Si j’aurai su… j’aurai pas venu !
« Pas contents ! Pas contents ! Pas contents… Mes frères et moi même exigeons une augmentation … » scandent St Pierre et St André face au temple de Jérusalem…
Imaginons un peu … avec l’Evangile d’aujourd’hui, il y en a qui auraient de quoi se dire : « A quoi bon être venus, nous qui étions là dès le début. » Bah oui après tout, Pierre, Jacques, Jean… ils ont suivi Jésus directement du premier coup, pendant 3 ans, et il faudrait qu’ils aient le même salaire que celui qui sur son lit de mort a confessé la Foi en Jésus ? C’est un peu fort de café cela. Alors l’intersyndical des Apôtres en colère a décidé de se mettre en grève à compter de ce dimanche. Les conséquences sont dramatiques : les évêques cessent de s’occuper de leur diocèse pour commencer une grève de la faim illimitée et arrêtent de donner le sacrement de la confirmation, les prêtres ont décidé d’aller se retirer dans le Larzac pour se reposer et la mairie a décidé de faire de cette Eglise un dojo pour pratiquer le karaté. Les moines quittent leur abbaye, manifestent devant la préfecture pour réclamer enfin un salaire, tout en déversant confiture et fromage avec une belle pancarte « Engagez-vous qu’ils disaient… ». Non décidément, si les apôtres se mettaient en grève, les braves fidèles de la chapelle Sainte Croix pourraient chanter avec t’tit Gibus dans la Guerre des boutons : « Si j’aurais su, j’aurais pas venu ».
En même temps, les apôtres sont vraiment les ouvriers de la première heure… et 2000 ans après, soit 17 520 000 heures après… nous sommes vraiment les ouvriers de la dernière heure.
Car tout de même l’Evangile de ce jour est un peu étonnant, et va bien à l’encontre de toute logique économique. Imaginez, vous êtes chef d’entreprise et vous donnez 1000 € à celui qui travaille 1 h et 1000€ à celui qui travaille un mois… Je vous parie que d’ici quelques semaines le maître aura bien du mal à trouver des ouvriers de la première heure…
L’Evangile d’aujourd’hui nous encouragerait-il à une réforme du code du travail un peu particulière ? Ou bien la logique est-elle à chercher ailleurs ?
La logique de la miséricorde
Il me semble que pour comprendre la logique de Dieu, il faut faire un tour dans la première lecture que nous avons entendue tout à l’heure : « Car mes pensées ne sont pas vos pensées et vos chemins ne sont pas mes chemins »… puis « Autant le ciel est élevé au-dessus de la terre, autant mes chemins sont élevés au-dessus de vos chemins et mes pensées au-dessus de vos pensées ».
Au premier abord la chose semble complexe : Dieu nous prendrait-il de haut ? Ou est-ce plutôt que notre intelligence est un peu trop formatée par la logique humaine pour entrer dans une autre forme d’esprit ? Essayons donc de décrypter la logique du maître :
D’abord Dieu est celui qui appelle et embauche pour sa vigne. Et Il voit large. Pas question de choisir en fonction des qualités du bonhomme… Dieu prend tout monde : les petits et les grands, les gros et les maigres, les jeunes et les vieux, Il appelle large à la vigne de son Royaume. Car Dieu n’est pas Celui qui juge l’apparence, mais Celui qui sonde les reins et les cœurs. Il suffit d’avoir le désir de travailler à connaître Son amour et Sa vie ! Cela veut dire que Dieu veut se faire connaître pas seulement à nous tous, les bons catholiques qui nous sommes levés pour être à l’heure dans cette chapelle, mais aussi à celui qui, au détour d’une conversation dans le train, à la veille de sa mort, voudra bien Le rencontrer… à tous ceux là, le Maître dit « Venez ! ».
Ensuite Dieu donne. Et Il donne largement. A tous Il promet une récompense juste pour le travail. Et Dieu ne sait pas donner à moitié, et a sans doute un petit problème avec les mathématiques carthésiennes : La Trinité ou la multiplication des pains n’en sont que des exemples.
