Voir avec Miséricorde

Sainte Faustine, dans une prière, disait « Aide-moi Seigneur pour que mes yeux soient miséricordieux, que je ne soupçonne jamais ni ne juge d’après les apparences extérieures, mais que je discerne la beauté dans l’âme de mon prochain et que je lui vienne en aide ». 

Voilà un beau programme de l’Avent ! Se faire le guetteur de la lumière qui vient. Chercher, dans son prochain ce qui est bon, ce qui est beau, ce qui est grand. 

Arrêter de se laisser éblouir par le péché… se concentrer sur la grâce 

Car il faut avouer une chose : notre société actuelle ne semble pas accessible à la Miséricorde. On ne pardonne plus aujourd’hui. Vous faites une faute dans une entreprise, et vous êtes mis dehors. Un homme politique ou un prêtre a une parole publique maladroite, le voilà lynché en bonne et due forme dans les médias. À l’heure des réseaux sociaux, on a l’impression de tout savoir, l’audace de croire que rien ne restera secret. Eh bien je crois qu’il y a pourtant quelque chose qui reste souvent beaucoup trop secret dans nos vies : c’est que nous restons aveugles sur les grâces que Dieu nous donne. Nous restons désespérément aveugles devant l’amour immense que Dieu nous témoigne au quotidien. 

Combien d’entre nous passons notre temps à nous plaindre : mon Père j’ai mal au dos, mon Père j’ai plein de problème, mon Père qu’est-ce que j’ai fait au bon Dieu… ? On se plains on râle sur ce que l’on n’a pas, sur ce qui nous manque, sur ce que nous ratons… mais nous n’osons pas regarder les choses en face : depuis notre naissance Dieu nous a comblés de sa grâce. 

Arrêtons de nous laisser éblouir par le péché. Que ce soit le nôtre ou celui de nos frères. Car il faut l’avouer : le péché, c’est ce que l’on voit en premier chez les autres. C’est ce patron injuste, dont l’injustice nous révolte. C’est ce conjoint qui manque de délicatesse, cet ado insupportable ou fainéant alors que vous vous tuez à la tâche chaque minute. Le mal, le péché d’autrui ou ses défauts nous sautent aux yeux, tandis que nous restons souvent aveugles devant la grâce de Dieu qui travaille dans nos cœurs. Devant l’amour du Christ qui se répand par la puissance de l’Esprit Saint. Le temps de l’Avent c’est aussi cela : ouvrir nos yeux à la présence du Sauveur qui vient. Pas juste le réclamer ou nous plaindre, mais contempler son action dès aujourd’hui dans nos vies dans nos cœurs. Ici et Maintenant ! 

Entrer dans la perfection selon Jésus 

Pour entrer déjà dans les prémices du salut et guérir notre aveuglement c’est aussi pour entrer dans un regard de miséricorde sur le monde d’aujourd’hui. On ne cesse de nous dire partout que le monde est pourri, qu’il ne connaît pas Dieu, que tout part à vau-l’eau, que nous sommes les derniers des mohicans dans un monde en perdition. 

En ce temps de l’Avent, nous oublions un détail : nous oublions de regarder le Christ et le regard que Jésus pose sur le monde, sur les personnes qu’il rencontre. 

Quand il rencontre la samaritaine par exemple. Il sait bien qu’il s’agit d’une femme de petite vertu, légère, hérétique, exclue de la société. Il n’est pas aveugle à sa faiblesse, mais il choisit de voir cette petite lueur de bonté en elle, au fond de son cœur.

Quand il rencontre Zachée le publicain, aussi. C’est un sacré voleur le garçon. Disons que niveau honnêteté, c’est pas terrible. Dans certaines de nos sociétés contemporaines, il aurait mérité qu’on lui coupe la main… Et pourtant Jésus s’invite chez lui. Pourtant Jésus regarde d’abord en lui ce qu’il y a de bon. 

Et quand il appelle Pierre, ne sait-il pas qu’il a un caractère impossible ? Et malgré cela, il choisit de voir d’abord dans cet homme faible et petit le premier pape. 

Chers amis, pendant ce temps de l’Avent j’aimerais tellement vous inviter à entrer dans le regard de Jésus sur le monde. Ce regard de miséricorde qui nous guérit de l’aveuglement dans lequel nous sommes. 

Oui, nous sommes aveugles de la grâce de Dieu à l’œuvre. Le temps de l’Avent, c’est un temps d’Espérance. Et nous pouvons nous demander si nous espérons vraiment avec un regard de joie et de Miséricorde quand nous voyons nos proches, nos collègues, nos enfants, nos parents. 

Je suis frappé d’une chose. C’est que, en 68, on nous avait promis qu’il serait désormais “interdit d’interdire”, que l’on pourrait jouir sans entrave…. Eh bien je constate, 50 ans après, que l’ambiance est bien morose et plutôt triste. 

Porter sur soi un regard de miséricorde 

« Quand aux aveugles, sortant de l’obscurité et des ténèbres, leurs yeux verront ». 

Oui, voilà la promesse du Seigneur, sortir de notre aveuglement. Car c’est un aveuglement que de croire, même dans le petit monde catholique, qu’il faut être parfait à la manière des hommes. Alors on vient sans arrêt à l’Eglise avec le poids de la culpabilité, incapables de nous remettre des erreurs du passé.

Vous vous souvenez peut-être de cette phrase de Jésus : « Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait », et au moment où vous prenez conscience de ce que signifie cette phrase, si vous êtes normaux, vous pensez que c’est déjà foutu, que vous avez déjà raté le coche, à cause de vos imperfections, de vos blessures, de vos péchés.

