La vie en rose
C’est la question que tout le monde se pose, que peut faire un prêtre avec un accoutrement. Chacun y va de sa petite hypothèse : « moi je pense qu’il a un problème de machine à laver… que voulez-vous il a mis sa chasuble et elle a déteint… la voilà rose… on pourrait se cotiser pour lui en racheter une. » « non mais vous comprenez, le père depuis la mort de Johnny il se repasse le répertoire Français en boucle et ce WE il écoute Edith Piaf « je vois la vie en rose… ». « moi je crois plutôt que sa sœur s’était faite une robe rose et qu’il restait du tissu… ».
Et bien je vous rassure aucune des trois hypothèses ne correspond à la réalité. Si je porte aujourd’hui un ornement rose, c’est que nous sommes dans le dimanche de « Gaudete » ce terme latin barbare désigne en fait le début de l’antienne d’ouverture que le prêtre peut lire « Gaudete in Domino semper »… « réjouissez-vous toujours dans le Seigneur ». A quelques encablures de Noël, la grâce de la fête nous illumine déjà. Le blanc qui est la couleur liturgique de Noël vient mettre un peu de gaieté dans le violet du temps de l’Avent… et nous offre ainsi le rose de ce dimanche. Comme lorsque l’on se prépare à vivre un bel événement familial, on se met déjà dans l’ambiance avant et l’on goûte d’une certaine manière par anticipation la joie de la fête. L’Eglise en ce dimanche nous offre donc de nous réjouir ! « Soyez dans la joie du Seigneur, soyez toujours dans la joie » « Dirige notre joie vers la joie d’un si grand mystère » « je tressaille de joie dans le Seigneur »…
La joie véritable
Mais qu’est-ce que cela veut dire être dans la joie ? Il y a l’option clown, celui de l’assemblée qui fait toujours rire les autres. Celui qui a fait « l’école du Rire », le spécialiste des plaisanteries. Il y a la joie des jeunes amoureux qui se retrouvent après une longue absence et l’on voit se dessiner sur leurs visages des traits radieux. Pour ma part, j’ai un souvenir de joie profonde que j’aimerai vous partager. Dans la paroisse où je servais la messe plus jeune, j’ai souvenir d’avoir expérimenté quelque chose de la joie de la liturgie dans la nuit de Pâques. Ce n’était pas par l’hilarité des chants mais par la profondeur du mystère que l’on célébrait. De sentir que, se jouait là quelque chose d’essentiel lorsque retentissait dans l’église vide la nuit de Pâques le chant de l’Exultet : « Exulte de joie dans le ciel la multitude des anges ». Le Pape François aime à le dire : « La carte d’identité du chrétien est la joie, la joie de l’Évangile, la joie d’avoir été choisi par Jésus, regénéré par Jésus, la joie de cette espérance que Jésus nous attend, la joie qui – aussi dans les croix et les souffrances de cette vie – s’exprime d’une autre façon, qui est la paix dans la sécurité que Jésus nous accompagne, est avec nous ». La joie chrétienne ne requièrt donc pas d’abord d’être donné par la providence d’un humour ravageur mais plutôt d’avoir pris conscience de la merveille de l’Incarnation du Christ. En ce dimanche la liturgie nous offre donc la cause véritable de notre joie chrétienne : non pas les retrouvailles familiales à venir, non plus l’achat frénétique des cadeaux de Noël dans des centres commerciaux bondés mais bien l’annonce d’une bonne nouvelle « qui sera une joie pour tout le peuple ». Et cette bonne nouvelle « c’est de fêter notre salut avec un cœur vraiment nouveau ». Oui frères et sœurs quelles que soient les souffrances de la vie d’ici bas, nous sommes appelés à une joie sans fin, une joie sans limite, une joie profonde, une joie que rien ne peut nous ravir.
Goûter à la joie de la vie !
Alors comment goûter dès maintenant à cette joie ? Les anciens, et parmi eux ceux qui ont eu la délicate attention de bâtir cette chapelle, connaissent peut être le film « la vie est belle ». Non pas celui de Roberto Benini mais celui de Franck Kapra sorti en 1946. C’est un magnifique antidote contre la morosité. Il met un scène un ange appelé au secours d’un honnête homme, proche des pauvres dont il est l’agent immobilier mais en proie à des difficultés économiques et qui vient de se disputer violemment avec sa femme. L’ange est un peu idiot semble-t-il qu’il n’a même pas d’ailes : s’il sauve cet honnête homme, Dieu les lui a promises. Pour convaincre notre héros que sa vie n’est pas inutile, l’ange a soudain une idée : il lui fait visiter la ville où il a vécu telle qu’elle serait s’il n’avait jamais vu le jour. Il découvre alors sa femme vieille fille, des pauvres sans logement… L’ange ramène notre homme ébahi et terrifié à la fois sur le pont qui devait être celui de son suicide. L’homme désormais convaincu qu’il devait vivre, car « la vie est belle », revient dans sa famille en ce soir de Noël fou de joie car il a pris conscience qu’au delà de toute difficulté : il vit et que la vie est belle.
Nous pourrions passer des heures de notre vie à raler ou à nous attrister. Allumer la TV autour de 20 h et vous verrez que quasi automatiquement vous serez pris de tristesse : accident de car par-ci, attentat, terrorisme et autres malversations ou malveillance polluent notre quotidien. Notre vie personnelle est sans doute truffée de moments difficiles. Jean-Baptiste lui-même aurait pu s’attrister, après tout, il n’est ni le Christ, ni Elie… à quoi sert-il dans l’affaire ?
Alors je crois que le rose de cette chasuble nous invite en ce dimanche à voir la vie en rose. La vie en rose ça veut dire être capable de s’émerveiller en restant à notre place. Comme Jean : il ne cherche pas à être qui il n’est pas. Autrement dit, il ne passe pas sa journée à se dire que le pré du voisin est plus beau que le sien.
En ce dimanche de Gaudete, le rose doit nous rappeler à ce qui fait le propre du Chrétien : s’émerveiller. Je peux m’émerveiller d’un paysage, d’une lumière, d’une œuvre d’art… mais aussi d’une qualité de mon voisin à la messe, de mon petit frère ou même de mon curé. Pour quelle qualité d’un autre aimeriez-vous rendre grâce aujourd’hui ? Pour quelle merveille de votre vie ? Ou si je le dis autrement qu’est-ce qui fait la joie de Dieu dans votre vie aujourd’hui ?
Car oui, j’en suis convaincu ; Oui la vie est belle car elle est reçue de Dieu. Oui la vie est belle car ma joie c’est de me savoir sauvé par le Christ. Oui la vie est belle car je peux donner ma vie par amour. Oui la vie est belle car en Jésus il est Dieu qui se fait homme pour que je puisse être pardonné. Oui la vie est belle car la liturgie dirige déjà notre regard vers le ciel comme je le chanterai dans la préface tout à l’heure : « c’est lui qui nous donne la joie d’entrer déjà dans le mystère de Noël pour qu’il nous trouve quand il viendra vigilants dans la prière et remplis d’allégresse ».
Tu le vois Seigneur, ton peuple se prépare à célébrer la naissance de ton Fils. Dirige notre joie vers la joie d’un si grand mystère : pour que nous fêtions notre salut avec un cœur vraiment nouveau.