Je t’aime !

L’autre jour, je suis tombé sur une chanson de Lara Fabian (désolé pour les plus jeunes) dans laquelle elle chante, enfin avec une voix très très aiguë que je n’oserais pas prendre ici devant vous : « Je t’aime, comme un fou, comme un soldat, comme un star de cinéma… Je t’aime… ». Cette chanson m’a fait penser à l’Évangile d’aujourd’hui où Jésus interroge Pierre non pas sur ses qualités, non pas sur ses performances, mais d’abord sur l’amour qu’il a pour lui. 

Pierre, rappelons-nous, c’est le premier de la classe. Pierre, c’est le héros, celui qui a toujours la bonne réponse : « À qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle ! ». Pierre, c’est celui qui a été appelé en premier. Pierre c’est le chef des Apôtres qui a entendu « Sur toi je bâtirai mon Église ». Vous voyez, saint Pierre c’est un un peu comme le super jeune de la paroisse Saint-Sulpice, qui a été scout et servant de messe, qui est présent à tous les apéros de la messe du dimanche soir, qui vient dès qu’on lui propose quelque chose, qui a un Père spi, qui prie… Bref les filles dirait que c’est un bon parti : l’homme idéal. Et pourtant, l’amour de Pierre pour Jésus va passer par plusieurs étapes qu’il nous faut comprendre pour comprendre l’Évangile d’aujourd’hui. C’est un amour blessé, un amour relevé, et un amour transfiguré.

Un amour blessé

D’abord, la vie de Pierre est l’histoire d’un amour blessé. Le passage que nous avons entendu dans l’Évangile avec sa triple confession de l’amour est précédé d’un autre épisode. Moins glorieux. Pierre, à l’aube de la croix, alors que ça sent un peu le roussi, s’est enfui. Pierre a trahi. Non pas une seule fois, mais trois fois. À trois reprises il a nié, par trois fois il a blessé son maître. C’est une affreuse trahison. Une infidélité terrible. Un peu comme si votre fiancé, mesdemoiselles, allait convoler avec la voisine du dessus deux mois avant votre mariage avec lui… Une chute douloureuse. Et pourtant, alors que résonne dans Jérusalem le chant du coq, voilà que Pierre va croiser un regard. Pierre va croiser le regard de l’ami. Le regard du Christ. « Le Seigneur se retournant, posa son regard sur Pierre […] il sortit et dehors, pleura amèrement ». Nous pourrions méditer des heures sur ce regard entre Jésus et Pierre. Pierre se laisse regarder par Jésus. Pierre, déjà à ce moment-là, se laisse aimer par Jésus. Ce n’était pourtant pas évident. Quand nous nous dégoûtons nous-mêmes, quand nous avons honte de notre péché, il n’est pas facile de s’exposer, même au regard de Dieu, dans notre vulnérabilité. C’était le réflexe d’Adam qui s’était caché derrière le buisson après sa chute, par peur de Dieu. Pierre, lui, s’est laissé regarder. Il a pu voir tout ce que portait ce regard de Jésus : une immense tristesse et une immense tendresse. Le Seigneur souffre de nous voir abîmés, blessés, salis par le péché. Mais il souffre de nous voir éprouvés par le remords, la honte et le regret amer. Il connait nos grands désirs. Comme un ami, il souffre avec nous de nous de voir parfois si loin de ce bonheur qu’il voulait pour nous. Jésus pose sur nous d’abord un regard de tendresse. Oubliant sa souffrance, ses blessures, il souffre avec nous de la souffrance de notre cœur : voilà l’amitié véritable. Voilà la Miséricorde de notre sauveur !

Un amour relevé 

Ensuite, un amour relevé. Car l’histoire ne s’arrête pas là, puisque la miséricorde de Dieu ne s’arrête pas là. C’est saint Jean qui nous raconte aujourd’hui cette scène étonnante. On imagine que saint Pierre ne doit pas être au top. Même s’il a perçu le regard de Jésus qui pardonne, lui, le chef a trahi le Seigneur aux yeux de tous. Est-il encore crédible ? Est-il encore digne de quelque chose ? Et Jésus lui a pardonné… mais après ? Pierre a encore un peu peur au fond de lui. C’est alors qu’à la fin du repas, Jésus le prend à part. Les autres peuvent s’interroger. Que va-t-il advenir ? Sera-t-il rétrogradé ? Comme dans toute bonne entreprise ? Congédié ? Mis à pied ? En tout cas le voilà convoqué.