Mais le Seigneur ne vous demande pas d’être parfaits au sens d’un modèle à atteindre, au sens d’une pureté à préserver, au sens d’une élite à laquelle il faudrait appartenir.

Il vous demande d’être parfaits au sens d’un participe passé.

Dieu vous a créés, il vous a faits.

Mais vous avez tout défait par votre péché, par votre paresse et votre orgueil, par votre volonté de puissance et votre manque de charité.

En cela vous me ressemblez terriblement ; vous ressemblez aussi à Pierre.

Si vous êtes trop attachés à l’argent, vous ressemblez à Zachée ou à Matthieu.

Si vous avez vécu des expériences dans le domaine de la sexualité dont vous n’êtes pas fiers ou si vous avez passé trop de temps sur Internet à détruire votre cœur, vous ressemblez, d’une certaine manière, à Marie-Madeleine ou à Augustin.

Alors qu’ils avaient tout défait, Dieu a tout refait, par son amour, par sa miséricorde et son pardon. Sa grâce n’a pas peur de ce que vous avez défait, parce qu’elle est bien plus puissante que votre péché. En revanche, elle ne peut rien contre votre liberté, contre votre volonté.

Dieu ne peut entrer de force dans votre vie. C’est à vous de l’y accueillir, de l’inviter pour qu’il restaure en vous sa création, même si vous vous croyez indignes.

Voilà le sens du temps de l’Avent : accueillir le salut qui vient ! Se faire miséricorde à soi-même. C’est beau de parler de la Miséricorde de Dieu pour nous. C’est beau de nous exhorter à vivre la miséricorde et la bienveillance les uns pour les autres. Mais sommes-nous capables de porter sur notre propre vie un regard de miséricorde ? Sommes-nous capables de discerner dans notre propre vie les rayons de la grâce de Dieu ? Ou bien passons-nous notre vie à nous lamenter sur notre misère ? Pourquoi cette tendance foncière, ce mouvement premier qui nous pousse à penser que Dieu serait mécontent de nous ? Comme j’aimerais que nous puissions changer dans nos cœurs cette atmosphère de méfiance entre Dieu et nous, afin d’entrer dans une atmosphère d’amitié et de bienveillance. C’est le message de Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, l’autre grande sainte de la Miséricorde, qui déclarait : «  Oui je le sens quand bien même j’aurais commis tous les péchés qui peuvent se commettre, j’irais, le cœur brisé de repentir, me jeter dans les bras de Jésus, car je sais combien Il chérit l’enfant prodigue qui revient à lui ».

Vous pensiez peut-être que, pour être saint il fallait être le meilleur, qu’il fallait scrupuleusement observer les prescriptions de la loi et ne pas dévier, ni à droite ni à gauche ?

Pourtant, tout l’Évangile nous propose des figures de petits, de faibles, de pauvres et de pécheurs. 

Je le disais à la Toussaint, il y a quelques semaines : la sainteté n’est pas un concours, sinon, ce sont plutôt les derniers, les publicains et les prostituées, qui seraient les grands gagnants, comme le Seigneur lui-même nous le dit.

Pour pouvoir accéder à la gloire du Ciel, il faut accepter de se laisser faire, de se laisser refaire, de se laisser parfaire par l’Esprit de Dieu. Il faut accepter de se faire Miséricorde ! 

Voilà un très bon chemin pour ce temps de l’Avent : se pardonner à soi-même. Se réconcilier avec soi-même. Car Dieu est capable de toutes choses nouvelles. Dieu, qui a été capable de libérer Abraham, de conduire Moïse, d’accompagner Tobie, de transformer Paul, saura aussi vous donner une vie nouvelle, une vie belle, une vie grande. 

Ce qu’il nous demande, c’est de nous concentrer sur la lumière. La lumière qu’il donne dans nos vies. Plus nous laisserons de place à cette lumière, plus nous laisserons notre Seigneur « éclairer les yeux de ses serviteurs » et plus notre vie sera belle et grande. Voilà l’objectif.

Et à ceux d’entre nous qui pensent qu’ils sont indignes de cela, que de toute façon leur vie est perdue, que la Miséricorde de Dieu est vaine ou que leur vie est foutue parce qu’ils ont un jour commis une erreur, j’aimerais vous redire cette grande conviction de ma vie de prêtre, en vous invitant à regarder avec lucidité l’histoire sainte : Abraham était âgé, Jacob était en danger, Joseph a été injustement traité, Moïse bégayait, Gédéon était pauvre, Samson dépendait trop de sa femme, Rahab se prostituait, David a eu une relation extra-conjugale et de nombreux problèmes de famille, Elie avait des tendances suicidaires, Jérémie était dépressif, Naomi était veuve et Jean-Baptiste un peu original… Pierre était irréfléchi et colérique, Marthe trop exigeante, la samaritaine avait eu plusieurs maris, Thomas avait des doutes et Zachée était impopulaire, Paul avait des problèmes de santé et Timothée était timide… voilà un échantillon impressionnant de handicaps et de pauvreté, et pourtant le Seigneur a su les employer pour la Gloire de Dieu et le Salut du monde. 

Confiance, chaussons pendant cet Avent les lunettes du Christ, les lunettes de la Miséricorde, pour les autres mais aussi pour nous-mêmes ! Alors nos yeux verrons la lumière du Sauveur qui vient ! Et nous serons capables de témoigner de l’Espérance que la Miséricorde nous inspire.

Amen ! Viens Seigneur, viens nous illuminer de ton amour !