Pauvre dom Salluste

Nous connaissons sans doute tous cette scène mythique du cinéma Français, où Dom Salluste, alias Louis de Funès est tiré de son sommeil par son vallet incarné par Yves Montant au son des pièces d’or : « il est l’or, monseignor, il est l’or de se réveiller » … La scène fait sourire, comme tout le film qui campe un ministre des finances malhonnête qui cherche d’abord à s’enrichir pour lui-même : « Ça, c’est pour moi, ça c’est pour le roi le roi… non, c’est pour moi » dit-il en partageant les revenus des impôts qu’il prélève. 

Après tout, a-t-il vraiment tort Dom Salluste car selon l’adage populaire « l’argent ne fait pas le bonheur mais il y contribue ». Il suffit de voir les situations terribles de certaines familles ou de certains pays, pour comprendre qu’on ne vit pas que d’amour et d’eau fraîche, même en étant chrétien. Alors que peut donc nous dire Jésus en ce dimanche ? Qu’il ne faudrait pas acheter l’iphone 11 Pro qui vient de sortir ? Qu’il faudrait tout donner à la quête sans contact grâce à votre carte bancaire ? 

Les questions soulevées par l’Evangile d’aujourd’hui redoublent quand on prend conscience que Jésus fait plus ou moins l’éloge de la malhonnêteté, puisque l’on peut lire : « le maître fit l’éloge de ce gérant malhonnête ». La difficulté est redoublée par le fait que parler d’argent, c’est toujours sensible et très personnel. Alors que veut vraiment nous dire Jésus aujourd’hui ? 

Commençons d’abord par incarner un peu ce personnage étrange, ce gérant, imaginez qu’il s’agit d’un ancien ministre de tel ou tel pays, qui s’est un peu arrangé et s’est constitué un gros pôle d’amis de telle sorte que lorsqu’il est mis dehors… il retrouve ses amis et peut continuer à vivre. Un peu scandaleux non ? Mais que Jésus peut-il louer en cet homme ? Sa malhonnêteté, certainement pas. 

Il loue d’abord l’abondance du don. Souvenez-vous, la semaine dernière, nous avions eu la présentation d’une figure de père peu banale qui donne et pardonne en abondance. Ce gérant d’une certaine manière donne en abondance des biens du maître. Il est un peu comme Jésus qui use et abuse de la miséricorde avec nous. Toujours avec excès. Il remet les dettes et pardonne les péchés. 

Ce gérant nous indique aussi le rapport à l’argent juste. L’argent est un moyen et non une fin. Le gérant ici se sert de l’argent pour créer des relations d’amitié. Il ne cherche d’ailleurs pas à s’enrichir pour lui-même. Il aurait pu choisir de partir avec la caisse après tout.  

Quand on dit que l’argent est un moyen et non une fin toute l’assemblée est d’accord… sur le principe. Mais comme il est omniprésent dans notre vie où la rentrée des classes est évaluée en terme de budget, la réussite des études suspendue à l’obtention ou non de la bourse, le mariage envisagé que si la fête peut être financée, on se rend compte qu’avec l’argent le monde petit à petit est devenu fou. La réflexion est donc plus difficile. Que l’on soit très riche ou très pauvre, notre rapport à l’argent peut être corrompu. 

 La question est en fait qu’est-ce que je fais de mon argent. Est-ce que mon argent est au service de la relation avec les autres ? Du bien commun ? ou simplement au service de la réussite personnelle ? 

Qu’on le veuille ou nous l’argent peut vite devenir un esclavage. C’est cela que Jésus pointe. Combien de jeunes ai-je vu choisir leur école supérieure simplement en regardant la case « salaire », et bien souvent encouragés par leurs parents qui veulent avoir une « sécurité ». L’argent peut en effet servir nos intérêts personnels, il peut aussi servir à développer des actions au profit des autres. En définitive, l’argent doit toujours être un moyen second par rapport aux seuls échanges qui vaillent la peine qu’on s’investisse, la rencontre avec les autres, avec tous les hommes parce qu’ils sont nos frères, parce que tous recèlent des richesses que l’argent occulte et pollue.

La plupart d’entre nous sans doute, essayons de tenir un juste milieu très chrétien, étant généreux de notre argent et de notre temps, et essayant d’être vraiment unis à Dieu et généreux. Et Jésus ne nous demande pas de renoncer à cet argent, il nous invite simplement à gagner des amis au ciel : «Faites-vous des amis avec l’argent trompeur pour qu’ils vous accueillent dans les demeures de la vie éternelle». Mais qui sont ces «amis» qui nous précéderont et nous accueilleront dans le ciel? Des gens malhonnêtes comme nous, qui auront manié l’argent et fait de bons placements? Non, ce ne seront pas des gens riches, mais ce seront les pauvres, ceux qui n’ont rien à nous donner, ceux qui attendent que nous leur donnions ce que nous avons en nous, ce que trop souvent nous gardons pour nous. Car nous avons tous quelque chose à donner, nous sommes tous riches de quelque chose. Ces «amis», ce sont ceux avec qui nous partageons, pas ceux à qui nous donnons des miettes, mais à qui nous donnons de nous-mêmes.

Les grands théologiens de tous les temps ont réfléchi à cette question de l’argent, des biens matériels. Et Saint Thomas d’Aquin nous invite à réfléchir à 3 notions clefs dans notre rapport aux biens matériels. L’avarice d’abord, le comportement de Dom Salluste qui accumule pour lui. La prodigalité d’un autre coté : celui qui, comme l’enfant prodigue, dépense à tour de bras sans ce soucier de sa famille ou de demain. La troisième caste offerte par le théologien c’est la libéralité. Le libéral, est celui qui saura tour à tour donner avec générosité de son bien matériel, et à d’autre moment le conserver. La générosité est la vérité de la vie ; elle s’accorde à son excès. Celui qui est généreux ne compte ni sa peine, ni son temps, ni ses forces. C’est le signe de la vérité de l’amour vrai. Les couples en savent quelque chose: leur présence est au-delà du calcul des droits et des devoirs dans les rôles respectifs du masculin et du féminin. Les parents savent que leur amour pour les enfants ne vaut que d’être inconditionnel et les enfants savent bien de quel amour ils sont aimés et que c’est là qu’ils trouvent le temps de la vie. Ce qui marque la valeur de la vie est la générosité. C’est pourquoi nous sommes redevables à nos maîtres qui nous ont appris à prier en disant: «Seigneur Jésus apprenez-nous à être généreux». Et nous pouvons lui demander d’autant plus qu’il a donné sa vie gratuitement par amour pour nous. Alors oui, frères et sœurs bien aimés, nous pouvons dire « pauvre Dom Saluste » car loin d’être le gérant de l’Evangile il est surtout l’homme qui cherche à s’enrichir pour lui même, à idolâtrer le bien, l’argent, ce qu’il possède ou ce qu’il prend aux autres. Car sa sécurité, ce sont les biens matériels. Heureux sommes nous de savoir que quoi qu’il arrive Dieu nous tient dans sa main, qu’il nous aime avec bonté et fait contribuer tout au bien de ceux qui l’aime.