La vie n’est pas un long fleuve tranquille

Le cri qui ressort des lectures de ce dimanche matin est tout simple… la vie n’est pas un long fleuve tranquille. Tant pour Jérémie qui semble se désespérer dans sa mission que pour Pierre qui aimerait tellement que les choses se passent sans souffrir. L’un comme l’autre prennent en pleine face le fait que décidément… la vie n’est pas un long fleuve tranquille.

En fait, Jérémie et Pierre, mais finalement nous aussi, aimerions bien vivre comme les « hobbits » du Seigneur des Anneaux, ces sortes de demi-hommes aux pieds poilus qui vivent dans des maisons semi-enterrées et qui pourraient avoir comme devise « vivons tranquille, vivons heureux : vive la pipe, le bon vin et la bonne nourriture ; surtout ne venez pas nous déranger dans notre tranquillité ».

Être disciple, c’est suivre le Christ et se laisser déranger

Pierre est un peu comme un hobbit, il veut bien entreprendre la quête… mais il s’agirait tout de même que cela ne le dérange pas trop. Il a été audacieux, notre ami Pierre, souvenez-vous, au début de l’Évangile Jésus l’appelle et hop ! Il le suit sans trop réfléchir. Dimanche dernier dans l’Évangile, il confesse : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ». Bref il est au top ! Il n’avait pas franchement prévu cela au départ, lui qui menait une vie tranquille … Il pourrait prononcer les paroles de Jérémie entendues en première lecture : « Seigneur, tu m’as séduit, et j’ai été séduit ; tu m’as saisi, et tu as réussi. ». Et pourtant notre ami Pierre n’est pas encore tout à fait entré dans le projet de Dieu. Et on le comprend ! Imaginez le maître que vous avez suivi, le héros qui va sauver le monde, le messie d’Israël, qui vous annonce que ce sera bientôt fini et qu’il va souffrir et mourir… on a vu mieux comme perspective. Vous savez, c’est le moment de l’histoire où les suiveurs se disent que ça sent le roussi et qu’il vaudrait mieux aller se faire embaucher chez un autre. 

Et pourtant Jésus ne veut pas en rester là, « mes pensées ne sont pas vos pensées, déclare le Seigneur » lit-on dans l’ancien Testament. Il sait que le plan du Père est élevé bien au-dessus des pensées et des manières de faire des hommes. Qui aurait pu inventer un Dieu qui choisit de se faire homme dans une crèche et de souffrir la passion sur une croix ? 

Si Pierre, qui a suivi Jésus dès le début, a eu vraiment du mal à suivre le Christ, il ne faut pas s’étonner que cela nous demande à nous aussi un effort. Cela nous demande aussi d’entrer dans un projet qui n’est pas le nôtre. C’est difficile. En réunion d’entreprise, ou en projet d’école d’ingénieur, combien c’est difficile de faire confiance à un autre et de suivre l’intuition d’un autre. Sans arrêt nous cherchons à ramener les choses à notre manière de penser.

Acceptons-nous, frères et sœurs, de nous laisser déranger dans notre manière de penser par Dieu ? Ou sommes-nous finalement des Hobbits de la vie avec Dieu ?

Être disciple, c’est porter sa croix avec le Christ

En fait ce qui dérange notre ami Pierre c’est la croix. Et il faut l’avouer… au fond c’est aussi un peu ce qui nous dérange nous aussi. Si suivre Jésus consistait à faire la tournée des restaurants gastronomiques ou des spas de la région, ce serait tellement plus facile que d’entendre :  « Si quelqu’un veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive. Car celui qui veut sauver sa vie la perdra, mais qui perd sa vie à cause de moi la gardera. ». 

Et le chemin de la croix, chers amis, n’est pas une partie de plaisir. Dieu ne se réjouit pas de nous voir souffrir. Dieu ne souhaite pas nous voir souffrir. Mais cependant notre vie humaine ordinaire est marquée par la souffrance. Il ne faudrait pas rêver d’un monde de bisounours… si le Christ a choisi de connaître la croix et la souffrance, c’est pour nous dire « je ne te promets pas que tu ne souffres jamais, mais je te promets que dans toutes tes souffrances je serai là ». La vie chrétienne n’est pas une assurance tout risque, un happy few permanent. Être chrétien, c’est d’abord suivre le Christ et lui dire avec confiance : « Fais que je marche, Seigneur, aussi dur que soit le chemin, je veux te suivre jusqu’à la croix : Viens me prendre par la main. ».

