’était les bergers, le petit bébé, la naissance, les anges… pourquoi donc le curé a-t-il lu un truc aussi compliqué ? ».

De son côté l’ange, assis au-dessus de la crèche, est un peu fatigué par la longue nuit qu’il vient de passer. Il a les ailes transies et la trompette en bandoulière. Il déclare à son confrère à côté de lui, qui se repose après avoir chanté toute la nuit : « Le soleil va percer, la nuit est finie, mais le soleil n’est rien à côté de la lumière que nous avons vu cette nuit. La lumière de cette nuit était celle de Dieu, c’est la lumière que je contemple chaque jour au Paradis. »

L’âne, les yeux mi-clos interrompt la conversation : « Mais je ne comprends pas comment un enfant pauvre dans un crèche peut être « la vraie lumière » : dans cette étable de Bethléem de mon côté, je ne vois qu’une maigre bougie, un peu de paille et pas mal de courants d’air. »

Il s’est fait homme 

Avouons-le, frères et sœurs bien aimés, la question de l’âne n’est pas idiote en ce jour de Noël. Peut-être certains d’entre nous ont-ils été surpris de ne pas entendre dans l’Évangile parler de bergers, d’anges et de crèche mais d’y trouver plutôt une longue méditation théologique sur le grand mystère de Noël, celui de l’Incarnation. Nous l’entendions il y a un instant : « Le verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous ». Littéralement, il a planté sa tente. Autrement dit le mystère de ce matin de Noël est celui d’une grâce de proximité. Le Fils de Dieu, qui par nature est invisible, qui est Lumière, Vérité, Parole, descend pour prendre chair de notre humanité. Comme le dit admirablement la liturgie de ce jour : « Celui qui par nature est invisible se rend visible à nos yeux ». Ses traits sont étonnants en ce jour car ils sont celui d’un petit enfant faible et fragile confié à la garde de Marie et de Joseph. Dieu a pris un visage, celui d’un enfant. C’est cela le miracle de Noël : l’humanité du Christ nous rend Dieu proche. 

Quand dans la fiction on essaie de représenter Dieu, on l’imagine souvent sur un grand nuage, avec des éclairs de tous côtés, puissant, écrasant parfois, tout-puissant. En ce jour de Noël nous ne venons pas nier la toute puissance de Dieu, au contraire : « il était au commencement auprès de Dieu. C’est par lui que tout est venu à l’existence ! ». Le Verbe, celui qui se fait homme, n’est pas un super prophète, il n’est pas une sorte de super chrétien. Non c’est bien Dieu, le tout-puissant qui se fait le tout petit.  En contemplant ainsi la crèche et les bergers dans la nuit de Noël, puis les anges, nous sommes conduits de ce qu’il y a de plus humain — la naissance d’un enfant — à ce qu’il y a de plus divin — dans la Trinité, le Père envoie son Fils qui se fait petit enfant par l’œuvre de l’Esprit Saint. Saint Thomas d’Aquin aime à dire que Dieu nous rejoint dans ce que nous avons de plus sensible, de plus charnel, pour nous élever et nous conduire aux réalités spirituelles.

Il a pris chair

Cette proximité de Dieu en Jésus passe par un corps. Le corps de Jésus. Arrêtons-nous un instant dessus. À la crèche le Christ se fait chair, il nous offre son corps à adorer, à contempler. Non pas simplement comme on regarderait le dernier né de la famille : « Oh comme il est mignon, il tient de sa mère », mais plutôt comme on admire celui qui se fait proche d’un autre. Pour parler à un enfant nous préférons utiliser des mots simples, nous mettre à sa hauteur. Eh bien c’est ce que fait Dieu : il sait que nous avons besoin de nos sens pour percevoir le mystère. À travers le corps de Jésus, il offre à nos yeux de voir Dieu et de voir Dieu vulnérable. Tous ceux d’entre nous qui ont déjà eu dans les bras un enfant de quelques jours ou de quelques heures le savent : il y a là une fragilité extrême. Si Jésus accepte de se faire fragilité, d’entrer dans le monde par la petite porte de notre corporéité c’est pour donner à notre chair une dimension nouvelle. 

