Le jour le plus long…

Nous sommes au matin du 6 juin 1944, vous êtes engagés dans des chaloupes de débarquement au large des côtes normandes. Depuis des semaines vous vous entrainez pour vivre ce jour qui sera sans doute pour vous le « jour le plus long ». Comme soldat vous vous êtes engagés pour la paix. Comme soldat vous allez marquer l’histoire en étant témoin et acteur de celle-ci. Comme soldat vous allez entrer dans la réalité de votre corps et non pas simplement dans une idée abstraite. 

Non, je ne suis pas entré dans un délire cinématographique et je ne reviens pas du mémorial de Caen. Mais le jour de la Résurrection, le jour du Christ, est bien ce « jour le plus long » dans lequel nous sommes appelés à entrer. En effet, si le carême dure 40 jours pour nous convertir et prendre conscience de notre désir d’être sauvé, le temps pascal en dure 10 de plus comme pour nous faire comprendre qu’il nous faut plus de temps encore pour accueillir la grâce de Dieu que pour nous convertir. Et c’est déjà le troisième dimanche que l’Évangile nous invite à explorer « ce jour que fit le Seigneur » comme dit le psaume, ce jour où le Christ vivant surgit de la mort. En ce jour portons donc notre attention sur celui pour qui nous chantons depuis quelques semaines l’Alléluia pascal. 

La paix soit avec vous ! 

Le premier point commun donc entre nous et le soldat de la grande guerre, c’est le désir d’aboutir à la paix. J’imagine l’état de nervosité des soldats face à Utah Beach ou Omaha Beach, sous leur casque lourd dans ces chaloupes. Notre monde aussi est angoissé. Terriblement angoissé. Peur du Covid, peur des examens, peur de ne pas se marier, peur que les enfants ratent, peur de ne pas partir en camp scout, peur de ne pas être à la hauteur, peur peur peur… La peur c’était un peu la problématique des disciples avant la résurrection. C’était l’attitude de Pierre face à la Passion. Les disciples avaient perdu leur leader, leur maitre, leur messie. Leur perspective était étroite, et leur cœur centré sur leurs difficultés. Certains d’entre eux ont vu le Christ ressuscité sur le chemin d’Emmaüs (c’était l’Evangile du soir de Pâques), et pourtant à l’arrivée du Sauveur ils sont « saisis de crainte » et « pensent voir un fantôme » et sont « bouleversés ». Entre nous, je me demande comment nous réagirions si le Christ venait ici de la même manière que dans l’Évangile. Sans doute que nous n’en mènerions pas très large. 

Face à la peur, le Christ offre la paix. Le Christ rassure avec douceur. La paix qui vient de Dieu n’est pas d’abord une absence de guerre ou de conflit ouvert. La paix qu’offre le Seigneur est d’abord un don. A chaque messe nous l’entendons par le bouche du prêtre « tu as dit je vous donne ma paix, ne regarde pas nos péchés mais la foi de ton Église… ». Il me semble que la paix que le Seigneur nous offre, à chaque Eucharistie est d’abord l’assurance de sa présence. Les disciples avaient peur de voir un fantôme. En leur offrant sa paix, une paix sûre, profonde, il leur montre qu’il est vraiment présent. En nous donnant la paix le Seigneur ne nous dit pas de ne jamais avoir de questionnements mais il nous dit que dans toutes nos détresses il est présent. Alors que beaucoup de nos contemporains ont recours au Yoga ou à d’autres pratiques du même genre, nous chrétiens pouvons entendre dans la prière la parole du Christ « la paix soit avec toi ». Dans nos angoisses et nos agacements du moment, entendons le Christ nous dire « pourquoi êtes vous bouleversés ». « Ne crains pas car je suis avec toi ». 

La dignité du Corps

Le deuxième point commun entre nous et le soldat de la grande guerre c’est la place du corps. A Omaha Beach des hommes ont donné leur vie, avec leur corps. Jésus lui apparaît ressuscité avec son corps. La dignité chrétienne du corps vient en fait de l’incarnation et de la résurrection. Mon corps à la suite de celui de Jésus est appelé à ressusciter. Le jour le plus long, le jour du Christ est celui de la Résurrection. Celui où le Christ surgit avec son corps de la mort pour entrer dans la vie il est alors vraiment un homme. « Voyez mes mains et mes pieds : c’est bien moi ! Touchez-moi, regardez : un esprit n’a pas de chair ni d’os comme vous constatez que j’en ai ». Cette affirmation est décisive pour nous. Notre corps est appelé à ressusciter, à la suite de celui du Christ.  Notre vie chrétienne ne se termine pas entre quatre planches d’un cercueil, mais s’ouvre à une vie nouvelle avec notre propre corps. Le fait que le Christ ressuscite en son corps nous invite aussi à une belle espérance quant à notre propre corps. Le Corps que j’ai, même malmené par l’âge ou la maladie est appelé à ressuscité et à entrer dans la Gloire avec le Christ. Ainsi donc prendre soin de mon corps, le soigner, lui donner à manger, dormir… sont autant d’activités où je me prépare à vivre la résurrection de la chair. Oui le corps que le Seigneur m’a donné est un don précieux, en prendre soin de manière juste c’est le respecter et me rappeler qu’un jour, je serai appelé à voir Dieu face à face. Cela ne signifie pas pour autant qu’il faudrait passer sa vie dans une salle de sport, à faire des centaines de tours de Luxembourg ou de la gonflette à la maison à me regarder dans la glace pour savoir si j’ai plus de muscle que le voisin… Je vous rassure pas besoin d’être un expert du parcours du combattant pour entrer dans la gloire avec Jésus 