Dans nos vies nos croix sont si diverses et toujours inattendues. Il y a ces souffrances au travail, il y a ces vies de familles compliquées ou divisées, il y a ces maladies qui frappent si soudainement, il y a des douleurs secrètes et des handicaps visibles. Nos croix nous ne les choisissons pas. Pierre non plus n’a pas choisi sa souffrance. Mais quand nous souffrons, chers amis, quand nous hurlons vers le Seigneur « pourquoi ? », essayons avec humilité d’entrer dans les sentiments de Jésus sur la croix : « Maltraité, il s’humiliait, il n’ouvrait pas la bouche, comme l’agneau qui se laisse mener à l’abattoir,  comme devant les tondeurs une brebis muette, il n’ouvrait pas la bouche. » 

Ainsi une première grâce, très concrète que nous pourrions demander en ce dimanche, c’est d’arrêter de nous plaindre constamment. Il paraît que c’est très français (c’est ce que l’on me disait quand j’étais en Belgique)… Porter sa croix, ça veut aussi dire en parler davantage à Jésus qu’à nos proches. Non pas qu’il ne faille pas compatir aux souffrances des uns et des autres… mais que c’est une belle grâce que d’arrêter de râler. 

Être disciple, c’est offrir son corps en hostie sainte 

Et Saint Paul nous offre, dans la seconde lecture, la clef pour que notre vie chrétienne ne soit pas un long fleuve tranquille stérile : « Je vous exhorte, frères, par la tendresse de Dieu, à lui présenter votre corps – votre personne tout entière –, en sacrifice vivant, saint, capable de plaire à Dieu : c’est là, pour vous, la juste manière de lui rendre un culte. ». Car offrir sa vie c’est toute la vocation de tout chrétien : nous le disons même à chaque messe : « que l’Esprit Saint face de nous une éternelle offrande à ta gloire ». Pourquoi ? Parce que Jésus l’a fait avant nous. C’est le sens des paroles que l’on prononce le jour saint du mariage.
Mais très concrètement, ça veut dire quoi, “offrir sa vie” ? 

Offrir sa vie, c’est d’abord s’oublier soi-même : penser aux autres avant de penser à soi. Et il est beaucoup de situations du quotidien où c’est possible : me servir le premier de gâteau ou en proposer aux autres avant moi ? Proposer d’abord à mon conjoint quel programme à la TV il veut regarder ou m’approprier unilatéralement la télécommande ?

Offrir sa vie, c’est se mettre au service des autres : en ce début d’année je peux me demander : à qui je rends service au quotidien ? Est-ce que le curé de la paroisse n’a pas besoin d’aide ? Quand telle personne me demande de l’aide, n’est-ce pas un appel de l’Esprit Saint à offrir ma vie à la suite du Christ ? 

Offrir sa vie, c’est un signe d’amour véritable : comme Jésus, je renonce à quelque chose qui me fait plaisir, je porte ma croix, mais pour aimer de manière véritable. 

Offrir sa vie, c’est prendre du temps dans ma semaine pour prier et offrir du temps au Seigneur. Pourquoi ne pas prendre 5 minutes quand je passe devant l’Église pendant la semaine. Simplement entrer, dire au Seigneur combien on l’aime, lui présenter une situation… 

Offrir sa vie au quotidien, c’est en fait se préparer ou renouveler le don de son mariage ou de son ordination : « je me donne à toi pour t’aimer fidèlement tout au long de notre vie ».

Alors en ce jour ne suivons pas l’exemple de Pierre, mais écoutons dans notre cœur la voix du Christ qui nous appelle à le suivre sur ses chemins.

Accueillons les croix que la vie nous présente comme des occasions de nous unir à Jésus, qui a donné sa vie pour nous, en faisant l’effort de moins nous plaindre.

Soyons enfin créatif dans l’amour pour « offrir notre vie » à Dieu par le service de nos frères aussi bien au quotidien que par un engagement tout au long de l’année.

Notre vie alors ne sera peut-être pas un long fleuve tranquille, mais elle nous préparera chaque jour à la joie éternelle du ciel que Dieu nous a promise.