Trois veuves… et une quatrième

« La gabelle, la taille, l’impôt sur les épices, pour cette année pour cette année çà fait combien ? » « 200 000 ducats Monseigneur » « Mais l’année dernière çà faisait beaucoup plus ! » « Oui mais la récolte avait été très bonne » « Cette année la récolte a été très mauvaise alors il faut payer le double ! » « Mais Dom Salluste, nos gens sont terriblement pauvres… » « C’est normal ! Les pauvres c’est fait pour être très pauvres… et les riches très riches ! ».

Les plus cinéphiles d’entre nous aurons reconnu le célèbre dialogue du film « La folie des grandeurs » avec Louis de Funès où celui-ci vient prélever l’impôt. Et l’on pourrait se demander si les lectures d’aujourd’hui ne nous invitent pas à la même conclusion. Regardez plutôt.

Dans la première lecture, le prophète Elie qui s’invite chez une pauvre veuve à toute extrémité. Il exige qu’elle cuisine une galette pour lui, pousse la muflerie jusqu’à se faire servir alors qu’elle n’a plus rien et que la famine fait rage. Dans l’Évangile, Jésus assis bien au frais dans le Temple regarde ceux qui font des offrandes. Il semble contempler d’un œil ravi une petite veuve qui se dépossède complètement pour mettre tout ce qu’elle a pour vivre dans le trésor du temple.

Faudrait-il donc pour être chrétien, se retrouver sans rien ? Dom Salluste aurait-il raison lorsqu’il déclare que les « pauvres sont faits pour être très pauvres et les riches très riches » ?

Donner sans compter  

Dans notre société contemporaine cette phrase prise au premier degré est un scandale terrible. Alors que la misère s’étale à la porte de nos villes, alors que des personnes sont obligées de dormir dans la rue à quelques kilomètres de Melun comment Jésus pourrait-il louer une telle position ?

Ce que Jésus vient louer ou admirer c’est l’attitude du cœur de cette veuve. Elle n’a peut-être pas fait de scoutisme, mais elle a compris, au moins vécu, quelque chose de la prière des scouts : « à donner sans compter »

La veuve de l’Évangile, comme celle de Sarepta, n’ont rien à faire valoir. Elles n’ont pas de titre ni de gloire, elle n’ont aucune position sociale, elles sont en marge de la société, elle ne peuvent pas prétendre à grand chose. Mais le peu qu’elles ont, elles vont le donner. Comme si la primauté du don était plus importante que le fait de conserver sa vie. Ou pour le dire encore autrement comme si une vie qui n’était pas donnée n’était pas une vie vraiment accomplie.

Il y a dans le geste insensé de ces femmes non pas d’abord un exemple à imiter au sens strict, et Jésus n’exige d’ailleurs pas que tous fassent de même. Mais une interpellation, pour chacun d’entre nous, sur l’usage de nos biens. Avons-nous parfois l’audace de donner sans compter ? sur notre nécessaire parfois ? de notre argent, de notre temps, de notre personne ? Savons-nous, tous autant que nos sommes sortir de la logique comptable et nous appuyer sur la providence de Dieu, être ambitieux dans le don à la suite de Jésus qui nous montre l’exemple « ma vie nul ne la prend mais c’est moi qui la donne ».

La troisième veuve

En contemplant les lectures de ce jour, on découvre qu’il est une troisième veuve derrière les deux autres. Cette troisième veuve, c’est notre âme appelée à être visitée par Dieu. Appelée aussi à tout donner pour Dieu à la suite de Jésus qui nous montre l’exemple. La visite d’Elie pourrait apparaître terrible à cette femme si, en face de l’exigence du prophète, il n’y avait la promesse d’une vie nouvelle : « n’aie pas peur » « jarre de farine point ne s’épuisera, vase d’huile point ne se videra ». A l’âme qui se donne à Dieu sans compter, Dieu promet une vie nouvelle et belle. Celui qui fait entrer le Christ ne perd rien, rien – absolument rien de ce qui rend la vie libre, belle et grande.N’ayez pas peur du Christ! Il n’enlève rien et il donne tout. Celui qui se donne à lui reçoit le centuple. Oui, ouvrez, ouvrez tout grand les portes au Christ – et vous trouverez la vraie vie. Amen.

