Enquête de service…

Ils sont glorieux, les apôtres. La semaine dernière, nous avons contemplé le grand saint Pierre se faisant sévèrement rabrouer par Jésus… Et cette semaine, nous avons les apôtres qui chemin faisant, discutent pour savoir lequel d’entre eux est le plus grand. Non mais vous imaginez cette bande d’incapables ? Franchement, y a de quoi décevoir Jésus. Et pourtant, c’est sur eux qu’il a bâti le royaume, et c’est avec eux qu’il va parcourir la Galilée, c’est encore eux qu’il va envoyer annoncer à toutes les nations la Bonne Nouvelle du Salut. Je vous propose donc, chers amis, de mener l’enquête pour essayer de comprendre ce que Jésus peut bien vouloir nous dire à travers tout cela. Convoquons pour cela l’inspecteur Columbo. 

Mon cher Columbo, pourriez-vous entendre pour nous quelques témoins de cette drôle d’affaire et nous aider à y voir plus clair ? « Oh bien sûr… bon, c’est ma femme qui ne va pas être contente, mais puisque c’est pour vous, mon Père, je veux bien le faire ».

Premier témoin convoqué, saint Pierre. « Oui, Columbo, que voulez-vous savoir ? » « Oh, grand Saint Pierre, là, dans cet épisode d’aujourd’hui, j’aimerais comprendre pourquoi Jésus insiste tant sur la mort et la résurrection. Parce que dans l’épisode de la semaine dernière ça semblait vous chagriner un peu… »

« Mon cher inspecteur. Les choses sont pourtant évidentes. Le centre de notre foi, c’est la résurrection du Christ. Mon ami saint Paul l’a bien dit : « Si le Christ n’est pas ressuscité, alors vaine est notre foi ». D’ailleurs, chaque messe est une grande plongée dans le mystère de Pâques. Car tu vois, Columbo, la résurrection du Christ (et ça je l’ai compris après), c’est ce qui donne du sens à ce qui était perdu. La mort n’est pas une fin mais un passage. Et c’est pourquoi, tu vois, notre église est tout entière tournée vers Pâques. En ce début d’année, Columbo, pour ton enquête je peux au moins te dire une chose : c’est que les chrétiens feraient bien de bâtir leur programme d’année autour de Pâques en l’accueillant dans leur vie. »

« Hmmm, que veux-tu dire, grand saint Pierre ? Que la messe du dimanche peut être un choix définitif et profond ? Et qu’ils feraient mieux de ne pas faire du tourisme de messe, mais au contraire de rester fidèle à un lieu, et de mettre au centre de leur weekend la messe, le mystère de Pâques auquel ils communient ? Que la messe (celle du dimanche soir à Saint-Sulpice bien sûr), c’est le premier truc qu’ils doivent décider dans leur weekend avant d’y adjoindre du fun, la sortie à la campagne ou autre ? Bon, merci de ta présence saint Pierre, je te laisse disposer. »

« Greffier, faites entrer le témoin suivant. Ah oui, vous, vous étiez le disciple en train de discuter avec son voisin pour savoir qui est le plus grand, n’est-ce pas ? » « Oui inspecteur, et je n’en suis pas très fier ». « Je vois, je vois. D’ailleurs vous n’avez pas su quoi dire au maître lorsqu’il vous demandait de quoi vous discutiez en chemin. » « Oui je vous le confesse, inspecteur Columbo, j’aurais été plus à l’aise que saint Marc ne raconte rien de ce fâcheux épisode… Mais vous comprenez, je n’ai compris qu’après coup. C’était tellement naturel. À l’école on se compare pour savoir qui a eu la meilleure note, à la course à pied on se compare pour savoir qui court le plus vite, dans le scoutisme on se compare pour savoir qui construit la plus belle tente, dans les écoles on se compare pour savoir qui embrassera le plus de garçons ou de filles, dans les entreprises on se compare pour savoir qui gagne le plus, qui a la plus belle voiture, qui chante le mieux, et figurez-vous, Columbo, que les prêtres eux-mêmes comparent leurs messes pour savoir qui a le plus de monde, alors… Vous voyez la comparaison, c’est tellement répandu… si bien que nous, on voulait juste savoir lequel était le plus stylé, le plus grand. C’est naturel, après tout… » « Hmmm », répondit Columbo, pensif. « Figurez-vous que j’ai appris d’un bon père spirituel que comparaison = poison. Et si j’ai bien suivi la suite de l’Évangile, poursuit l’inspecteur, la logique du Christ c’est plutôt le don. La logique de Dieu c’est de donner sans compter… donc sans comparer. La comparaison, voilà ce qui mange les familles, les groupes d’amis, les entreprises. Et si chacun de nous choisissait durant cette semaine de ne pas comparer, de ne pas se comparer au voisin ? »

« Écoutez, Père Raphaël, j’ai du mal à mener mon enquête avec ces témoins-là. Est-ce que je pourrais interroger directement le principal intéressé, le Seigneur et Sauveur ? »

« Car voilà, Seigneur, déclare Columbo, vos apôtres et disciples sont sympas, mais y a encore quelque chose qui m’échappe. C’est cette histoire d’enfant, d’être petit et serviteur. Dans le monde contemporain, il faut se battre pour les meilleures études et les meilleurs concours. Il faut réussir, en entreprise ou à l’école. Il faut souvent réussir au mépris des autres. Et vous, Seigneur, vous leur dites « d’accueillir comme un enfant » : qu’est-ce que cela signifie ? C’est à n’y rien comprendre… »

« Columbo, je vous avais connu plus perspicace », déclara Jésus. « Mais comme je suis bon, je vais essayer de vous expliquer le sens profond de tout cela :

Sur la croix j’ai donné ma vie pour les hommes. J’ai offert toute ma vie sans rien attendre en retour. 

