Le Maître et la vulnérabilité
Ceux qui connaissent le monde du plus célèbre des sorciers modernes, j’ai nommé Harry Potter, se souviennent sans doute de cette scène du premier opus de la saga : Harry Potter à l’école des sorciers. Dans un ultime affrontement entre Harry et le professeur Quirrell qui se révèle être le double de l’affreux Voldemort, Harry découvre qu’en touchant son adversaire il lui inflige des blessures atroces, au point de parvenir à s’en débarrasser simplement en lui touchant le visage. L’auteur nous explique alors que la pureté du sacrifice de la maman d’Harry a protégé celui-ci du mal absolu qu’est Voldemort.
Mon fils se laisse toucher
Dans l’Évangile, c’est tout le contraire qui se produit. Nous voici donc en présence d’un lépreux. La lèpre, c’est une maladie atroce et contagieuse qui détruit petit à petit les chairs, vous laissant mourir défigurés et mutilés à petit feu. La contagion est telle que dès le début, la Bible parle d’éloigner les lépreux de la vie sociale et religieuse. Jésus, lui, bien loin de mettre un masque FFP2, ou d’enfiler une combinaison nucléaire et bactériologique, va se laisser toucher par le lépreux. Voilà l’inouï de l’œuvre de Dieu. Le plus pur, le plus parfait, le Verbe fait chair, se laisse toucher par ce qui paraît être le plus immonde et le plus exclu. Plus encore, il choisit de le toucher.
Il choisit d’être vulnérable au mal que porte cette homme pour le guérir. Imaginez, il aurait pu attraper la lèpre et compromettre sa mission de prédicateur de l’Évangile.
Pourtant, c’est une caractéristique essentielle du Christ : se laisser toucher. Saint Marc nous dit qu’il est « saisi de compassion ». Littéralement, qu’il est saisi aux entrailles. Pris aux tripes. Il se laisse transformer par la vue et la détresse de l’autre. Oui, frères et sœurs, le Christ se laisse toucher par nos histoires blessées et cabossées. Le Christ se laisse toucher par nos maladies et nos péchés.
C’est le message essentiel d’une apparition de la Vierge Marie en France, qui mérite d’être davantage connu. En janvier 1871, dans un petit village Mayenne, alors que la guerre fait rage en France et que la Prusse est en train de gagner, la Vierge Marie apparaît à un groupe d’enfants au-dessus d’une grange. Un message se dessine dans le ciel. « Mais priez mes enfants, Dieu vous exaucera en peu de temps, Mon Fils se laisse… » Là le prêtre et les adultes se disent que les enfants doivent se tromper, que c’est mon fils se lasse, se lasse du péché… mais non, les enfants persistent et l’apparition se poursuit : « Mais priez mes enfants, Dieu vous exaucera en peu de temps, Mon Fils se laisse toucher. »
Frères et sœurs, croyons-nous vraiment que le Christ se laisse toucher par nos vies, nos histoires, nos blessures ?
Accepter d’être vulnérable
En fait, au fil de l’Évangile, le Christ se dévoile dans la vulnérabilité et nous dévoile notre propre vulnérabilité. Être vulnérable, pour Jésus, c’est se laisser toucher par la foule. N’être jamais tranquille. En fait, Jésus choisit d’être tout à tous. Sans doute qu’il aurait préféré être « pépère dans son coin ». Mais il choisit d’être à la portée des hommes, même à leur merci. Je crois profondément que cette vulnérabilité est le chemin de l’amour. Nous ne pouvons aimer vraiment que si nous apprenons à nous laisser aimer dans notre vulnérabilité.
La vulnérabilité signifie en effet, étymologiquement, l’exposition à la blessure. Le soldat vulnérable est le soldat sans bouclier, susceptible plus qu’un autre d’être atteint. Le registre du combat n’est sans doute pas anodin pour déployer la signification de la vulnérabilité : constater ma vulnérabilité me met en combat, car je préférerais manifester mon pouvoir ou ma liberté plutôt que mes limites. Être vulnérable, c’est fondamentalement être exposé. Mais à quoi ? Nous sommes bien sûr exposés aux accidents de la vie, à ce qui peut nous atteindre selon les circonstances, et plus encore à l’imprévisible.
En ce jour de Saint Valentin, il faut nous rappeler que tomber amoureux c’est être vulnérable. Car dès lors que je tombe amoureux, je ne maîtrise pas ma vie. Comme accueillir la mort d’un proche ou vivre l’amitié véritable qui sont autant de vulnérabilités essentielles à la vie chrétienne. Ces blessures dans notre blindage personnel, dans notre « être parfait », sont en réalité autant de lieux par lesquels Jésus peut passer. Quand tout est parfait et lisse dans ma vie, je ne me laisse pas toucher par le maître. Quand je constate ma lèpre, quand je suis blessé, pauvre et que je laisse Jésus me toucher, il peut me guérir. Plus encore, en contemplant Jésus qui se laisse toucher par nos blessures, par mes blessures je découvre que cette reconnaissance de ma vulnérabilité – comme capacité à être affecté par l’existence de l’autre – peut être une vertu relationnelle, un art de la rencontre avec Dieu.
Pour reprendre Harry qui nous avions laissé avec le professeur Quirrell… comment gagne-t-il le combat ultime six opus plus loin ? En avançant vulnérable et désarmé devant l’ennemi. Comment Jésus gagne-t-il la victoire de notre salut ? En avançant à demi nu sur la croix pour offrir sa vie.
Présenter à Dieu ses vulnérabilités
Frères et sœurs bien aimés, l’Évangile d’aujourd’hui nous invite à présenter nos lèpres au Seigneur. De nos jours elles sont bien peu physiques mais certainement intérieures. Combien de fois par jour nous autres prêtres entendons-nous au confessionnal des personnes confesser leur consommation de pornographie plus ou moins régulière. Combien de fois rencontrons-nous des personnes usées d’avoir mal aimé. Combien de fois, dans notre vie, sommes-nous dévorés par le remords, l’orgueil, l’ambition… Tout cela ce sont nos lèpres, nos vulnérabilités. Ce sont celles-ci qui nous permettent d’arriver devant Jésus et de lui crier : « Si tu le veux, tu peux me purifier. » Jésus est véritablement le médecin de nos âmes. Mais le croyons-nous vraiment ? Pensons-nous vraiment comme ce lépreux que Jésus peut nous guérir ? Pour cela, il faut présenter souvent, avec humilité, nos vulnérabilités. Les dire à Jésus. Lui en parler dans la prière, régulièrement et simplement. « Jésus tu sais tout, tu sais combien je suis faible sur telle chose, viens me guérir ou au moins, profite de ma blessure pour t’introduire dans mon âme, pour faire un trou dans ce blindage qui m’empêche de t’aimer. »
Exposer avec confiance ses blessures intérieures au soleil de l’amour de Dieu, c’est prendre le risque que Dieu vienne les guérir maintenant… ou nous laisse les porter un peu plus. Parfois il permet cela pour que nous puissions demeurer le cœur ouvert à son amour. Comme en tension vers son amour.
Frères et sœurs bien aimés, suivons l’exemple du Christ et celui d’Harry. N’oublions pas que Jésus est ce fils qui se laisse toucher par nos douleurs. Acceptons nos vulnérabilités car elles sont la condition de notre humanité véritable mais ne nous lamentons pas dessus : confions-les à Dieu. Il est notre Sauveur : faisons-lui confiance. Il est le Médecin véritable. Il est le plus vulnérable qui est devenu notre Maître. Celui qui fait toute chose nouvelle. Amen.