Je n’ai pas le coeur fier ni le regard ambitieux
Sur le ring de l’Evangile, le combat commencé il y a plusieurs semaines en est à sa cinquième reprise. Déjà cinq dimanche que l’Eglise nous donne à méditer les controverses entre Jésus et les pharisiens dans l’Evangile de Saint Matthieu. Et aujourd’hui, entre nous soit dit, il ne fait pas bon être prêtre pour commenter les lectures de ce jour tant l’avertissement est redoutable.
Le problème des pharisiens et des prêtres de la première alliance
En fait dans l’Evangile d’aujourd’hui, le Christ révèle la fausseté de la piété pharisienne en se servant de l’exemple des prêtres de l’Ancien Testament : « faites donc et observez tout ce qu’il pourront vous dire, mais ne vous réglez pas sur leurs actes : car ils disent et ne font pas ». Voilà des paroles rudes qui peuvent tout de suite nous faire penser à des situations courantes. Quel éducateur, quel chef scout, quel parents n’a jamais été pris en défaut sur la cohérence de ses paroles et de ses actes ?
Jésus s’attaque aux pharisiens non pas pour le fond : ce qu’ils proclament c’est bien la Loi de Moïse. On a souvent une image assez négative des pharisiens. Les pharisiens, il nous faut nous le rappeler, sont quand même des juifs fervents, qui veulent vivre de la vie de Dieu. Leur erreur c’est de ne pas prendre les bons moyens. Ce n’est pas de l’extérieur qu’ils seront sauvés : par une application stricte d’une loi extérieure. Ils pensent, pour prendre une comparaison que si j’ai apporté tous les papiers à l’administration je vais avoir le tampon « sauvé » sur mon dossier. Et face à la liste des exigences proposées par la loi ils sont bien incapables de les remplir : ils disent… mais le font pas.
Et il nous faut nous l’avouer, nous sommes parfois un peu pharisiens nous-mêmes. Capables dans un dîner de rappeler la belle doctrine de l’Eglise ou le bon comportement et dans le secret de nos vies d’avoir plus de mal à le mettre en pratique.
Le vrai comportement du chrétien, c’est comme St Paul de se laisser saisir par le Christ et non ne cocher des cases. D’accueillir l’enseignement de l’Ecriture non pas comme un règlement intérieur à appliquer strictement mais comme une parole vivante : « Quand vous avez reçu de notre bouche la parole de Dieu, vous l’avez accueillie pour ce qu’elle est réellement : non pas une parole d’hommes, mais la parole de Dieu qui est à l’œuvre en vous les croyants ».
Le Christ : véritable autorité
Face à cette autorité dévoyée des pharisiens, qui fait dire à Jésus qu’ils ne sont pas de vrais « enseignants» le Christ nous offre un autre visage. Le véritable Maître c’est lui. Clément d’Alexandrie aimait à parler du Christ comme le « pédagogue », qui éduque ses disciples, qui les fait grandir. Un véritable chef. Lorsque j’étais engagé dans le scoutisme, j’ai été marqué par plusieurs figures de chefs. Ils imposaient le respect non par la puissance de leurs muscles ou leur autorité tyrannique, mais bien par la cohérence de leur vie. Ils avaient bien compris qu’ils ne pourraient être chefs sans la connexion au chef véritable : le Christ.
Il est parfois troublant pour des pères de familles, ou même des prêtres, de se faire appeler « Père » alors que l’Evangile d’aujourd’hui nous dit de ne jamais donner le titre de Père. En réalité, la paternité du père de famille ou celle du prêtre est mise en subordination de celle de Dieu. Saint Paul nous le dit : « je fléchis le genou devant le Père de qui toute paternité au ciel et sur la terre tire son nom » . Autrement dit, si je suis père de la terre, j’exerce quelque chose de la paternité de Dieu. Je ne suis pas ma propre source, comme les pharisiens pensaient peut être l’être. Je suis père en dépendance d’un autre Père plus grand que moi : le Père des cieux.
L’enseignant du Père, le véritable Maître, c’est le Christ, c’est celui qu’a rencontré St Paul et qu’il annonce sans relâche pour faire la joie des croyants.
Humilité : clef de la charité
Pour sortir par le haut du match de boxe qui se déroule depuis plusieurs semaines il faut nous lire le psaume d’aujourd’hui : « Seigneur, je n’ai pas le cœur fier, ni le regard ambitieux ; je ne poursuis ni grands desseins, ni merveilles qui me dépassent. ». Je n’ai pas la prétention de tout savoir du mystère de Dieu. Je ne pourrai jamais enfermer Dieu dans un ensemble, même bien structuré, de règles morales. Alors je décide de rester à ma place. Celle du Maître, c’est celle du Christ. J’accueille ce qu’il dit non pour le vivre extérieurement mais pour le laisser pénétrer à l’intérieur, en me blottissant contre le sein du maître : « mon âme est en moi comme un enfant, comme un petit enfant contre sa mère ». Les saints que nous fêtions mercredi dans la fête de la Toussaint l’avaient bien compris : ce ne sont pas leur qualités personnelles qui font leur gloire mais bien la grâce divine. C’est en se laissant imprégnés de l’amour du Christ qu’ils parviennent à aimer en acte. Ils ne sont pas parfaits au sens d’une perfection humaine ils sont parfaits au sens d’un participe passé. Alors que Dieu nous fait, nous a créé, nous avons tout défait par notre péché, et de jour en jour Dieu ne cesse de nous refaire, de nous parfaire. Le Saint ce n’est rien d’autre qu’un pécheur pardonné, qu’un humble pécheur qui se blottit souvent contre le sein du maître et qui fait de son mieux pour avancer. Le Seigneur ne nous demande pas d’être impeccable, mais d’être cohérent. Je suis pécheur, je suis petit, alors je reste blotti dans l’humilité contre le sein du maître.
En fait, cette cohérence de vie est à la fois une exigence terrible et une grâce pour nous. Exigence car facilement, même à la sortie de la messe, je peux proclamer par mes actes le contraire de ce que j’ai dit juste avant, par médisance ou manque de charité. Et chance, car notre incapacité à la vivre complètement cette cohérence de vie nous oblige à nous remettre à la miséricorde de Dieu. « Seigneur, je n’ai pas le cœur fier ni le regard ambitieux ».
Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus le disait à sa manière, elle qui désirait être une sainte mais qui sentait bien que par elle-même elle était incapable de le devenir : « je puis malgré ma petitesse aspirer à la sainteté… se contentant de mes efforts Dieu m’élèvera à lui il sera ma sainteté » et le Bx Marie Eugène de déclarer : « la sainteté c’est la force de Dieu dans la faiblesse de l’homme, la sainteté c’est d’être mu par l’Esprit Saint, car c’est Dieu seul qui fait les saints ».
En ce dimanche puissions-nous mendier l’amour de Dieu, humblement, reprendre conscience de notre position de créature et d’enfant pour recevoir du Maître divin toute force et tout amour et ainsi nous éloigner de toute tentation pharisienne.
Amen !