Pauvre Marthe !
Pauvre Marthe ! Vous imaginez tout de même, elle se démène pour le service depuis 2 h, elle a fait cuire les petits gâteaux, elle a été acheter du thé, du café, elle a balayé la maison, elle a fait un diner sympathique pour recevoir leur ami Jésus…. Et elle ne reçoit ni compliment, ni encouragement mais plutôt une correction du Fils de Dieu, dont l’Évangile a le secret, une petite phrase cinglante qui en deux secondes lui donne tort et met en avant sa sœur.
Franchement, c’est l’inverse de tout ce que nous enseigne la bonne éducation : rendre service ! Lorsque l’on a un invité à la maison, on s’en occupe, on prépare des choses, on l’installe confortablement et on le sert. Même Abraham a compris cela. A l’issue d’une rencontre inattendue, il sert un festin à des hôtes de passage, il se démène, il fait tuer l’animal, il fait cuire des morceaux de pain … et il reçoit comme par surcroît l’annonce d’une descendance dans une rencontre étonnante de trois anges et de Dieu.
Non vraiment, Jésus serait-il en train de détruire définitivement les règles de l’hospitalité chrétienne ?
Pire encore, cet Évangile et ses commentaires classiques nous laissent parfois penser qu’il n’y a que la vocation consacrée qui vaille quelque chose. Que tous ceux qui sont dans l’action sont définitivement perdus et qu’ils se fourvoient ! Bref, de quoi bien nous désespérer ou nous faire nous poser la question : que faisons-nous dans cette église ce matin ?
En plus, Marthe culpabilise. Elle se demande ce qu’elle a raté. Elle a déjà conduit Paul au foot, Louise à la danse, elle a été voir la Maîtresse de Quentin. Elle a fait les courses et rangé la maison, et il faudrait « en plus » qu’elle passe deux heures à l’adoration par jour à l’Église. Non, c’est un peu fort de café tout de même. Elle culpabilise. Elle sent bien que prier ce serait pas mal. Mais elle est déjà si débordée. Et puis, prier elle ne sait pas trop comment faire, Marthe ! C’est une femme d’action. Rendre service oui, mais prier … c’est plus difficile. « C’est pas juste » peut-elle légitimement crier à Jésus …
Oui, c’est un des enseignements de cet évangile : la vie chrétienne n’est pas juste, au sens où Dieu ne donne pas la même chose à tous. La grâce de Dieu est d’abord un don gratuit et différent pour chacun, et non pas un don comptable. Nous vivons trop souvent une relation comptable avec Dieu. Il y a comme dans notre cœur un petit païen qui entretient avec Dieu des relations commerciales : « les bons comptes font les bons amis ».
Comme dans l’antiquité : on faisait un sacrifice à Neptune avant son voyage, pour être sûr d’être protégé. C’est donnant donnant. L’amour gratuit de Dieu nous déstabilise. Comme le temps gratuit que Jésus consacre à Marie la déstabilise. On préfèrerait que ce soit quelque chose de plus sûr : je paie, il livre. On essaye d’acheter Dieu par des efforts, par des sacrifices. « Je vais à la messe au lieu de rester au lit et en échange, tu protèges ma famille ». Marthe cherche un peu une relation comme cela avec Dieu : moi je travaille : je devrais recevoir. Le petit païen, il dit en nous : « tu t’embêtes pour le Seigneur, tu te compliques la vie donc, forcément : ca va être bien. »
En fait, le service de Marthe est magnifique, il est généreux. Elle veut faire bien. Le seul souci de Marthe, c’est qu’elle a oublié que la relation avec Dieu était une relation d’alliance. Une relation conjugale. Une relation d’amour. Combien sommes-nous, dans notre assemblée, à venir ainsi à la messe du dimanche : par devoir, comme un deal avec Dieu ? Venons-nous à la rencontre de l’être aimé ou accomplir notre devoir dominical ?
En fait, c’est tout l’enjeu de la remarque de Jésus à propos de la « meilleure part ». Il ne faudrait pas comprendre que Jésus préfère les bonnes-sœurs ou les curés aux bons pères de famille, mais plutôt il nous pose la question : que fais-tu de ton temps ? Tu peux croire, comme un ado : on verra bien plus tard. Tu peux comme Marthe être une tornade blanche, mais au risque d’entendre de Jésus « tu t’agites pour bien des choses ».
Rassurez- vous, je ne songe pas à refonder l’abbaye de Dammarie les Lys à la sortie de la messe, en vous invitant à une vie contemplative. Nous avons le droit d’être actif, nous avons le droit d’être dans le monde et nous y avons un rôle grand et beau ! Jésus reproche à Marthe d’avoir l’esprit occupé à tellement de choses qu’elle en oublie l’essentiel : elle a rempli les tasses de thé, servi les gâteaux, apprêté la maison… mais elle a oublié de s’occuper de l’invité. L’invité n’est pas juste un corps à nourrir ou à installer… c’est une personne à rencontrer !
Voilà la pointe de la vie chrétienne, voilà la meilleur part : rencontrer le Seigneur, se lier d’amitié et de confiance avec lui. En fait, il ne s’agit d’opposer l’action ou la prière, il s’agit surtout comme chrétien de se laisser rencontrer par Jésus. De l’accueillir, de vouloir l’aimer de vouloir parler avec lui. Pas de recette miracle, pas d’action qui à coup sûr, vous le ferait rencontrer mais un désir qui au fur et à mesure de notre vie chrétienne grandit.
Je suis frappé combien certains chrétiens dans le monde sont vraiment imprégnés de Jésus. Non pas qu’ils fassent 3 h de d’oraison par jour, mais qu’ils ont cette familiarité avec Jésus. Cette simplicité de relation. Jésus est présent à leur vie de tous les jours. Dans les transports en commun, avant une réunion ou devant la TV. Le problème de Marthe, ce n’était pas qu’elle était à la cuisine au lieu d’être au salon, mais qu’à la cuisine elle ne s’occupait que de la cuisine, sans y chercher le Christ.
On peut cuisiner pour réussir un plat, ou on peut cuisiner pour faire plaisir à ses invités.
En ce dimanche, à l’exemple d’Abraham et de Marie, le Seigneur nous invite à nous laisser rencontrer par Jésus. Dans le quotidien. Dans la vie concrète. Vous pourriez vous fixer un objectif : la prochaine fois que je couperai le melon, la prochaine fois que je serai arrêté au feu rouge, demain en passant l’aspirateur, ou samedi en allant chercher les enfants à la fin de leur colo, je penserai au Seigneur et lui redirai mon amour. Un moment concret pour lui dire mon affection pour grandir en amitié.
Frères et sœurs bien aimés, puisse le Seigneur lui-même devenir notre véritable ami et nous aider à grandir dans la gratuité de la relation avec lui. Pour sa gloire et notre joie.