Programme d’année [Épiphanie]
Hier, et pendant encore tout le mois de Janvier, sous le signe du gui vont s’échanger des vœux. On va se souhaiter à grand renfort de bisous (ah non, heureusement avec le virus on ne peut plus), des vœux variés : vœux de réussite, de succès, de richesse, de confort… Et voici qu’au milieu de ce programme bien convenu, l’Église nous offre les rois mages. Qui sont-ils ? Des touristes égarés, appareils photos en mains, prêts à saisir une bonne affaire… ou bien encore des baroudeurs, sacs au dos, qui passaient par là et ont fait un détour ? Des livreurs de Chronopost venus déposer en hâte un colis et repartir comme ils sont venus ? J’ai le regret de vous dire qu’aucune des trois options n’est bonne. Les êtres bizarres qu’on nomme les mages sont en réalité nos maîtres spirituels et c’est avec eux qu’il faut construire le programme de notre vie pour l’année qui commence !
Comme eux, cette année il va nous falloir partir. Oh, cela ne signifie pas expérimenter de nouveaux voyages à l’étranger pour découvrir le monde, ni multiplier les weekends en province (« c’est beaucoup plus sympa que de rester à Paris, mon Père… »), mais il s’agit d’un départ d’une autre nature. Les mages se sont laissé déranger dans leur quotidien bien huilé. Comme Abraham, ils ont accepté de quitter leur confort. De fait, nous qui sommes là ce soir, nous avons accepté de quitter le replay confortable devant lequel nous étions installés, une tasse de tisane à la main, pour nous remettre d’un réveillon difficile.
Ceux qui se sont laissé déranger n’étaient pas de simples péquins qui voulaient partir à l’aventure, ils étaient rois. Ils sont partis sans savoir où ils allaient. Partir sans savoir où l’on va — et c’est bien souvent parce qu’on ne sait pas où l’on va que l’on sait que l’on est dans la vérité. Mais attention, ils ne partent pas le nez au vent, ils partent tendus vers un but, un but que l’étoile leur indique, c’est vague une étoile mais c’est suffisant pour partir. Et vous, avez-vous décidé de partir cette année, de vous mettre en route pour suivre l’étoile ? Ils sont partis seuls, chacun de chez soi, et ils se sont rejoints, car nous ne sommes pas seuls à chercher le Christ. Dès que je me mets en route je découvre des frères qui sont dans la même quête que moi. Et j’ai absolument besoin de me rendre compte que je ne suis pas seul sur la route, que j’avance avec d’autres et que nous nous y encourageons. C’est ça l’Église : non pas une communauté de personnes qui se retrouvent assises sur un banc chaque dimanche, mais des frères debout, qui choisissent d’avancer vers Jésus ; ils sont là, autour de moi, ces frères qui ont fait ce choix.
Comme eux, cette année, il va nous falloir déjouer des obstacles. Les mages ont été confrontés à des difficultés. Ils partent de l’Orient lointain, ils ont dû en traverser des déserts, ils ont dû éprouver le manque, ils ont dû avoir la tentation de retourner chez eux. En outre ils ont du mal à trouver l’endroit. Ils se présentent chez le roi jaloux qui n’est pas le bon roi… Bref, ce n’est pas une partie de plaisir.
Nous pouvons en tirer un enseignement pour notre propre cheminement : à partir du moment où vous choisissez de vous mettre résolument en marche à la suite du Christ, attendez-vous en effet à rencontrer des obstacles. Les rois mages eurent à déjouer les ruses du renard Hérode et nous-mêmes, nous aurons à déjouer les ruses de celui qui ne veut pas que nous arrivions au Christ, les perfidies de l’ennemi du genre humain, Satan.
C’est Satan qui va tout faire pour nous empêcher d’arriver au but. Il va nous décourager : « Mais à quoi bon faire tout cela ? ». Il va nous faire croire que c’est une illusion : « Celui que tu appelles ton Dieu, en fait, c’est juste la projection de tous tes désirs ». Il va nous tenter en nous disant qu’il y a mieux à faire : « Tu t’épuises en vain, tu ferais mieux de t’occuper de toi, ça t’apporte quoi d’aller à la messe le dimanche soir ? ». Il va nous faire miroiter le confort d’avant : « C’était mieux avant ». Il va frapper là où il sait que nous sommes faibles (il ne s’attaque jamais à nos forces, car c’est un lâche). Et comment faire pour déjouer ses ruses ? Eh bien comme les rois mages : garder le cap en suivant l’étoile, s’appuyer sur ses frères et sœurs, et faire un pas de plus ; humblement, juste un pas, un petit pas, car c’est pas à pas qu’ils sont arrivés à Bethléem. Car c’est en faisant le pas de ce jour que nous arrivons à Dieu.
