La bonté du Père !
Imaginez un instant la situation suivante. Jean-Pierre, riche propriétaire du 6ème arrondissement qui a fait fortune dans la finance, a deux fils. Le fils aîné, 18 ans tout juste, vient le voir en disant : « Bon, écoute papa, tu es sympa, mais tu vois j’aimerais bien toucher l’héritage parce que la vie avec toi ça va deux minutes. Donne-moi donc la part d’héritage qui me revient ».
Dans vos familles, je ne sais pas quel pourrait être la réaction du paternel ? Chez certains, certainement une bonne paire de claques, chez d’autres une certaine consternation ! Mais sans doute pas une phrase du genre : « Bah écoute mon chéri, justement j’y pensais, je vais vendre l’appartement et le château, je vais habiter dans un studio en location à Bagnolet et je vais te donner ta part d’héritage. Tu comprends, à 18 ans, tu l’as bien mérité »…
C’est un peu la situation décrite par l’Évangile. J’aimerais, avec vous, relever 3 attitudes du père de la parabole, et finalement de Dieu : le don, l’abandon et le pardon !
Le père donne tout, par amour : le don !
Cette petite actualisation de la parabole que nous venons d’entendre doit nous permettre de prendre conscience de quelque chose d’inouï : le père donne et il donne avec joie ! À l’enfant qui réclame son héritage, le père donne. Plus précisément à l’enfant qui réclame le partage des biens (aï ousiaï en grec), le père donne plus encore, il donne… sa vie (bios en grec). Comme pour nous faire comprendre que le plus important ce n’est pas ce que le père possède mais ce qu’il donne. Et plus encore qu’il donne sa paternité. Qu’il donne un lien d’amour véritable. Comme on peut le lire en saint Jean : « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son fils unique ». Cette logique de don n’est pas vraiment celle du monde. Notre attitude dans le monde ressemble plus souvent à celle de Don Salluste dans la scène d’ouverture du film, La folie des grandeurs. Le ministre des finances du roi d’Espagne contemple le fruit des impôts prélevés sur les pauvres paysans. « Tout cela c’est pour le roi »… enfin, « ça c’est pour moi », « ça c’est pour moi… ». Nous cherchons souvent à prendre pour nous. En contemplant cet Évangile pendant le temps du carême, nous pouvons nous demander si, comme ce père généreux, nous savons donner. Donner de notre temps, donner de notre argent, donner de notre considération. Donner pour la paroisse, donner pour nos collègues, donner en famille. La joie du Père de l’Évangile c’est de donner. « Il y a plus de joie à donner qu’à recevoir », lit-on bien dans les Actes des Apôtres : le croyons-nous vraiment ? Comment pouvons-nous le mettre en pratique au quotidien pour ne pas être un Don Salluste des temps modernes. Pourquoi le faire ? Parce que Dieu le fait pour nous chaque jour. Dieu t’a donné la vie. Il t’a donné la croissance. Il te donne de te maintenir en vie. Dieu te donne d’aimer. Dieu te donne son fils. Dieu te donne sa grâce pour que tu puisses vivre d’amour.
Le père espère… l’abandon
La deuxième attitude du père de l’Évangile, c’est l’abandon. Non pas l’abandon lâche, au sens de laisser tomber. Mais l’abandon au sens du détachement. Tandis que le fils de l’Évangile s’en va au loin pour jouir des plaisirs de la vie, pour dépenser sans compter son argent dans un paradis fiscal ou au soleil, lui le Père patiente, espère, attend. Il ne cherche pas à tout maîtriser, ce père-là. Parfois, dans notre vie nous voudrions tout maîtriser, nous semblons incapables de lâcher. Un peu comme Don Salluste qui s’écrie au réveil : « Il en manque une ! » Là, le père de la parabole laisse son fils aller. C’est peut-être ce qu’il y a d’inouï dans la vie chrétienne : Dieu nous laisse faire. Il ne cherche pas à régenter ou à contrôler toute notre vie.
Cela veut dire que le Père fait confiance. C’est une belle attitude spirituelle que de faire confiance et d’espérer. Cela veut dire que je crois suffisamment dans l’autre personne pour la laisser à son propre conseil. Dieu nous fait confiance. Finalement il vit un amour véritable avec nous, amour que saint Paul décrit en ces termes que nous connaissons bien (c’est le tube des mariages) : « L’amour prend patience ; l’amour rend service ; l’amour ne jalouse pas ; il ne se vante pas, ne se gonfle pas d’orgueil » et plus loin « l’amour supporte tout, il fait confiance en tout, il espère tout, il endure tout. ». C’est ce que vit le père de la parabole. Il sait très bien que son fils est parti loin. Nul doute qu’il en souffre intérieurement. De la même manière, Dieu sait très bien quand nous nous égarons. Mais il espère et il fait confiance. Il attend avec patience notre retour. Quelle leçon pour nous ! Si Dieu s’abandonne ainsi à notre liberté, ne devrait-on pas apprendre un peu à en faire de même ? À faire confiance et à lâcher prise ?
