A la boulangerie du Lac

Il y a bientôt 2000 ans, un brave romain s’était installé près du lac de Tibériade. Il avait appris la boulangerie auprès de son beau frère Caïus et son commerce prospérait gentiment. Un jour, alors que la Pâques approchait il vit de loin un homme et quelques compagnons débarquer. Bien vite suivi d’une foule nombreuse. Il se dit qu’avec un tel rassemblement, il va faire le chiffre d’affaire de l’année. Un peu à la manière du petit commerçant de Vézelay ou d’ailleurs qui voit tout à coup débarquer un nombre impressionnant de pèlerins. Non décidément la journée allait être bonne.

L’enthousiasme fut cependant de courte durée.

Un grand prophète s’est levé parmi nous.

En effet, notre ami boulanger comprend vite que l’homme qui arrive n’est pas un homme normal. Il a déjà entendu parlé de ses signes et de ses prodiges dans les villes proches : à Cana où il a fait couler le vin à flots, à Capharnaüm où il a sauvé le fils du centurion, à Jérusalem où il a guéri l’homme au bord de la piscine… et tant d’autres faits dont la rumeur se propage à travers tout le pays.

Notre bon boulanger a des origines juives, il se souvient donc que déjà dans l’ancienne alliance Dieu a permis d’accomplir des prodiges. C’est le cas en particulier pour Elie et Elisée. Ce dernier confronté à la famine avait nourri toute une foule d’une centaine d’hommes avec seulement quelques pains. Heureusement pour notre ami que ce genre de miracle de se produit pas tous les jours.

Pour qu’un tel prophète se lève il faudrait réunir quelques conditions : un signe extraordinaire, inexplicable par les connaissances actuelles, et surtout que cela reflète l’intervention de Dieu dans sa bonté et non pas seulement une puissance déchainée.

Le déroulement des évènements dont l’Evangile est témoin donnera tort à notre ami boulanger. Car par la première multiplication des pains que Jean nous donne dans son Evangile, le Seigneur se révèle comme prophète : il fait exactement les mêmes gestes qu’Elisée avant lui, il donne à manger à une foule immense… à partir de peu de chose. Dans les deux cas, la disproportion est manifeste 20 pains pour 100 hommes d’un coté, 5 pains et 2 poissons pour 5000 d’un autre.

L’extraordinaire de la situation pousse la foule à reconnaître « qu’un grand prophète s’est levé parmi nous » et  à vouloir en faire un roi, un roi bien terrestre, un roi qui donne à manger au corps de celui qui a faim.

 Le vrai sens de l’offertoire.

Pour aider notre boulanger à se consoler, peut-être pourrions-nous relever qu’en réalité Dieu a besoin des hommes pour réaliser son œuvre. Que ce soit dans le livre des Rois comme dans l’Évangile Dieu n’agit pas seul. Pour multiplier les pains, le prophète a besoin d’une base. Il y a donc ce jeune garçon qui apporte quelque chose, 5 pains et de 2 poissons. Il vient les donner, les offrir, les sacrifier. Il y a là un personnage clef, ce petit enfant va tout donner au maître. Il aurait pu garder son pique nique avec lui, nourrir ses proches, un point c’est tout. Il choisit d’offrir sans partage ni retour. Il donne ce qu’il a pour vivre maintenant.

Spirituellement, il y a ici quelque chose de la démarche de l’offertoire à la messe. L’offertoire c’est le moment où le prêtre, comme le Christ dans l’Evangile, présente le pain et le vin au Seigneur en lui rendant grâce pour ces dons. Souvent, à ce moment précis nous sommes plongés dans notre porte-monnaie pour y chercher la sacro-sainte piécette. L’offrande que nous faisons à la quête correspond au don que fait ce jeune enfant au Seigneur par l’intermédiaire des Apôtres.

A la messe dominicale il me semble qu’il ne faudrait pas que cette dimension d’offrande se résume à la quête. Le Seigneur a besoin aussi de notre offrande intérieure. Quand le prêtre présente le pain et le vin… qu’est-ce que je peux présenter à Dieu, que vais-je lui donner ? de ma semaine ? de mes efforts ? de mes douleurs ou de mes joies ?

En offrant ce que je suis sur l’autel, je viens demander au Seigneur de le transformer, de le consacrer, de le sanctifier.

Le pain véritable

Un autre élément mérite d’être dit à notre brave boulanger qui devrait le rassurer sur l’avenir de son commerce : si le Seigneur nourrit une faim bien terrestre en multipliant les pains c’est pour préfigurer une autre nourriture, celle qui rassasie vraiment, celle qui comble l’âme pleinement.

Cette multiplication des pains doit ouvrir nos cœurs et nos esprits pour recevoir la parole que Jésus va nous adresser. Ce signe de Jésus n’est qu’une introduction au discours du Pain de Vie qu’il va commencer juste après et que nous allons entendre pendant les dimanches du mois d’août.
En multipliant les pains, Jésus répète le geste de Moïse et d’Élisée, mais l’enseignement de Jésus qui va suivre est nouveau. Cet enseignement nous apprendra justement que Jésus est plus grand que Moïse et que tous les prophètes. Eux pouvaient donner au peuple le pain en temps de famine, eux pouvaient enseigner la sagesse au peuple. Mais ils donnaient alors ce qu’ils n’étaient pas.

Jésus, lui, il est le pain; il est la sagesse de Dieu. Quand il donne la sagesse, il se donne lui-même. Quand il donne le pain, il se donne lui-même. C’est le magnifique mystère qui va être offert à notre méditation pour les prochains dimanches.

Puisse la liturgie de ce dimanche nous aider à pénétrer plus allant dans ce mystère d’amour et notre brave boulanger repartir rassuré de trouver en Jésus non pas un concurrent déloyal mais un Dieu admirable.