Jésus est maintenant dans un face à face avec Pierre. Un cœur à cœur. Il ne revient en rien sur ce qui s’est passé. Tout a été dit. Les larmes ont coulé. Le pardon est accordé. La seule question qui vaille désormais, la seule question que Jésus pose à chaque pécheur qui regrette son péché, c’est celle-ci : « Pierre, m’aimes-tu vraiment ? ». Trois fois la même question. Il ne lui demande pas de promettre que jamais plus il ne tombera. Il ne lui demande pas de s’humilier encore un peu plus. Il ne lui demande pas d’être exemplaire en tout. Non, la seule question qui reste : « M’aimes-tu vraiment ? ». Au fond c’est la seule chose que le Seigneur ne puisse pas faire à notre place. Il peut nous relever de toutes nos chutes. Il peut nous rendre capables de tout ce qui nous semble humainement difficile. Mais il ne peut pas choisir d’aimer à notre place. L’amour véritable laisse libre. Ceux qui connaissent Bruce tout puissant le savent bien… Et l’amour seul permet tous les miracles. Si Pierre aime vraiment Jésus, alors tout devient possible. Par ce oui, Pierre permet à Jésus de réaliser son œuvre en lui. 

Ce qui me touche profondément, c’est que Jésus ne se laisse pas arrêter par la faute de Pierre. Il ne le réduit pas à cette chute, et persiste à aller chercher ce qui reste de grand et de beau en Pierre : sa générosité. En quelque sorte, Jésus ranime le cœur généreux de Pierre et lui offre l’occasion de se remettre en route. On répare le mal par le bien.

Un amour transfiguré

Enfin, l’amour transfiguré. La réponse de Pierre est magnifique. Elle peut être notre prière à chacun : « Seigneur, tu sais tout, tu sais bien que je t’aime ». Pierre a un cœur vrai. Transparent dans sa force comme dans sa faiblesse avec le Seigneur. Il ne cache rien à Jésus son ami : « Tu sais tout ». Seigneur, tu connais mes talents et mes fragilités, mes combats, mes victoires et mes défaites. Tu connais mes failles et mes blessures et ma volonté de bien faire, de servir et d’aimer. Tu connais mes grands désirs et mes projets mais aussi mes doutes, mes peurs et mes lâchetés. Tu sais tout cela, Seigneur. Et au cœur de tout cela tu sais que je t’aime. C’est la réponse la plus belle. La réponse d’un ami à un ami. 

C’est la seule question qui compte vraiment dans la vie chrétienne. Celle de notre amour pour Dieu. Elle comporte deux faces indissociables. D’abord c’est se laisser aimer par Dieu. Se laisser aimer dans sa force et dans sa faiblesse. Avez-vous déjà fait l’expérience spirituelle de vous laisser aimer par Dieu ? Je rencontre trop souvent, au confessionnal ou ailleurs, des hommes et des femmes qui ne se croient plus aimables. C’est un piège du démon si fréquent que de nous faire croire que tout est foutu. De nous faire croire que nous ne valons plus rien. L’exemple de Pierre nous prouve le contraire et devrait nous inviter à faire bien souvent l’exercice suivant : mettez-vous à la place de Pierre. Laissez-vous regarder et aimer par Jésus. Qu’est-ce que Jésus contemple en vous ? Qu’est-ce qu’il admire ? 

Ensuite, c’est choisir d’aimer Dieu. Oh mais attention, non pas aimer à grands coups de « Que je t’aime, que je t’aime » ou de « aimer c’est ce qu’il y a plus beau » ; aimer par des actes et en vérité. Notre amour pour Dieu ce n’est pas d’abord quelque chose qui déborde de gélatine et de gros bisous. Aimer le Christ, aimer Dieu, de tout son cœur, de toute son âme et de tout son esprit, c’est écouter sa parole, suivre ses enseignements, et essayer de le suivre au quotidien. Il faut aimer le Christ comme l’époux aime son épouse : par des actes et en vérité. Car le « tu sais tout, tu sais bien que je t’aime » de saint Pierre s’incarnera concrètement dans le Cirque de Néron à Rome où Pierre donnera sa vie pour le Christ, crucifié, la tête en bas. Saint Pierre a aimé Jésus jusqu’à la mort comme Jésus a aimé saint Pierre jusqu’à la mort.

Alors, en ce dimanche ce n’est pas à Lara Fabian que Jésus répond mais bien à l’angoisse de Céline Dion quand elle chante « S’il suffisait qu’on s’aime, s’il suffisait d’aimer… ». Jésus face à Pierre nous redit cette vérité essentielle du christianisme : « il suffit d’aimer ». Ce n’est pas en vertu de nos qualités, de nos réussites que nous serons jugés au ciel, mais sur notre amour. Alors, dans cette messe et pendant toute cette semaine, avec saint Ignace et saint Pierre nous pouvons adresser notre prière au Seigneur en disant : « Donne moi seulement de t’aimer ».