Oser croire à la victoire 

Le troisième point commun entre nous et les soldats du jour le plus long c’est qu’il nous est parfois difficile de croire vraiment à la victoire au soir du jour, à la résurrection au matin de Pâques. « Dans leur joie ils n’osaient pas encore y croire ». C’est bien beau, frères et sœurs, ces alléluias en cascade, ce cierge flambant neuf, ce petit air guilleret que revêtent nos églises au temps de Pâques. Mais, en toute fête, il y a le trouble-fête. En l’occurrence, la petite voix qui susurre: «C’est trop beau pour être vrai!» Les mauvaises nouvelles sont d’ordinaire tellement plus vraies que les bonnes, que nous avons quelque peine à accueillir l’excellente nouvelle qui retentit en ces jours : Christ est ressuscité. Au soir du 6 juin 1944 la victoire est presque acquise. Mais il faudra du temps pour qu’elle devienne réalité partout. Et c’est pareil dans notre vie. Il nous faut du temps pour que la résurrection entre dans nos vies. 

L’essentiel de la résurrection s’est passé dans la nuit pascale, la nuit où le Christ victorieux fut tiré de la mort par la puissance du Père dans le secret, sans tambour ni trompette. Et aujourd’hui encore ce n’est pas dans la violence de l’ouragan ni dans la fulgurance superficielle des certitudes mathématiques, mais dans la brise légère de l’Esprit que le Ressuscité vient solliciter notre foi.

Si la foi en la Résurrection suppose certaines dispositions intérieures, elle n’est pas pour autant un choix arbitraire, purement subjectif, qui serait, par conséquent, injustifiable au regard de l’intelligence. Il y a des raisons objectives de croire en la Résurrection de Jésus. Non pas, je le répète, des évidences aveuglantes et contraignantes qui obligeraient tout un chacun à croire, qu’il le veuille ou non. Mais des indices convergents, des signes sérieux qui orientent l’intelligence vers la foi. J’en retiens trois.

Le premier c’est celui du tombeau vide. C’est un fait: au matin, Jésus n’est plus où on l’avait déposé. Personne ne le conteste, pas même les juifs qui sont obligés pour l’expliquer d’échafauder une histoire rocambolesque.

Ensuite, et c’est le récit de l’Evangile du jour, des hommes et des femmes ne relevant pas de psychiatrie maladive ont vu le Christ ressuscité. Ils en sont les témoins comme dit la finale de l’Evangile du jour. Une chose est sûre ils ont changé du tout au tout entre le vendredi saint et le jour de Pâques. Pierre par exemple cet homme qui a renié Jésus, a déserté, a fui, le voilà qui prend la parole devant tout le peuple. Etait il obligé ? 

Enfin, c’est peut-être ça le troisième et grand signe de la résurrection de Jésus. Tous ces hommes et toutes ces femmes qui, depuis vingt siècles, s’obstinent à sortir de leur tombeau, font le choix décidé de la vie contre la mort, du sens contre l’absurde, de l’amour contre la haine. Ça, ce n’est pas l’œuvre de l’homme, car nous savons bien ce que l’homme produit par lui-même, sans la grâce: le péché et la mort. Non, c’est l’œuvre de Dieu. 

Frères et sœurs bien aimés, la résurrection du Christ a démarré le véritable jour le plus long, celui où la vie jaillit de la mort, celui qui ouvre à tous les croyants la porte de la victoire, celui qui s’est commencé au matin de Pâques et qui se consumera dans l’éternité. Ce jour fait jaillir pour nous 3 bonnes nouvelles : D’abord, le Christ est véritablement notre paix au milieu d’un monde angoissé. Ensuite, sa résurrection avec son corps nous donne offre pour aujourd’hui une dignité nouvelle à nos propres corps. Enfin, sa résurrection est la porte ouverte d’une espérance nouvelle. La victoire est acquise et elle est réelle car ils en sont les témoins pour notre foi et notre joie. 

Amen. Alléluia.