Notre société occidentale contemporaine a un rapport au corps tout à fait particulier : pour certains il est déifié à grands coups de musculation dans les salles de sport ; pour d’autres il doit être augmenté à l’aide d’implants bioniques ; pour d’autres encore il est un boulet à tirer, endolori et meurtri par l’âge ou la maladie, et dont il faudrait se débarrasser le plus vite possible ; pour d’autres enfin il est le moyen d’un plaisir égoïste. Face à tout cela, le Christ nous offre un autre perspective. Dieu prend un visage, il prend chair de notre chair et vient nous dire que notre propre chair est appelée à prendre part à sa divinité. Il devient un premier de cordée qui unit en sa personne humanité et divinité… Premier de cordée appelé à être suivi par d’autres. En se faisant homme, il nous dit : moi Dieu j’accepte d’être comme toi vulnérable, fragile, petit. Je décide de franchir toutes les marches de croissance : petit enfant, adolescent, jeune adulte et adulte. Je décide de ressentir tout ce que tu peux ressentir : tristesse, angoisse, peur, joie, amour, amitié, souffrance et détresse. Pour que dans toutes nos activités, dans toutes nos réalités le Sauveur puisse être un compagnon de route. Mais aussi pour que toutes ces choses qui constituent notre vie soient sauvées de l’intérieur. Saint Grégoire de Nazianze disait à sa manière cette nécessité : « Tout ce qui n’est pas assumé n’est pas sauvé ».

Et non content de nous sauver de l’intérieur, le Verbe en venant dans la crèche nous donne le modèle de toute vie chrétienne : donner sa vie. Être chrétien, disciple du Christ c’est ainsi comprendre qu’à sa suite, « de la crèche au crucifiement » pour reprendre le cantique bien connu, je suis appelé à donner ma vie par amour. Avec mon corps je peux me mettre au service des autres. Gratuitement, Dieu se fait petit enfant pour s’offrir à nous, gratuitement je suis invité à sa suite à me donner pour les autres. C’est peut-être cela que préfigure les cadeaux que nous aimons nous échanger au moment de Noël.

Pour que nous soyons fait Dieu

Mais en nous penchant sur ces réalités spirituelles si hautes de Noël, nous pourrions nous demander : pourquoi donc Dieu nous envoie-t-il son fils ? Tout simplement parce que le but de l’incarnation, le but de Noël, c’est de faire de nous des enfants d’adoption. C’est-à-dire d’élever l’humanité à un rang inégalé. Si Dieu se fait Homme dans la crèche, enfant, bébé, c’est pour que nous les hommes puissions être élevés à l’égal de Dieu. Un cantique populaire, reprenant un peu saint Irénée, le dit à sa manière : « Notre Dieu s’est fait homme pour que l’homme soit Dieu ». 

Noël nous parle déjà de notre éternité. Noël nous invite à regarder au-delà des cadeaux et de la famille, et à embrasser notre vocation chrétienne tout entière : comme Jésus prend notre humanité, il nous appelle à entrer dans sa divinité. Il vient nous « emporter » vers le ciel, en nous redisant que si le Ciel vient sur la terre c’est pour que la terre entre dans le ciel.

Et cette réalité n’est pas lointaine. C’est la réalité de la messe. À chaque messe Dieu vient se faire petite hostie sur l’autel. À chaque messe Dieu se donne à nous… pour qu’à notre tour nous soyons transformés en lui.

C’est cela la joie de Noël. D’abord découvrir l’inouie de la proximité de Dieu : le verbe de Dieu, l’éternel se fait petit enfant. Ensuite que par son corps offert, il nous redit que par sa chair il vient sauver notre vie du péché et de la mort. Enfin, il s’offre à nous dans chaque messe. Il s’offre à nous dans la petite hostie. Communions donc en ce soir à la joie du Salut. Amen