Donc Dieu comble. Il donne cette pièce d’argent à chacun, comme le signe d’un être comblé, en réponse au travail fourni. Cette béatitude c’est le Royaume des cieux, ainsi que le soulignait le début de la parabole : « Le Royaume des cieux est comparable à… ». Alors oui de ce côté là, Dieu n’est pas dans la logique humaine. Je ne sais pas si vous avez remarqué mais lorsque vous allez boire un verre dans un café, maintenant il y a souvent écrit sur le côté du verre « 25 cl » ou « 50cl » histoire que le cafetier soit sûr de ne pas en mettre plus. Alors oui, Dieu vraiment n’est pas très humain de ce côté là car la seule chose qu’Il sache faire, c’est de combler … et Il ne se met pas de limite !
Dieu ne reprend pas. Saint Paul le dit dans ses lettres : « les dons de Dieu sont sans repentance ». Lorsque Dieu donne, Il donne pleinement et pour toujours.
Enfin l’intention divine est toujours bonne. C’est notre œil marqué par le péché qui veut regarder le verre à moitié vide, qui recherche la malice… Lorsque Dieu embauche, Il veut donner. Et Il ne cherche pas à rouler les autres. C’est le malin qui nous suggère : « tu as vu toi, tu te fatigues depuis 30 ans, et lui, hop, il ne fait rien et il est sauvé comme toi… » car il veut mettre une distance et un doute entre Dieu et nous.
La conversion du regard
En fait le Seigneur nous invite aussi à travers cet Evangile à changer notre regard. En fait, à y regarder de près, la question du jour n’est pas une question de justice : le maître s’étant engagé à donner la même chose à chacun. En fait la difficulté est dans le cœur des ouvriers de la première heure. Ils regardent et se comparent, plutôt que de rendre grâce et de se réjouir de ce que l’autre ait aussi le bénéfice en partage. Un prêtre me disait lorsque j’étais plus jeune « comparaison égale poison ». Et à y regarder de près, nous passons beaucoup de temps à nous comparer. Cela commence à l’école primaire : « moi mon papa il a fait çà ! Bah d’abord moi le mien il a fait mieux… » Cela continue au collège ou au lycée pour savoir qui de Marie ou de Thérèse a le plus beau sac à main, ou qui de Theo ou de Fabio a le plus beau téléphone. Cela continue encore et encore à l’âge adulte pour comparer la beauté de l’appartement, ou même les qualités spirituelles et intérieures. « Tu as vu madame bidule ne vient jamais à l’adoration ».
« Comparaison = poison ». Pourquoi ? Parce que quand je compare, je suis centré sur mon petit nombril : je regard d’abord mon petit nombril au lieu de m’émerveiller des qualités de l’autre. Qu’est-ce qui est douloureux dans la comparaison ? Pas que l’autre ait quelque chose, mais que j’ai moins bien que lui. Je suis tellement focalisé sur ce manque que plus rien d’autre n’a d’importance.
Un grand remède à ce poison de la comparaison, c’est la louange. Lorsque je sens que je suis en train d’être jaloux, de comparer ce qu’a l’autre, un bon exercice spirituel c’est, dans son cœur, de bénir le Seigneur : « Seigneur je te bénis de ce que Fabio ait l’iphone 8 » « Seigneur je te rends grâce parce que Marie est vraiment très pieuse ! ». D’autant que dans l’Evangile, la logique est inversée : les derniers sont premiers… et les premiers derniers. Les premiers de la terre sont derniers dans le Royaume et les derniers de la terre, les pauvres et les petits, les humbles comme la Vierge Marie, nous précèdent de loin dans le Royaume.
Alors non, ce jour, pas besoin de dire avec tit Gibus : « Si j’aurais su, j’aurais pas venu », et rendons grâce à Dieu car les Apôtres, les premiers à suivre Jésus, ne se sont pas mis en grève. Au lieu de cela, laissons le Seigneur nous offrir une autre logique que celle des puissants : Dieu bon et riche en miséricorde convoque tous les hommes et veut les combler en plénitude. Demandons-Lui aussi de convertir notre regard pour bénir au lieu de comparer.
Amen !