Le GPS céleste

​« Ego sum via, veritas, et vita » ; voilà une citation biblique que J. n’aurait eu aucun mal à traduire. Alors comme tout le monde n’est pas aussi cultivé que J. l’était, je me permets de vous traduire ces quelques mots : « je suis le Chemin, la Vérité et la vie ». 

Si nous sommes réunis dans cette église paroissiale, l’église de J. et de son épouse, c’est pour lui dire un dernier adieu ou plutôt pour orienter son chemin vers le ciel. J’ai bien compris que votre père, et grand-père, n’était pas aussi technophile que ses petits-enfants, et qu’il n’était certainement pas familier avec la technologie du GPS. Et pourtant, dans l’expérience douloureuse de la mort, il y a quelque chose du GPS. Lorsque l’on conduit sa voiture, guidé joyeusement par un tel appareil, celui-ci nous indique la direction et il nous suffit de lui faire confiance, de nous y fier, pour arriver à bon port. Le bon port que nous visons comme chrétiens, c’est le ciel, ainsi que nous le chantions au début de la messe : « Tu nous as fait pour toi, mon cœur est sans repos, tant qu’il ne demeure en Toi ». 

Ceux d’entre nous qui utilisent ce genre d’appareils que sont les GPS savent qu’ils doivent d’abord s’initialiser pour trouver la position de départ avant de commencer à guider sur le chemin. Dans la vie chrétienne, c’est la même chose. Il y a 98 ans, J. avait été baptisé dans la mort et la résurrection du Christ. Cet événement, extérieurement si anodin l’avait pourtant greffé sur la réalité du Christ ressuscité. 

Pendant toute sa vie, à sa manière, sans doute plus dans le secret de son intimité que dans l’expression publique, J. a vécu du Christ, il a été connecté à la source de la vie. Son exemple de vie nous invite à une chose : rester fidèle. Avec 65 ans de mariage, 98 ans de baptême, 60 ans de paternité à expliquer encore à ses grands-enfants qu’il faut éteindre la lumière en sortant : voilà un bel exemple de fidélité. Or, c’est une si belle vertu à cultiver pour nous, qui sommes ici-bas encore en chemin vers le bon port. 

Comme le GPS reste connecté à ses satellites, apprenons de J. à rester connecté à ce qui nourrit notre vie en profondeur et qui nous guide vers le ciel : la foi au Christ ressuscité. « Si nous avons été unis à lui par une mort qui ressemble à la sienne, nous le serons aussi par une résurrection qui ressemblera à la sienne. »

Qui dit GPS, dit destination ? Quelle est donc cette destination à laquelle il se préparait dans son cœur, espérant partir le premier et en même temps appréhendant terriblement ce moment ?

Pour répondre, je lui laisse la parole lorsqu’en 2002, il parlait aux funérailles de son frère : « nous avons l’espérance de la résurrection, nous croyons à la vie éternelle au bonheur que tu promets que Dieu est amour et d’une miséricorde infinie » .

Voilà le terme. Voilà le but du chemin : la joie que rien, pas même la mort, ne pourra nous ravir. Imaginez le meilleur moment de votre vie, le moment le plus intense, le plus exceptionnel …

Et bien, ce n’est encore rien à côté de ce bonheur éternel auquel nous sommes appelés. 

En ce jour, nous sommes affligés et nous avons des raisons de pleurer, nous avons des raisons d’être éprouvés, car J. était un être auquel nous tenions particulièrement. Et en même temps, par la grâce de la foi, nous avons une espérance plus grande encore : que J. vit désormais dans une joie plus grande, plus large et plus profonde. Que son petit sourire malicieux, par la grâce de la vie éternelle, va devenir un franc sourire divin ! 

La connaissance ultime

Certains chrétiens ne veulent pas apercevoir la vie éternelle, car ils se disent qu’ils vont s’ennuyer. J. était un homme cultivé, un homme de lettre et d’esprit. Les livres étaient ses compagnons de route et assis dans son fauteuil, il aimait à les lire et les relire. Et l’on pourrait se demander si J. est équipé d’une bibliothèque digne de ce nom dans la vie éternelle. J’ai une bonne nouvelle pour chacun d’entre nous mais surtout pour lui : il va Le connaître enfin parfaitement. Il va connaître Dieu avec toute la puissance de son intelligence, comme le dit Saint Paul aux corinthiens : 

« Actuellement, ma connaissance est partielle. Ce jour-là, je connaîtrai parfaitement, comme j’ai été connu » Il ne se contentera plus de faire des débats philosophiques ou théologiques de haute volée, mais il verra Dieu face à face. Chers amis, avons-nous, nous-aussi cette soif de connaissance ? Avons-nous ce désir de connaître Dieu comme Dieu nous connaît ? Le désir de comprendre et de connaître pour J., et cette promesse d’une connaissance intime de Dieu dans la vie éternelle peut nous inviter aussi, qui que nous soyons, à faire le point sur notre connaissance chrétienne. 

Je ne meurs pas, j’entre dans la vie ! 

Enfin, il me semble important de relever une dernier point de la vie de J. qui doit nous inspirer pour notre vie à nous. C’est son attachement à Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus. L’enfance normande de J. n’y est sans doute pas pour rien, et sa famille avait un lien avec la famille de Thérèse. Sainte Thérèse, qui n’a pas attendu de vieillir bien longtemps avant de s’envoler vers le ciel, nous livre cette phrase magnifique et pleine de foi à propos de la mort : « je ne meurs pas, j’entre dans la vie » . Sa confiance et son abandon tout particulier peut être pour nous un chemin de sainteté formidable. Dans ses écrits, elle nous livre une petite phrase pour nous rappeler la joie du ciel, la vie qui se déploie en Dieu, elle écrit :  « Je sais que la terre est le lieu de notre exil, nous sommes des voyageuses, qui cheminons vers notre patrie, qu’importe si la route que nous suivons n’est pas la même puisque le terme unique sera le Ciel, c’est là que nous serons réunies pour ne plus nous quitter, c’est là que nous goûterons éternellement les joies de la famille. ».

En ce matin de juillet, nous accompagnons J. sur les rivages lointains. Désormais, nous voilà impuissants matériellement. Mais dans la foi, nous avons une force réelle : Dieu est présent. Depuis qu’il est mort et ressuscité, le Seigneur n’est pas étranger à nos souffrances. Il n’est pas étranger à nos pourquoi, à nos blessures. Oui, en ce matin de juillet, Dieu est présent et le sera plus encore, dans un instant, sur cet autel. C’est à lui que nous confions maintenant votre père et votre grand père. Nous passons le relais.

J., j’aimerais m’adresser à vous, en cette messe avec vos propres mots. « Maintenant vous avez trouvé la paix dans la lumière et la plénitude de la Vie Éternelle et nous espérons vous rejoindre un jour ».