Les jaloux de la première heure
« Les derniers seront les premiers et les premiers seront les derniers ». Voilà bien une phrase que nous avons du mal à apprécier dans l’Évangile. Imaginez un peu celui d’entre nous qui a travaillé tout sa vie durement se retrouverait dans la panade ? Celui qui n’a rien fait se verrait attribuer le mérite et la gloire ? C’est l’expérience terrible de cet étudiant qui a bûché toute l’année et qui rate ses examens, tandis que celui qui n’a rien révisé réussit. C’est cette personne qui a œuvré toute sa vie et qui se retrouve ruinée là où son voisin je-m’en-foutiste a simplement gagné au loto…
Non vraiment, dites, est-ce bien chrétien tout cela ? Faudrait-il donc que les paroles de Jésus soient vraies ? Ou faut-il entendre autre chose dans cet Évangile ?
La justice de Dieu ou l’exemple du Christ
Quand il est question de dernier ou de premier, on regarde trop souvent notre nombril. Et on a l’impression que la vie chrétienne se joue un peu comme à l’école où il y avait un premier et un dernier de la classe. Pourtant, notre pratique de l’Évangile devrait nous mettre la puce à l’oreille. Jésus ne rencontre dans l’Évangile – on pourrait presque dire ne s’intéresse – qu’aux derniers, qu’aux petits, qu’aux pécheurs. Je pense à la samaritaine, cette femme de petite vertu à la vie dissolue, je pense à Zachée le publicain, je pense à tous ces malades et ces pécheurs avec qui Jésus est heureux de passer tant de temps. Mais le Christ va plus loin. Il se fait le dernier. Il se fait petit enfant, il entre dans une vie cachée pendant des années à Nazareth, dans une famille relativement modeste. Et, humilité des humilités, il se laisse crucifier. Ainsi donc la justice de Dieu n’est pas d’abord dans l’ordre de celle des hommes. Dieu offre la justice du cœur avant d’offrir la justice comptable.
La manière de penser de Dieu est si différente de la nôtre. Et sa première caractéristique est de donner, et de donner en abondance.
Le drame de la jalousie
Et c’est précisement ce que nos ouvriers de la première heure ont du mal à comprendre. En fait, ils tombent dans un péché qui nous concerne tous. Dans un péché assez perfide car il se cache et s’autojustifie : la jalousie. C’est un péché finalement assez honteux dont on parle peu et beaucoup parmi nous voudront croire qu’ils ne sont pas jaloux et pourtant.
En réalité la jalousie se détecte quand on ressent une certaine tristesse intérieure. Une tristesse vis-à-vis de ce que possède l’autre (ici la pièce pour ceux qui ont travaillé une heure) mais ce pourrait être le dernier iPhone 11, un travail, un conjoint, une responsabilité.
Que se passe-t-il donc dans le cœur du jaloux ? Qu’il soit de l’Évangile ou dans notre vie contemporaine. En fait la racine de la jalousie se situe dans le manque d’amour de soi-même. Pour cela, j’aimerais vous raconter une petite histoire. Imaginez un instant qu’un couple reçoive pour un dîner chez eux. Ils ont invité quelques amis. Et un couple arrive en retard. Avec une femme très bien habillée. Magnifique. Resplendissante. Immédiatement le regard des hommes se tourne vers cette femme. Et les épouses mettent un petit coup de coude dans les côtes de leurs époux respectifs… À la fin du dîner, les femmes disent à leur maris en rentrant dans leur appartement. « Tu as vu Madame Duchemol, extrêmement provocante, sa manière de s’habiller… ».
Que s’est-il passé dans leur cœur ? En voyant le regard de leur mari, ces femmes « jalouses » ont comme oublié leur beauté. Elles ont eu l’impression de n’être rien parce que l’autre avait quelque chose. Ici un bel habillement et une beauté physique. Elles en ont oublié qu’elles avaient de la valeur. Les ouvriers de la première heure oublient leur pièce, le contrat rempli, en se laissant subjuguer par la pièce reçue par les autres.
On pourrait dire qu’après tout c’est humain, que certes c’est une situation injuste, mais en quoi est-ce un péché ? Eh bien la jalousie est d’abord un péché d’ingratitude vis-à-vis de nous-mêmes. Parce que si Dieu vous a faits, si Dieu vous a créés, si Dieu vous a donné son amour et sa grâce… il ne vous a pas ratés !
Souvent chers amis, nous manquons de confiance dans ce que nous sommes… même sous des airs très rassurés, nous nous disons trop souvent que nous avons raté, ou que nous sommes ratés. C’est terrible ! D’autant, chers amis, que la conséquence immédiate de la jalousie… ce sera la médisance. Imaginez donc : « Tu as vu les autres là-bas, ils ont eu 1 pièce… alors que ce sont des fainéants »… Et voilà que le malin nous fait glisser d’une blessure, d’une ingratitude vis-à-vis de nous-mêmes à une blessure de la relation.
Entrer dans la gratitude pour les dons reçus
L’invitation spirituelle de l’Évangile d’aujourd’hui c’est donc d’entrer dans la gratitude ! Quelle grâce, la gratitude ! C’est une attitude qui se perd de nos jours dans un monde parisien parfois blasé ou désabusé.
La gratitude, c’est pourtant le meilleur rempart contre la jalousie. Rendre grâce, remercier, s’émerveiller. Il s’agit de revenir un peu à l’état de l’enfance spirituelle. Quand un enfant voit quelque chose de beau, ou voit sa maman arriver, il a des étoiles dans les yeux. Eh bien, chers amis, nous devrions avoir des étoiles dans les yeux par rapport aux dons que Dieu fait dans les autres.
Quand nous sommes tentés par la jalousie et la médisance qui va avec … prenons le temps de chausser les lunettes de Dieu et de nous émerveiller des dons que Dieu a fait aux autres.
Robert Baden-Powell, le fondateur du scoutisme, disait : « En chaque homme, il y a au moins 5 % de bon ». C’est cela qu’il nous faut rechercher, cher amis, pour devenir le visage du Père sur la terre !
La comparaison est un poison qui nous entraîne toujours loin de la vie de Dieu.
En ce dimanche, remercions de tout notre cœur le Seigneur pour les dons qu’il nous a faits. Ils sont différents pour chacun et pourtant ils sont des dons de Dieu pour le monde. Portons sur nos frères un regard de bienveillance, en ne cherchant pas d’abord la petite bête mais en osant nous émerveiller du moindre de leurs progrès spirituels et humains.