Comme eux, cette année, il nous faut nous interroger. « Où est le roi des Juifs ? ». Ils ne comprennent pas pourquoi ils ne trouvent pas Jésus dans un palais « ordinaire ». Savons-nous interroger notre foi ? La questionner pour la faire croître ? Car il n’y a pas de vie chrétienne sans interrogations, sans l’inconfort de ces questions que nous nous posons. Mais attention, nous avons trop souvent tendance à confondre doutes et questions. Les questions que je me pose ne sont pas des doutes. Le doute est un péché, les questions sont un stimulant, elles nous disent que nous n’avons pas encore saisi Dieu, que nous le cherchons. Nous le cherchons toujours d’ailleurs — « 1000 questions ne feront jamais un seul doute », disait le cardinal Newman. Notre foi n’est faite ni de certitudes mathématiques ni de doute, elle est faite de questions et de confiance car le doute et la certitude nous rendent totalement rigides, immobiles, tandis que les questions et la confiance nous poussent en avant, nous mettent en mouvement.
Comme eux cette année il nous faut entrer dans la maison. Notre maison, frères et sœurs, c’est l’Église. C’est dans l’Église que se trouve le Christ. C’est dans l’Église que le Christ enseigne. C’est dans l’Église que le Christ soigne, guérit et console. Cette Église n’est pas d’abord un nouveau club branché, ce n’est pas l’amicale spirituelle de Paris 6. C’est une vaste tente avec des riches et des pauvres, des zemmouristes, des macronistes et des mélenchonistes, des hommes et des femmes, de cha-cha et des tra-tra… Mais c’est surtout le lieu où le Christ se donne à tous car toutes les nations sont appelées au même héritage.
Comme eux, cette année, il faut adorer. Avez-vous déjà fait attention à l’attitude des rois mages devant le roi des Rois ? Ils se mettent à genoux. Il ne suffit pas d’entrer. Tellement de touristes rentrent dans cette église chaque année. Et nous ? Comment entrons-nous dans l’église ? Savons-nous chercher la lumière rouge du tabernacle et mettre le genou à terre en signe d’adoration ? Car si les mages se mettent à genoux pour offrir leurs cadeaux, c’est aussi pour nous montrer le chemin de l’adoration véritable. Ils ne discutent pas pendant des heures du dernier meeting politique ou du prochain but de Mbappé. Ils ne flânent pas sur Instagram pendant deux heures… Non, sans attendre ils se mettent à genoux pour offrir leur vie, et offrir leurs cadeaux. D’ailleurs, ils n’apportent pas des cadeaux qui leur ressemblent, qui seraient des faire-valoir. Non, ils apportent des cadeaux qui parlent du Roi qu’ils viennent vénérer. L’or est offert au Roi. Au Seigneur des Seigneurs est offert l’encens. Enfin, au vainqueur de la mort est offerte la myrrhe. Et nous ? Que voudrions-nous offrir à Dieu en cette année 2022 de notre vie ? La nouvelle phrase de l’offertoire remet en avant le mot de sacrifice. Qu’allons-nous présenter à Dieu en 2022. Ce pourraient être nos richesses que nous avons du mal à partager. Ce pourraient être nos talents, au risque de l’orgueil. Mais sans doute nous faut-il plutôt offrir nos misères, puisque nous ne sommes pas des rois, puisque nous n’avons ni or, ni encens, ni myrrhe à offrir, offrons-lui donc nos fragilités, nos faiblesses, celles que nous gardons précieusement pour nous, que nous gardons cachées et que nous avons raison de cacher car si nous les révélions à quelqu’un d’autre que Jésus, cet autre pourrait s’en servir pour nous blesser, alors que Lui, Jésus, les veut pour les habiter, il les veut pour nous transformer.
Enfin, comme les mages il faut se laisser transformer. En témoigne un retour improbable : ils repartirent par un autre chemin. Était-ce simplement pour nous signifier qu’en raison d’un bouchon de chameaux sur l’A18 entre Bethléem et l’Orient, il valait mieux suivre l’itinéraire que Waze leur indiquait ? Ou bien l’Évangile veut-il signifier qu’il s’agit pour eux d’un changement intérieur ?
Après avoir rencontré le Christ, ils ne peuvent plus vivre tout à fait comme avant. Les jeunes baptisés qui viennent de rencontrer le Christ le savent : leur vie peut basculer du tout au tout. Celui qui adore vraiment le Christ devant la crèche doit s’attendre à ce que sa vie soit changée : je ne peux pas vous dire comment, mais je peux vous promettre que celui qui n’a pas réduit Noël à la fête des enfants, le premier janvier à la fête de la paix, et l’Épiphanie à la galette de Rois, goûtera la saveur véritable du mystère que nous célébrons ces jours-ci. Non pas l’avènement du règne de l’huître gluante mais le mystère d’un Dieu qui se révèle, c’est-à-dire d’un Dieu qui se donne à connaître et à aimer.
Que les mages soient cette année nos guides spirituels. Pour partir, déjouer les obstacles, s’interroger, entrer dans la maison, adorer et nous laisser transformer. Notre année 2022 sera véritablement une année de grâce.