En fait je me suis fait le serviteur. Souviens-toi, le Jeudi Saint, le lavement des pieds et tout. Je voulais leur expliquer, non pas par des mots mais dans un acte, qu’aimer et servir étaient intimement liés. J’aimerais tant qu’il comprenne qu’il ne s’agit pas d’aimer en version collégienne, mais qu’il s’agit d’aimer par des actes et en vérité. M’accueillir, c’est aussi accueillir ce que j’ai fait et vécu sur la terre. Et sur la terre, mon cher inspecteur, je me suis fait petit et serviteur. Je suis né dans la crèche, j’ai souffert avec un corps d’homme. Le plus grand, celui qui est glorifié comme moi… c’est donc celui qui met de côté son ambition personnelle pour se mettre au service. Une de mes petites, Madeleine Delbrel, disait : « Servir ses frères, c’est régner avec Dieu ». Comme j’aimerais que mes enfants puissent comprendre cela.

Et tu sais quoi Columbo ? Ça tombe bien, parce qu’en ce début d’année, mon Église recrute. Spécialement à Saint-Sulpice. Il y a en a pour tous les goûts … Le curé m’a fait savoir dans la prière, qu’ils cherchaient de jeunes adultes pour aider à la catéchèse des enfants des écoles et collèges, que le père Raphaël avait besoin de monde pour l’équipe convivialité d’après la messe, mais aussi pour aider à chanter ou pour faire la quête. Que les maraudes recrutaient également des jeunes pour aider. Qu’on pouvait aider au ménage ou au rangement… En plus il paraît que la semaine prochaine, c’est leur journée de rentrée paroissiale… Mais que veux-tu ? Si les fidèles ne s’engagent pas pour aider, qu’ils viennent juste en touristes à la messe, comment vont faire mes pauvres petits prêtres ? Ils n’ont que 24 heures dans une journée, et n’ont que deux bras. Penses-tu, cher Columbo, que je doive leur implanter deux ou trois paires de bras supplémentaires façon Inspecteur Gadget ? Ou crois-tu que chaque fidèle qui vient à la messe va enfin arriver à comprendre qu’être chrétien, c’est servir l’Église et le monde. D’ailleurs, l’Esprit-Saint traînait un peu à Saint-Sulpice l’autre jour et il paraît qu’ils vont chanter à la fin de la messe du soir Restez en tenue de service. Alors oui, servir ce n’est pas toujours rigolo… mais crois-tu, Columbo, que la Croix était rigolote ? Servir, c’est aimer. 

En plus, ils seront tellement heureux après avoir servi. Columbo, penses-tu qu’ils vont pouvoir entendre mon message ? »

« Bah écoutez, Seigneur, j’espère bien, en tout cas je le mettrai dans mon PV d’enquête pour le Père Raphaël. Mais puis-je vous poser une dernière question : c’est quoi cette histoire d’accueil à la fin de l’Évangile… ? »

« Je suis heureux que tu poses la question, mon cher Columbo. J’allais justement y venir. J’aimerais que mes fidèles comprennent que je les envoie non seulement les uns vers les autres, mais aussi vers le monde. Qu’ils ne peuvent pas continuer à être indifférents à leur voisin de messe. Que la messe n’est pas un spectacle que l’on contemple de manière anonyme. Qu’au contraire elle est une communion. Ils sont unis les uns aux autres en étant unis à moi. Et tu te rends compte … certains partent comme des voleurs à la fin de la messe, voire avant la fin de la messe ! Alors vois-tu, cher Columbo, j’ai suggéré dans la prière au Père Raphaël de dégainer l’arme ultime : l’apéro à la fin de la messe. J’espère qu’ils arriveront enfin à se parler les uns les autres, à faire l’effort de se parler. »

Quelques jours plus tard, Columbo me fit donc ce compte rendu d’enquête : 

« Avec saint Pierre, j’ai compris que le Seigneur nous invite à faire notre programme d’année comme un programme tout entier tourné vers Pâques. Non pas vers les œufs et le chocolat, mais vers la résurrection et la vie ! En particulier en fixant la messe du dimanche en premier dans leur agenda du weekend. Ensuite, il nous rappelle que comparaison = poison, et que la logique de Dieu c’est de donner… sans compter ! Alors regardons ce que nous avons reçu au lieu de nous morfondre sur ce que nous n’avons pas. Enfin, j’ai rencontré Jésus, qui invite à servir et à donner. En particulier, il invite à ce que chaque chrétien se mette au service de la communauté et ne soit pas qu’un consommateur. Puissions-nous être de ces chrétiens engagés dans leur communauté au quotidien et resplendissant de la joie de Dieu. »