Le père redonne : le pardon
Le père donne, le père espère… et enfin le père pardonne.
« Comme il était encore loin, son père l’aperçut et fut pris de pitié. » C’est là que réside l’inouï de la parabole. Telle Anna, femme de Tobit, scrutant la route dans l’espérance du retour de leur fils Tobie, de même le père de l’Évangile était en fait dans l’attente continuelle de son fils. Quel amour et quelle persévérance ! L’accumulation des verbes (aperçut, fut pris de pitié, courut, couvrit de baiser) traduit son émotion et sa joie impatiente. Il voit de loin son fils qui revient vers lui, et tout le chemin qu’il lui reste encore à parcourir. Alors il le parcourt pour lui, pour hâter les retrouvailles et le serrer contre lui. Cette hâte pour un oriental est exceptionnelle, surtout pour un patriarche du 1er siècle… Littéralement, en fait, le père est pris aux entrailles. Il est comme retourné par le retour de son fils. Un peu comme quand on est saisi par la joie en tombant amoureux ou par l’angoisse dans de grandes peurs. Le pardon que le fils va recevoir dans une étreinte d’amour est presque démesuré. Quel père de la terre, alors que son fils vient de dilapider sa fortune et sa dignité, va l’accueillir en lui ouvrant les bras et en lui redonnant plus qu’il n’avait avant ? Tout est donné en excès : « le plus beau vêtement », « le veau gras », la fête exceptionnelle. Le pardon dont il est question ici est en fait un don « par-dessus ». N’allez pas croire que ce père, de même que Dieu, ignore ce que nous faisons, ou fait semblant comme les parents d’ignorer les bêtises ou les péchés. Non, il les connaît, mais il choisit d’aimer par-dessus. J’aimerais que vous puissiez retenir cela : pardonner, c’est donner par-dessus. C’est poser un pont sur les offenses en considérant d’abord le cœur de l’autre. Pardonner pour le père, ce n’est pas oublier. Si par mégarde vous casser le bras de votre ami en jouant au foot, il peut vous pardonner… Mais n’oubliera sans doute pas qu’il a le bras cassé. Il peut néanmoins avoir choisi de considérer que votre relation est plus importante que cette offense.
Le père de la parabole, et finalement le Père des cieux, nous dit cela à travers l’Évangile d’aujourd’hui : ta dignité de fils est plus précieuse que tout. Dit autrement, le plus essentiel dans notre vie, c’est notre lien au créateur. Nous pourrions être riches, nous pourrions être puissants, nous pourrions être amoureux, le lien fondamental c’est le lien au père des cieux. Dieu fait tout pour le maintenir. Dieu est celui qui comme le père de la parabole guette sans se lasser notre retour et nous presse dans ses bras dès que nous revenons.
Le pardon que Dieu nous donne est un don par-dessus. Chaque confession est un renouvellement de la fête de l’enfant prodigue. Non seulement nous sommes pardonnés, mais nous sommes recréés dans l’amour de Dieu. Oh, Dieu n’ignore pas nos fracas et nos mépris, mais il choisit que notre dignité de fils soit plus importante que tout. Frères et sœurs, chers amis, aimez-vous la confession ? Comment résister aux torrents de l’amour de Dieu ? À chaque confession, ce sont les écluses du ciel qui se déversent.
Mais n’oublions pas d’écouter la seconde lecture d’aujourd’hui : le seigneur invite à être « ambassadeurs du Christ », lequel a déposé en nos cœurs « la parole de la réconciliation ». Ce que le second fils de la parabole ne parvient pas à faire. Le Seigneur nous demande donc de nous réjouir du salut offert à nos frères : nous laissons-nous émerveiller par la grâce de la miséricorde ? Savons-nous en témoigner ?
Frères et sœurs, en ce dimanche de Lætare, notre joie est de contempler la figure d’un Dieu qui nous aime et qui nous invite à l’imiter. Joyeux de contempler le Père qui donne… n’ayons pas peur de donner ! Heureux de contempler le Père qui s’abandonne… n’ayons pas peur de ne pas tout maîtriser ! Joyeux de contempler le Père qui pardonne et recrée dans l’amour… prenons le ferme chemin de la confession pour notre joie et celle de toute l’Église !