Ils ont donné leur vie

En ce dimanche 11 novembre 2018, nous commémorons le centenaire de la fin de la Grande Guerre et nous prions, avec toute l’Eglise de France pour les défunts de nos familles et de nos villes qui ont combattu pour la liberté. Cette messe est pour nous l’occasion de rencontrer une dernière figure de veuve. Veuve de la guerre dont le mari s’est offert sur le champ de bataille. Dont l’horreur de la guerre a broyé la vie à jamais. A l’exception des plus anciens d’entre nous, nos générations ont la chance de vivre en paix en Europe. Et pour cela, nous voudrions rendre grâce en ce jour.

Au cœur de la première guerre, alors que nos soldats étaient dépouillés de toute sécurité, oppressés de toute part par le bruit, l’odeur, l’humilité et la terreur, alors que leur âme était à nu, certains ont compris qu’ils vivaient plus unis à Jésus sur la croix.

Certains ont accepté de donner leur vie librement unis au Seigneur. C’est le cas de ce jeune moine bénédictin qui demande à être mobilisé comme brancardier pour venir secourir les blessés et qui raconte :  « 20 jours, ou plutôt 20 nuits de rude labeur. Tout se fait par nuit noire. J’ai marché 20, quelquefois 25 kilomètres par nuit. J’ai martyrisé de pauvres blessés, dégringolant avec mon brancard au moins deux fois tous les 10 mètres. J’ai senti plusieurs fois le bout de mes forces et de mon souffle. Il y avait beaucoup de bruit, beaucoup d’éclairs. Des éclats m’ont frôlé qui m’auraient réuni à mon Père bien aimé si j’avais tardé d’un pas ou avancé de quelques centimètres. Enfin, nous voilà… prêts à recommencer. J’apprends à l’instant que notre départ pour les lignes est imminent : « Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel ». Avancer, se relever, repartir pour sauver.

Un autre raconte : « le Jeudi Saint, quelques instants avant de monter aux tranchées, j’avais renouvelé, auprès de Jésus Hostie, l’offrande de mon être tout entier. J’étais heureux, comme au 24 septembre, parce que j’étais près de Jésus : il était en moi, je pouvais mourir. En montant vers Douaumont, j’avais sans cesse à la pensée les scènes sanglantes de la Passion, l’Agonie de Jésus aux Oliviers, cette sueur d’eau et de sang qui l’inondait à la perspective de ses souffrances et de notre ingratitude. Jamais je ne les ai si bien comprises que dans la nuit du Mardi au Mercredi Saints, avant notre embarquement en camions. J’avais passé une nuit atroce, avec une fièvre violente, des cauchemars terribles et, le matin, après un court et pénible sommeil d’une heure à peine, je m’étais réveillé couvert d’une sueur froide. Quelle analogie aussi entre notre montée aux tranchées, pour certains d’entre nous, c’était la mort, et la montée de Jésus au Calvaire : c’était le Vendredi Saint ; j’avais médité ce jour-là les divins mystères et suivi en esprit la Voie Douloureuse. Ainsi j’avais retrouvé mon calme : Jésus était avec moi ! »

Dans l’inouï d’une rencontre inattendue, la veuve de Sarepta a donné ce qu’elle avait et a trouvé la vie. Dans la chahut du temple, le regard de Jésus a admiré la veuve qui donnait toute sa vie. Dans l’innommable des tranchés de la Grande Guerre, des hommes ont suivi Jésus sur le chemin de la Croix : ils ont accepté de donner leur vie pour la liberté.

En ce dimanche où nous fêtons la victoire du Christ sur la mort, demandons à Dieu que leurs exemples nous stimulent à donner sans compter, à combattre sans soucis des blessures et à travailler sans chercher le repos, à nous dépenser sans attendre d’autre récompense que celle de savoir que nous faisons la volonté de Dieu pour que son règne s’étende sur la terre. Pour que la civilisation de l’amour trouve place dans chacune de nos vies et dans notre belle terre de France.